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De quoi ?

Mimi ou la culture en friche

C’est l’une des plus anciennes mécènes montpelliéraines. Et l’une des plus discrètes. Il y a près de 20 ans, “Mimi” Vergne a commencé à accueillir un premier artiste dans ses entrepôts. Les entrepôts de l’entreprise de son mari, qui faisait commerce de bois, à Figuerolles. Puis est venu un autre artiste. Puis un théâtre, fait de bouts de bois. C’est ainsi qu’est née la Cour Vergne. Une friche culturelle en plein cœur de la ville, sur une emprise artisanale.
Depuis des années, les mieux informés savent que l’histoire ne durera pas éternellement. Car elle est intimement liée à Mimi. Et que Mimi a aujourd’hui 94 ans. Depuis des années, pouvoirs publics et acteurs de la Friche de Mimi s’activent pour tenter d’anticiper. Tentative d’éclaircissement*.

MaisonMimiVergne

À l’entrée de la cour, un bosquet cache une petite maison dont on ne distingue qu’une terrasse en bois fleurie toute l’année. C’est ici que vit Mimi, depuis que l’entreprise familiale de négoce de bois Vergne s’est installée à Montpellier, en 19271.
En limite de Figuerolles, à la croisée de plusieurs axes de circulation, l’entreprise a fleuri, jusqu’à être un empire artisanal dans les années 1970, avec l’essor des cuisines en bois. Puis l’activité a décliné. Jusqu’à la cessation, en 1994.
Mimi n’a pas voulu vendre. C’est ici qu’elle a grandi, c’est ici qu’elle a aimé. C’est ici qu’elle veut vieillir, entourée de créateurs et d’artistes.
Alors elle ouvre sa cour. Doucement, en gardant le contrôle total de l’occupation. Pas de squat ici, pas d’anarchie. D’abord un atelier, puis un autre. Petit à petit les espaces se sont remplis. Au bout de la cour, Alain Garcia a construit le théâtre du Griffy. Une salle de 80 places, faite de bois recyclé et d’ingéniosité.
C’est la particularité de l’endroit : il est encore plein de bois. Si Mimi maîtrise l’occupation de l’îlot, empêchant une réappropriation totale de l’espace par les artistes, elle encourage à l’utilisation du bois encore stocké. Alors les artistes recyclent le bois, et avec lui, les souvenirs de Mimi.

Un « lieu intermédiaire » dans la foulée des années 90

Deux autres espaces naîtront ainsi au fil des années. Les locaux « des occitans », qui construiront à l’entrée de quoi héberger plusieurs structures, dont La Rampe et Radio Lengua d’oc.
Et au centre, un projet de résidence, dont le fils de Mimi sera le maitre d’œuvre : la Réserve. Vaste structure en bois aménagée par un jeune architecte, Luc Albouy, et un artiste, Frédéric Amar-Khodja. C’est là que s’installera, en 2006, la Friche de Mimi, à côté des locaux occupés par l’Ardec, association de gestion des entreprises culturelles.
En quelques années, « l’îlot Vergne » est devenu « la Cour Vergne », la friche « de Mimi ».

4mimiweb
La pluralité des appellations perdurera. C’est souvent l’une des caractéristiques de ces lieux.
En 2000, le gouvernement prend conscience de l’importance de ce mouvement de réappropriation de sites industriels par des artistes, et va chercher à identifier, nommer, et éventuellement aider des « lieux d’expérimentation ». C’est Fabrice Lextrait2, l’un des fondateurs et administrateur de la Friche de la Belle de Mai, à Marseille, qui est chargé de prendre son bâton de pèlerin et d’ausculter « ces projets qui posent de manière originale et singulière les conditions de production et donc de réception de l’acte artistique ». Il en ressortira des appellations : lieux intermédiaires, nouveaux territoires de l’art, et une politique de soutien public de l’État, si tant est que les collectivités territoriales fussent convaincues de l’apport culturel et urbain de ces espaces d’expérimentation.
La Cour Vergne n’est pas dans les sites étudiés. En 2000, il ne s’agit encore que d’espaces loués à très bas prix par une propriétaire mécène.
Mais le rapport Lextrait va marquer l’époque, et contribuer à mettre sous les projecteurs ces lieux différents, qui tantôt sont des squats artistiques, tantôt des lieux de création, tantôt des lieux d’expérimentations plus ou moins ouverts sur la ville, avec, souvent, de fortes dimensions interculturelles, des volontés de réinvention du rapport au public. Des lieux intermédiaires, organisés le plus souvent dans un triple rapport à la création artistique, à l’action culturelle, et à une dimension que l’on appellera selon les cas citoyenne, urbaine, sociale, ou territoriale3.

De là émergeront des aventures durables, comme la Friche de la Belle de Mai à Marseille, L’antre-peaux à Bourges, Mix-Art Myris et l’Usine Tournefeuille autour de Toulouse, le Confort Moderne à Poitiers, le TNT à Bordeaux, Mains d’œuvres à Saint-Ouen… Certaines seront confortées par de forts financements publics et des labels nationaux comme Culture Commune dans le Pas de Calais, devenue Scène Nationale, l’Atelier 231 à Sotteville-lès-Rouen, la Paperie à Angers, labellisés Centres Nationaux des Arts de la Rue, ou le Brise-Glace grenoblois, devenu Scène de Musiques Actuelles. D’autres seront reprises directement en gestion par les collectivités territoriales, devenant par un oxymore une « friche institutionnelle », comme les Subsistances à Lyon, ou directement insérées dans un projet de réhabilitation public, comme le 104 parisien. Soufrières des années 90, voilà les friches érigées au rang de nouvelles maisons de la culture dans les années 2000.

Montpellier est passé à coté de l’histoire des friches artistiques

Rares sont les villes qui sont passées à côté de l’histoire des friches. Montpellier en fait partie.
Pour sa décharge, la capitale régionale est dépourvue de toute tradition industrielle. Les anciennes usines sont rares, les lieux où expérimenter ne sont pas légion.
Pourtant, les années 1990 et 2000 comportent leur lot d’expériences, et de projets avortés.
Au milieu des années 90, des artistes investissent l’ancien bâtiment de la CRAM, avenue de Lodève, avant démolition. L’expérience est de courte durée, et l’équipe investit en 1997 un autre lieu, l’ancienne coopérative viticole, rue Saint Cléophas. Elle y restera 7 ans, le temps de porter un projet de réhabilitation soutenu par la DRAC et la Région, qui avortera finalement du fait du très faible engagement municipal.
Dans ce début des années 2000, un autre lieu devient friche, les anciens entrepôts textiles Agniel, près de ce qui devient alors Port Marianne. Avec Changement de propriétaire, ce sont cette fois des danseurs et des plasticiens qui investissent un territoire. Là encore, l’aventure s’arrêtera avec le revirement de la municipalité, qui avait pourtant acté le rachat des entrepôts textiles au début de l’année 2003.
Les deux opérations, la Coopérative et Changement de Propriétaire, ne manquent pourtant pas d’atouts pour réussir, si on les compare aux autres expériences françaises du moment : des équipes artistiques émergentes, un projet porté par un ou des référents crédibles, un modèle économique plutôt moins fragile que d’autres exemples français d’alors. C’est essentiellement sur les questions de gouvernance du lieu, et donc de pilotage du projet artistique, que les négociations achopperont. Le laboratoire, la friche, le lieu intermédiaire contiennent intrinsèquement une valeur anxiogène pour les pouvoirs publics. Angoisse sur la nature de l’engagement, angoisse sur ce qui en émergera. Ce sont encore les années Frêche, et la politique culturelle, faite d’institutions rayonnantes et de régies municipales de quartier, est marquée par une volonté de contrôle politique.
Dans la cour Vergne, la problématique est bien différente. Les artistes et les structures culturelles qui y logent bénéficient de la protection de leur mécène. Elle ne cherche pas un projet, mais un entourage. La Cour est une cour, pas un laboratoire, ni une friche artistique. Ce n’est pas une terre à l’abandon que les artistes gagneraient sur la mer, comme l’entend son étymologie batave. Ce que les usagers ont en commun, c’est d’abord la cour. Le projet commun est absent des premières années. Alain Garcia, fondateur du théâtre du Griffy et l’un des premiers occupants, nous confiera ne pas avoir pris l’exacte mesure de l’endroit. « Je n’avais pas mesuré qu’en m’installant ici j’étais rentré chez quelqu’un qui vivait une autre histoire. Je n’avais pas mesuré que Mimi voulait garder le contrôle de l’espace, et des accès. Du coup, la cour s’est fermée sur elle-même. La Rampe a construit ses bureaux là où Mimi voulait qu’ils les construisent, dans l’ouverture. Alors qu’on aurait dû ouvrir par l’autre entrée, par la rue Antérieu, avec un accès plus direct sur Figuerolles. »

« Je n’avais pas mesuré qu’en m’installant ici j’étais entré chez quelqu’un »

Vers le milieu des années 2000, les locataires de Mimi Vergne se sont rendu compte d’une autre évidence : ils étaient dans une situation viagère, au sens premier du droit public : Qui dure pendant la vie d’une personne déterminée. Leurs baux, économiquement intéressants, ne seraient pas renouvelés lorsque Mimi disparaîtra.
Non pas que les enfants de Mimi tiennent à tout prix à ce qu’ils partent. Mais que la réalité de la succession les obligerait à vendre pour payer les droits.
Dans ce que l’on appelle aujourd’hui la Friche de Mimi, la nécessité d’un projet collectif et d’une ouverture marquée sur le territoire s’est fait jour. Le collectif de la Friche, animé notamment par Florence Bernad (Groupe Noces) et Mathieu Lambert (le Garage Électrique) a cherché à dépasser le seul enjeu d’une mutualisation de locaux et de personnel pour s’ouvrir, à travers des animations, des moments de restitution, de convivialité aussi. Pour faire exister une âme collective, et acquérir suffisamment de notoriété et de reconnaissance pour s’assurer un soutien fort des collectivités le jour où la question de la succession se posera.
Car les structures présentes sont toutes ou presque soutenues, à des degrés divers, par les collectivités territoriales, et parfois l’État. Pour autant, que ce soit les soutiens financiers cumulés, les investissements passés, ou le projet collectif, rien ne garantira leur présence future. De cela, les animateurs de la Friche sont conscients. D’autres lieux, beaucoup plus emblématiques et dotés d’un projet plus ancien et plus affirmé ont cessé du jour au lendemain devant des impératifs de sécurité, ou devant la pression immobilière. La friche R.V.I. à Lyon, le Totem en Lorraine, la Caserne D’Angély à Nice témoignent de cette précarité.
Pour Jonathan Chevalier, le nouveau directeur de la Vista, la précarité, le risque, est la substance de l’activité artistique. Et l’incertitude, celle d’un théâtre. « C’est notre jeu quotidien. On est dans le spectacle. C’est un risque permanent. Un risque pour les artistes qui montent sur scène, un risque pour le théâtre qui doit remplir. La question des locaux est un risque de plus. On doit juste s’y préparer, et être capable de s’y adapter ». Jonathan a le calme de l’expérience. En 2012, le théâtre nîmois qu’il administrait a du fermer ses portes pour des raisons similaires. Les héritiers, mis en demeure de payer les droits de succession, ont vendu le théâtre auquel ils tenaient tant. Le Mobile Homme Théâtre a quitté le quartier Richelieu pour se réinventer dans une péniche. Mais l’histoire ne se reproduit pas, et la Vista n’a pas de projet nomade. Alors Jonathan sensibilise, questionne les collectivités territoriales, essaye de réduire les marges d’incertitudes dans une politique culturelle qu’il décrit comme un « savon qui glisse ». Sa seule certitude, c’est que La Vista n’aura pas les moyens de se reconstruire un théâtre si elle doit déménager. Mais il nourrit l’espoir que ce théâtre familial de proximité aura suffisamment fait la preuve de sa nécessité pour que les collectivités l’aident à rebondir, ou à rester.

« le risque c’est notre jeu quotidien. On doit juste être capable de s’y adapter »

Car la messe n’est pas dite, tant s’en faut. En 2010, la ville de Montpellier, alertée sur les inquiétudes de ces acteurs culturels, a posé un périmètre d’étude sur l’îlot Vergne, compte tenu de son importance culturelle. En d’autres termes, la Mairie pose le fait que la vocation culturelle du lieu doit être en partie maintenue, et le périmètre d’étude permet à la municipalité d’intervenir sur les futurs permis de construire.
Et des offres, il ne devrait pas en manquer. 5 000 m2 constructibles, en lisière de centre-ville, près d’accès routiers majeurs, même à Figuerolles, ça représente une opportunité d’aménagement. En 2011, une opération du même ordre est sortie de terre à deux pas de chez Mimi : la reconversion du site de l’ancienne CAF, rue Chaptal. Plus d’une centaine de logements ont été construits, dont un tiers de logements sociaux. Si la partie sociale a été financée sur des fonds publics (près de 5 M€), la partie privée (la résidence Grand Air) s’est commercialisée à plus de 20 M€. Le prix d’achat, lui, n’est pas connu.
Pour l’îlot Vergne, l’estimation varie selon une large fourchette en fonction des interlocuteurs. Sur les 5000 m2 des anciens entrepôts, un aménageur peut espérer construire 10 000 m2 habitables en R+3 (un rez-de-chaussée + 3 étages). Mais il doit composer avec la nécessité de parkings (une place pour 50 m2 habitables), pour être aux normes et espérer une commercialisation à 3000 € le m2. L’enjeu est donc de taille, et le prix d’achat à la famille Vergne estimé entre 1,5 et 5 Millions d’euros.
Mais pour l’une des expertes immobilières interrogées pour notre enquête, la contrainte de conservation d’une vocation culturelle, fût-elle à minima, change quelque peu la donne. « Lorsqu’il y a des contraintes assez fortes de ce type, avec la nécessité de financer l’investissement d’un équipement public, ce n’est pas forcément le mieux-disant, celui qui achète le plus cher, qui remporte la mise. Mais plutôt celui qui comprendra le mieux ce que veut la collectivité, et comment elle peut monter le projet le plus acceptable, tout en lui gardant un seuil de rentabilité important ».
Reste à comprendre ce que veut réellement la collectivité. Répondant à une question en conférence de presse, le 15 octobre 2014, Philippe Saurel, maire et président de la Métropole, déclarait « Si ils vendent à des promoteurs, les promoteurs seront obligés de discuter avec la ville, et là nous serons en capacité de leur demander des mètres carrés culturels. Parce que c’est un périmètre d’étude culturel, autour de l’îlot vergne. Lié à la culture. On a une protection du lieu grâce à la culture. Cela permettra d’intervenir sur les permis de construire, et de garder une présence culturelle forte dans ce lieu. Parce qu’outre la friche de Mimi, outre le théâtre, outre les radios associatives, outre le milieu occitan qui est très présent, on a là un lieu de culture très populaire qu’il convient de garder dans les anciens ateliers de la menuiserie Vergne. »
Aujourd’hui, les structures culturelles de la cour occupent près de 3000 m2. Dans la cour, personne n’a l’illusion que tout le monde pourra rester. La question est donc de savoir qui, et, dans quelles conditions.
Pour y voir semble-t-il plus clair, la Ville a commandé en 2014 une étude précise du potentiel urbanistique, et du potentiel économique des structures culturelles en présence au cabinet d’urbanisme Ubak. Mais le diagnostic, terminé début 2015, n’a toujours pas fait l’objet d’une communication municipale4.
Cette situation d’attente nourrit les angoisses de ceux qui veulent rester, ou qui ne savent pas où aller. Et les certitudes de ceux qui savent qu’il leur faudra inventer autre chose, un autre modèle, une autre implantation. Alors ils cherchent à anticiper, tout en maugréant contre l’absence d’anticipation des politiques culturelles.
L’avenir de la cour Vergne est toujours en friche.

*Ce texte est la version augmentée en notes et liens d’une enquête parue dans ce bijou de presse culturelle gratuite qu’est Let’s Motiv Méditerranée, au mois de juin 2015
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  1. Thierry Arcaix, Le quartier Figuerolles à Montpellier, imaginaire et lien social. 

  2. Fabrice Lextrait, Une nouvelle époque de l’action culturelle, rapport à M. Michel Dufour, secrétariat d’État au Patrimoine et à la Décentralisation Culturelle, mai 2001. 

  3. Philippe Henry, Quel devenir pour les friches culturelles en France ? D’une conception culturelle des pratiques artistiques à des centres artistiques territorialisés.  

  4. et au moment où ces lignes étaient publiées, la Ville de Montpellier n’avait répondu à aucune de nos nombreuses sollicitations