Cher Gaëtan Gorce

Je viens de lire ton interview au Monde, dans laquelle tu déclares que “malheureusement, tu songes à quitter le PS presque tous les jours”. Du coup j’ai lu ton blog. Pas tout. Disons, les 10 derniers mois.
Du dernier billet, sur le système clanique, j’ai entendu l’écho des choses que j’avais souvent dit et écrit durant le quart de siècle que j’ai passé à militer au PS. Urgence de rénovation, fermeture démocratique, aveuglement social, dégoût jusqu’à la nausée des pratiques clientélistes.
Pendant plusieurs années, comme toi aujourd’hui, j’ai songé à quitter le PS presque tous les jours. Je l’ai fait en 2010. Après le congrès de Reims, j’en étais arrivé à la conclusion que ce parti n’était plus réformable de l’intérieur, et que j’avais été bien fou de croire si longtemps qu’il était possible de le faire. Il faut dire que j’habite en fréchie, et que j’étais lassé d’être l’opposant de service.
Pourtant, et contrairement à ce que certains de mes ex-camarades ont cru, et croient encore parfois, ce n’est pas tant le fonctionnement interne de ce parti, son incapacité à faire vivre une démocratie, sa sempiternelle reproduction d’une organisation du pouvoir fidèle en tous points au modèle social qu’il est censé combattre, un système fait de féodalités, d’accumulations de capitaux politiques et symboliques, de verticalité et de partage rigide des fonctions sociales. Tout celà n’est pas propre au Partis Socialiste, c’est la gangrène de toutes les formations issues du mouvement ouvrier français.
Non, ce qui m’a fait quitté le PS et rejoindre Europe Ecologie, c’est ce que tu amorces dans un autre billet de ton blog, une réponse à Gérard Grunberg sur la social-démocratie, lorsque tu écris :
“La crise que nous affrontons n’est pas le énième épisode d’une alternance cyclique entre phases d’expansion et de ralentissement. C’est au contraire une mutation du système économique tout entier provoquée, entre autre par la crise énergétique, et conditionnée par la problématique du réchauffement climatique et du recul de la biodiversité. C’est dans cette perspective, qu’à l’instar de la crise de 29, les socialistes doivent se placer. Et c’est cette pédagogie qu’ils devraient faire : celle d’un éco-socialisme faisant jouer, pour organiser la société autour de la recherche du bien commun, à la question environnementale le rôle qu’a pu tenir au XXème siècle la question sociale.”
En d’autres termes, je suis parti parce que j’étais convaincu que, parce qu’il ne comprenait les crises que nous avions à affronter, le PS était dans l’incapacité d’y aporter des réponses.
Dans les années qui ont précédées cette décision, trois rencontres m’ont permis de radicalement changer mon approche de l’économique, du social et du politique.
Celle de Pierre Larrouturrou, d’abord. Pierre n’est pas un grand stratège politique, mais c’est un grand économiste. C’est lui qui m’a fait rester au PS dans les dernières années, et c’est en travaillant avec lui et son groupe que j’ai révolutionné mes approches économiques, que j’ai compris la faillite de toute stratégie productiviste ou néo-colbertiste, et la nécessité d’inscrire un autre projet économique au cœur du projet politique.
Celle de Denis Robert, ensuite. Parce qu’il m’a fait comprendre combien il était indispensable d’analyser les circuits financiers, la puissance noire de ces mécanismes, et la nécessité, par conséquent, de lutter prioritairement contre la corruption et les paradis fiscaux.
Celle de Daniel Cohn-Bendit enfin, il y a longtemps. Lorsque, au détour d’une partie de pétanque à côté du Pic-Saint-Loup, j’ai entraperçu ce que pourrait être une autre organisation politique, plus horizontale que verticale, et un autre fonctionnement politique, fait de pollinisation et de dialogue égalitaire entre les différents milieux militants.
Je t’écris tout ça, cher Gaëtan, parce que tu me sembles amorcer ce tournant plus vite encore que la génération qui s’est échappée au Parti de Gauche au même moment où j’ai rejoins Europe Ecologie. Et qu’il faut continuer.
Je n’ai pas de conseils à te donner. Je ne sais pas s’il faut continuer à espérer changer l’appareil et le logiciel socialistes de l’intérieur, ou s’il faut le faire de l’extérieur.
Je ne crois pas à l’alternative du Parti de Gauche, même si elle a le mérite de porter, avec moult contradictions, un discours sur l’écologie politique.
Je sais qu’EELV n’est pas une réponse parfaite, qu’il faudra certainement dépasser le cadre qu’elle s’est donné à sa (re)naissance si l’on veut qu’un jour nos diagnostics et nos solutions soient majoritaires.
Mais c’est aujourd’hui le moins mauvais des cadres d’action dans lequel je puisse m’investir et me projeter pour changer le monde qui m’entoure. Et que c’est cette urgence qui prime.
Bienvenue dans l’écologie politique, camarade Gorce. C’est une alternative globale, et elle a besoin de force.
Et à très bientôt, où que tu ailles.

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