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De quoi ?

Georges Frêche est mort. Le temps de l’instrumentalisation de l’art est fini.

À l’approche de la ZAT Paillade, les articles de presse se multiplient,  pointant le risque de manifestations ou de violences pendant la sixième édition de ces Zones Artistiques Temporaires, cette fois implantée dans le grand quartier populaire de Montpellier. Combien de papiers dans la presse locale ? 3, 4, 6 ? Trop.

À force, la répétition interroge. Est-ce qu’on ne serait pas en présence d’un jeu malsain, qui consisterait à instrumentaliser l’objet culturel à des fins bien plus politiques ?

D’abord, il y a le couplet sur le coût.
La ZAT, c’est cher, insinue-t-on.
500 000 € par édition.

– Ouille, ma bonne dame, ça douille, dites-donc !
– Une demie patate ?!
– Mettre ça dans un quartier populaire, pauvre, qui connait la misère et la précarité, c’est un peu indécent, non ?
–  En plus c’est de la culture pour bobos, les gens des quartiers, ils s’en battent l’œil, du beau. 

Litanie de café du commerce, dans laquelle, en cherchant à délégitimer l’objet artistique, on distille sans même le voir un bon vieux fond de racisme social.

Chère, la ZAT ? Chère par rapport à quoi ? Au nombre de spectateurs ? C’est vrai, entre 20 et 50 000 suivant les éditions, ça fait peu…
Quand Euterp, l’association qui chapeaute l’Orchestre et l’Opéra, remonte une pièce, certes magnifique, pour 800 000 € et 3 représentations qui rassemblent 6000 personnes, et rapportent 150 000€ de billetterie, c’est cher ?
Chère par rapport à quoi ? Au niveau de vie de la population qu’elle veut toucher ? Parce que la culture pour les pauvres, il faut qu’elle soit pauvre ?
Quand on annonce qu’on va couvrir le stade de la Mosson et faire des parkings autour, le tout pour 50 millions d’€, c’est pas trop cher pour le quartier ?
Ce débat a le don de m’énerver.

Je ne suis pas en train de défendre à tout prix les ZAT.
J’aime ces manifestations, dans ce qu’elles sont. Elles ont permis de relancer une politique culturelle municipale qui était à l’agonie, même pas digne d’une ville de moins de 50 000 habitants.
Elles ont permis de sortir l’art des murs dans lesquels une politique culturelle uniquement axée sur le rayonnement d’institutions labellisées l’avait confiné.
Elles touchent, par ce fait, un autre public, beaucoup plus large. Loin de n’être qu’un public d’habitués de l’art, de spectateurs professionnels.
Elles croisent la politique culturelle avec la ville dans son ensemble.
Toutes choses que je défends depuis longtemps, et que j’ai trop longtemps prêché dans le désert.
Ça ne signifie pas que tout est bien.
La Zat Paillade, pour la 1ère fois, a entrepris sérieusement un travail en amont de la manifestation. Avec une implication d’équipes sur le territoire, un travail de pratiques amateurs, de médiation, qui n’avait pas été mené jusque-là.
Ce n’est pas un reproche, le “jusque-là”. Il a fallu imposer la manifestation. Artistiquement, d’abord. Politiquement, ensuite. Et ce ne fut pas facile.
La médiation, le travail en amont, est un nouvel étage. Nous aurons deux jours pour juger de ce qu’il apporte.
Il manque encore deux étages pour que le travail soit global.
D’une part, il faudra que la Ville associe d’autres collectivités pour permettre aux équipes artistiques qui œuvrent dans l’espace public de travailler sur le long terme. L’objectif, à terme, est que Montpellier accueille une fabrique des arts de la rue qui manque cruellement en région.
D’autre part, et c’est l’inquiétude que pointent certains acteurs du quartier, la mobilisation en amont des ZAT devra déboucher sur une nouvelle politique culturelle dans les quartiers. Parce que si la ZAT Paillade réussit dans son ambition, elle créera des attentes. Et la Ville devra répondre à ces attentes. Et avec elle, les autres niveaux de collectivités, pour que les Zones Artistiques Temporaires laissent après elles des territoires permanents de la culture.

Alors profitons de ces échos polémiques infertiles pour le dire tout haut à nos édiles :

“Georges Frêche est mort, le temps de l’instrumentalisation de l’art est fini”.
Ce territoire a cruellement besoin de repenser toutes les politiques culturelles mises en œuvre depuis 30 ans. L’incapacité des différentes collectivités à envisager le renouvellement des équipes et des projets est inquiétante. Leur incapacité à travailler correctement ensemble est catastrophique. Ce que nous attendons collectivement de nos responsables est qu’il prennent sérieusement cet enjeu en main, pas qu’ils fassent des artistes les otages de leurs compétitions stériles.

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Allez, bonne ZAT.

(photo : Libre comme l’air, projet Li Wei – Zat Paillade)

De quoi ?

Toutes ces éoliennes qui défigurent les paysages de la Drôme et de l’Ardèche

Je viens de lire un papier d’Hervé Kempf dans le Monde du 8 mars dernier, et la réaction à ce papier d’un collectif anti-éolien de Lozère.
Hervé Kempf écrit : “En Languedoc-Roussillon, le développement de l’éolien est entravé par l’hostilité des collectivités locales. L’Aude et la Lozère s’opposent au schéma régional au nom de la protection de leurs paysages” (pour lire les commentaires du collectif, et la publication – reproduite illégalement – du papier d’Hervé Kempfc’est ici).

Ils ont raison, ces défenseurs du paysage. Quand on voit toutes ces éoliennes qui défigurent les paysages de l’Ardèche et de la Drôme, on les comprend. Tiens, à Tricastin, par exemple, ces éoliennes affreuses :

Tricastin

J’ai grandi en partie à Lyon, dans une région industrielle, à laquelle on accède, en venant du Sud, en traversant “le couloir de la chimie”, qui serpente le long du Rhône. Ici voisinent une vingtaine d’installations industrielles classées “seuil haut”, et une dizaine de “seuil bas”. Installations populairement dénommées “usines Seveso”.

Mais là n’est qu’une périphérie du propos. Le couloir du Rhône, de l’amont de Lyon aux Côtes-du-Rhône, c’est aussi une concentration, sur 200 kilomètres, d’usines nucléaires qui ont toutes plus de 25 ans.

Bugey, 4 réacteurs mis en service en 1979-80, à 40 km au Nord-Est de Lyon ; Saint-Alban, 2 réacteurs mis en service en 1985-86, à 40 km au Sud de Lyon ; Cruas, 4 réacteurs mis en service en 1983-84, à 30 km de Valence et 15 de Montélimar ; Tricastin, 4 réacteurs mis en service en 1980-81, à 20 km au sud de Montélimar, 100 km de Montpellier.

En tout, 12 des 58 réacteurs à eau pressurisée français, qui produisent 21,5% de l’électricité nucléaire française, pour tout le grand quart sud-est.

En d’autres termes, un lozérien ou un audois utilise 75% du temps de l’électricité produite par un de ces 12 réacteurs. Qu’il voit loin de lui. Qu’il ne voit pas.

Et je n’oublie pas que ce couloir du Rhône est également le site de nos expérimentations nucléaires : le défunt Phœnix à Creys-Malville, Marcoule, ses trois réacteurs graphite-gaz arrêtés en attente de démantèlement, ses centres de recherches désuets et son projet Astrid, et Cadarache, centre d’expérimentation civil et militaire, et ses 20 installations.

Toutes ces installations nucléaires sont situées sur une zone de danger sismiqueofficiellement évaluée par le BRGM depuis 2010.

Alors je te le dis à toi, lozérien, audois, ou d’ailleurs, qui refuse le développement de l’éolien près de chez toi : tu as le droit de te battre pour que les normes de l’éolien soient plus respectueuses du paysage, pour que l’énergie produite par les champs éoliens prêts de chez toi soit d’abord au service de ton territoire.

Mais avant de t’engager dans des combats d’un égoïsme assourdissant, tu devrais avoir une pensée pour le million de personnes qui vivent le long du Rhône, exposées au risque nucléaire le plus fort, et qui échangeraient bien l’éolien contre leurs réacteurs en fin de vie, mais toujours prolongés, et qui produisent l’électricité de ton confort quotidien.

Photo de couverture : Les couleurs de demain. Centrale fonctionnant au géranium enrichi. ©Musée du vivant-AgroParisTech