Nîmes Is Not A Love Song, mais peut-être que si, finalement

This Is Not A Love Song. Forcément, c’est un truc de vieux. Le tube planétaire de Public Image Limited, en 1983. Celui-là même qui signe la fin du punk originel. Et les débuts de ce qu’on va appeler l’indé, né du Do It Yourself incarné par le punk.
This Is Not A Love Song, donc. Sous-titre : Indé Music Festival. Lieu : Nîmes. Ah non, erreur. Impossible. Nîmes n’existe plus sur la scène indé depuis des lustres. Nîmes, ce sont les arènes chéries par la municipalité, et les grosses machines de la scène mondiale qui viennent y jouer l’été, profitant le plus souvent du cadre unique et bimillénaire pour y tourner le DVD de leur tournée.
Et pourtant, Nîmes ressuscite. En tout cas sa scène musicale. La faute à la Paloma, sa neuve et rutilante SMAC, posée aux confins de la ville, dans un no man’s land à la frontière des zones commerciales et des vignes. La Paloma, on ne sait pas trop ce que ça veut dire. Le bâtiment n’est pas un bateau échoué sur un terre-plein. Il n’y a donc pas à craindre que l’on fasse référence au yacht de Bolloré sur lequel notre précédent et agité Président prit ses vacances sitôt élu. On s’accordera donc sur la référence latina aux multiples reprises. Ce qui tombe bien, la reprise, c’est l’école du rock, comme dit Rodolphe Burger, et la Paloma n’est pas seulement une salle de concerts, mais une Smac, un lieu de ressources et de formation, de répétition et d’enregistrement. Paloma, chanson d’amour, accueille donc This Is Not A Love Song, le festival.

This is not a love song / Happy to have / not to have not / Big Business is very wise

Est-ce que c’est un festival, ou juste quatre soirées bien programmées ? La question est accessoire. Car sur le strict plan de la richesse et de la qualité de la programmation, la 1ère édition de This Is Not A Love Song force le respect. Soyons lucides, c’est le résultat d’une double position privilégiée. D’abord, la Paloma est à Nîmes. Et c’est une habile tactique des plus malins des programmateurs du Languedoc-Roussillon de prendre des artistes du Primavera Sound Festival en stop, sur le chemin de l’aller ou du retour du gigantesque festival catalan. Le Rockstore montpelliérain en a fait sa spécialité, cueillant les indés avant et après la semaine catalane. La Paloma et Come On People, le collectif nîmois co-organisateur du festival, reprennent largement l’idée à leur compte. Animal Collective, Dinosaur Jr, les Breeders en retour, mais aussi Death Grips, Savages, Peace, Merchandise, Nick Waterhouse, King Tuff, Guards, Melody’s Echo Chamber, Mac Demarco, Daniel Johnston… Tous sont sur le chemin de Barcelone. Car pour systématiser cette économie d’échelle jusqu’à en faire le pivot d’un festival, il fallait une autre opportunité. Elle a pour nom Christian Allex, co-programmateur des Eurockéennes de Belfort depuis douze ans, et co-directeur artistique de la Paloma, connaisseur réputé du big business des tournées et des festivals.

I’m adaptable / And I like my role / I’m getting better and better / And I have a new goal

Forte de ses deux atouts, la toute jeune Paloma, sortie de terre il y a moins d’un an, s’invente donc organisatrice de festival. Pas un festival all-day long. Mais quatre soirées denses, soniques, éclectiques, dans cet écrin de béton et de bois entouré de vent.
Mercredi, nouvelle génération rock et vieux loups des scènes nîmoises et montpelliéraines sont au rendez-vous. Venus, pour beaucoup, assister au show d’Animal Collective, tête d’affiche de cette première soirée. Ces derniers jouent le lendemain à Barcelone, et ils ont visiblement pris du plaisir à répéter dans le beau studio blanc de la Paloma. Sous un décor gonflable serpentesque, les new yorkais développent un set plutôt franc, loin de leurs habitudes déconstructivistes. Quasiment pop dans l’exécution, complètement onirique dans l’architecture, Animal Collective est en grande forme, pour la plus grande joie des happy few qui ont bravé cette soirée de milieu de semaine sous le signe du mistral.
Il faut avouer que chacun en a eu pour son argent. Le néo-hippie néo-zélandais Connan Mockassin avait ouvert le bal psyché, avec des morceaux longs et juteux, tranches d’univers généreusement offertes à une grande salle conquise. Avant eux, les kids mancuniens d’Egyptian Hip Hop avaient peiné à entraîner la foule. À force de ne pas vouloir être là où ils pensent être attendus, personne, pas même eux, visiblement, ne sait où ils sont, et la grande salle se vide doucement, tandis que le patio se remplit. Et les fans de hip-hop sauvagement burné prennent eux Death Grip en pleine face, dans une version minimaliste largement due à l’absence inexpliquée de Zach Hill, batteur et âme du groupe.


C’est pourtant ailleurs, dans le Club, que se joue le vrai fracas de cette première soirée. Les quatre londoniennes deSavages brûlent les planches, et le Club se remplit. Trois femmes en noir, une en blanc, derrière des toms de batterie qu’elle martyrise avec joie. Juchée sur des talons rouges, Jehnny Beth incarne un charisme post-punk comme on en a pas vu depuis longtemps. Elle le sait, et tente de le cacher derrière une gestuelle empruntée, travaillée à la Ian Curtis. Ça ne trompe personne. La beauté implacable de leur son noir découpe la salle et chavire un public qui n’attendait que ça. Le son est pur, l’exécution musicale parfaitement maîtrisée, jusqu’à cette touche de krautrock qui lie les influences d’une Siouxie et d’un Black Sabbath en un maelström à la saveur so british. Le buzz qui les entoure n’a rien d’usurpé.
Jeudi, le mistral est toujours de la fête, et le public happy few. Le plateau, lui, est encore sous influence psychédélique, avec la française Melody’s Echo Chamber, et les californiens de Guards. Mais c’est côté garage blues que la soirée s’illumine, avec les italo-girondins de JC Satan, à suivre absolument, et l’incroyable assurance de Nick Waterhouse. Son blues est aussi joyeux que sa tenue vestimentaire est stricte, sa soul aussi profonde que ses basses. Ce type-là le dit lui-même : « he can only give you everything ».
Vendredi, le mistral s’est calmé. Ça tombe bien, c’est le jour où les skateurs débarquent pour jouer sur une rampe si neuve qu’elle a l’air de ne pas être terminée. Qu’à cela ne tienne, ils y frotteront leurs roulettes toute la première partie de soirée. Ils attendent pour rentrer que ce soit le tour de leur icône Dinosaur Jr.

Celles et ceux que la planche à roulettes indiffère se pressent à l’intérieur, et la foule est bien plus nombreuse que les deux premiers soirs. Dans la grande salle, Bass drums Of Death sonnent comment des apprentis BRMC, dont ils ne finissent pas d’égrener les références. Jusqu’à l’ennui. Pendant ce temps, Jesse Boykins III chauffe un club avec un groove de bonne facture. « He’s got things to share ». Il aime la scène, et la salle aime son groove et sa grosse présence scénique. Dans le patio, l’air est bien plus estival que les soirs précédents, et les festivaliers n’en apprécient que mieux le bar.
Les skateurs envahissent le bar, c’est donc l’heure attendue, celle du plus vieux groupe grunge en activité, Dinosaur Jr, crée en 1985. Vingt-huit ans plus tard, Jay Mascis et Lou Barlow sont de nouveau aux commandes. Égaux à eux-mêmes, un mur de retours derrière chaque oreille, et la même présence nonchalante de Mascis, la même exigence sonique de Barlow, les mêmes accords des guitares martyrisées. Le même mur de son. Les bouchons d’oreille partent comme des petits pains auprès d’un public mélangé, moitié vieux loups du rock, moitié jeunes, plus jeunes que le groupe, skateurs et fans. Les précurseurs du grunge sont toujours là. Peut-être parce qu’ils n’ont jamais pris ça au sérieux. Comme pour mieux nous donner raison, les trois gars du Massachussets terminent par une reprise énervée et méconnaissable des Cure, en 1’35 chrono.

Ça tombe bien, c’est l’heure de retrouver les danois de Veto dans le studio. Et il y a eu de la new-wave dans le biberon de ces cinq-là. C’est très bien fait. Mais au final, on ne sait pas où ils sont, ni qui ils sont vraiment. Ça laisse le temps de commander un panini. On n’a pas le choix, c’est la seule nourriture du lieu. Modèle So British, bacon-cheddar, parfait pour attendre le dandy Miles Kane.
Trop dandy, d’ailleurs. Lui, costume blanc tout droit sorti de la pochette de Sgt Peppers. Ses musiciens, coiffés et costarisés de même. Là encore, c’est bien fait, propre. Trop. En tout cas, trop pour nous, à peine remis de la déferlante Dinosaur Jr. On les laisse aux nombreux fans, et on s’éclipse vers le Club, rejoindre la tribu électroclash venue assister au live de Black Strobe, mené par un Arnaud Rebotini plus moustache-gomina que jamais. Le Club danse, ce Black Strobe là est joyeux, on ne boude pas.
Dans la grande salle, les derniers amateurs de gros sons se rassasient avec la déferlante sonore de TNGHT. Beats accélérés, stroboscopes, fréquences poussées aux limites. Le live est incendiaire, comme promis. Et assourdissant.

Le samedi, c’est Daniel Johnston et sa belle pop bricolée, et Busy P. qui attireront l’oreille, mais la foule se presse cette fois en masse pour voir les breeders reformées. Dans le club, bien plus intime, Fauve, La Femme et Hanni El Khatib tiendront leur rang.

You take the first train / Into the big world / Are you ready to grab the candle / Not television /This is not a love song

Le public est en masse au rendez-vous. Ça coince même dans la petite salle. Mais c’est la rançon du succès. This Is Not A Love Song, TINALS pour les intimes, a pris le premier wagon pour la cour des grands, et le rendez-vous printanier devrait s’imposer rapidement dans les années à venir. C’est une bonne nouvelle pour les amateurs d’indé du sud de la France.

Cet article, l’une de mes rares incursions dans la critique musicale, a été publié en juin 2013 par soundofviolence. Les illustrations sont de celles qui illustrent le papier sur le blog en question, respectivement créditées Un disque un jour pour les deux premières, et Stéphane Rip pour la dernière.
[ssba]