« Je ne voterai pas pour la liste sur laquelle tu es. Même si c’est vrai que de l’intérieur on semble pouvoir faire bouger plus les lignes, on hypothèque les vraies ruptures, constructions alternatives, dont la ville (le pays) a besoin… »
Je prends ce message pour incipit1, mais j’aurais pu en prendre d’autres, tournés différemment, qui posent la même question, celle de la participation des écologistes aux gouvernements, quelle que soit l’échelle du territoire. Une interpellation qui m’est adressée, comme elle est adressée à toutes celles et ceux qui s’engagent pour gouverner au sein d’une majorité plurielle, quel que soit le rapport de force et les modalités qui président au futur rassemblement.
La participation hypothèquerait, donc. Elle engagerait l’avenir en fonction d’une chose que l’on espère pouvoir acquérir, elle créerait de ce fait une obligation susceptible de compromettre l’accomplissement de quelque chose.
C’est une chose de le dire, c’est autre chose de le démontrer. Hormis le fait que les avancées seraient certainement autres si l’écologie était majoritaire politiquement, qu’est-ce qui permet de dire que la participation aux exécutifs hypothèque les vraies ruptures ? Quels sont les éléments tangibles qui permettent d’étayer cette affirmation ?
Lorsqu’on constate qu’une part très importante du programme fondamental des écologistes s’est diffusée dans le corps social autant que dans le corps politique, et que, si d’autres que nous le mènent, le résultat est souvent du seul greenwashing, peut-on considérer que la non-participation permet de lever l’hypothèque ? Ou n’est-ce pas plutôt l’inverse ?
Il y a lutte, y compris au sein de la formation qui porte l’écologie politique, contre ceux qui se servent du label écolo comme un simple étendard. Qu’est-ce qu’on fait ? On leur laisse le terrain libre ? Dans ce cas là, quelle est l’alternative ? Porter le discours ailleurs, autrement, construire une autre formation politique ? Essayer de reprendre la main sur un outil déjà construit ? Et si on y arrive pas, on laisse filer ?
J’aimerais bien me contenter de cette vision éminemment romantique qui affirme que tant que les conditions ne sont pas réunies pour gouverner idéalement, il faut s’abstenir de gouverner. Non pas que cette position soit rassurante pour l’avenir, mais parce qu’elle permet de rester dans un confort intellectuel, celui de ne pas avoir à affronter les contradictions de la société que l’on souhaite pourtant représenter et changer, et celui de ne pas avoir à affronter ses propres contradictions.
Mais en fait, non, je n’aimerais pas. L’histoire politique m’enseigne une chose à propos du romantisme politique, c’est qu’il n’a que deux débouchés : l’impuissance et le totalitarisme. Donc, jusqu’à ce qu’on me démontre que l’hypothèque est vraiment du côté de la participation, et non l’inverse, je continuerai à lutter à l’intérieur du champ démocratique qui s’impose à nous, plutôt que de témoigner de mon impuissance depuis l’Aventin, en exhortant une plèbe – qui n’existe plus – à prendre d’assaut un mont sacré – tout aussi inexistant.
Ça ne revient en rien à dire que c’est le seul mode d’action politique, qu’il est exclusif d’une pollinisation par d’autres vecteurs.
La pollinisation, cet emprunt politique au comportement des abeilles, qui portent par leur activité quotidienne la possibilité de la vie de proche en proche, est certainement ce qui différencie le plus l’écologie politique des autres courants du changement. Ce mode de diffusion des idées, par les associations, par l’adoption individuelle d’autres règles de conduite, par l’exemplarité de certains et la faisabilité de solutions techniques, n’est pas qu’une image, une métaphore. C’est le moyen pacifique et efficace de mener la seule révolution qui soit écologiste, la révolution copernicienne, celle qui vise à développer l’état de conscience que l’activité humaine est polluante, et qu’il faut limiter cette « empreinte » si l’on veut permettre aux générations futures de vivre encore sur cette planète.
La participation politique aux institutions qui gouvernent est la traduction, au cœur des appareils de pouvoir, de cette pollinisation. Elle en est le complément indispensable si, comme moi, on refuse la position romantique qui consiste à préférer l’infinité du désir aux satisfactions éventuelles, toujours disqualifiées parce que non idéales, et donc forcément décevantes2.
Les roses aussi ont besoin d’être pollinisées – Crédit photo : Michael Vincent Miller