Category Archives: On peut en rire

On peut en rire

La politique d’élimination des cyclistes

Au début, quand les services de la ville ont mis les premiers pans coupés en pierre bien lisse dans la première « zone de rencontre » de Montpellier, la rue Marioge, on s’est dit qu’ils étaient juste idiots, les services. Une « zone de rencontre », vous voyez ce que c’est ? C’est une rue semi-piétonne, où les voitures et les motos et les camions doivent rouler à 20 km/heure maximum, et où tous les autres – piétons, poussettes, vélos, trottinettes, skate-board, etc – sont prioritaires. Dans les autres villes, on traite la chaussée de ces zones comme des rues piétonnes : on met tout à plat, en dessinant le passage des voitures au sol. Rue Marioge, à Montpellier, ils ont gardé les trottoirs, et remplacé les bordures par des pans inclinés en pierre bien lisse. Les gens de l’association de quartier, Arceaux Vie Active, ont râlé, expliqué que ces pans inclinés, c’était trop casse-gueule pour les vélos, que ça allait être dangereux. Les services ont marmonné, et tout le monde a bien compris qu’il fallait déjà être heureux qu’ils l’aient fait, la zone semi-piétonne.

On s’est dit que c’était un raté.
Pourtant, dans les années 80, la ville nous avait déjà fait des perles. De la pierre bien glissante sur la place de la Comédie et la rue de l’Ancien Courrier. De vrais casse-gueule dès que c’est un peu mouillé. Mais c’était il y a longtemps, on ne pensait pas au vélo.
Ensuite il y a eu les portions de ligne de tramway, avec les mêmes pierres bien lisses, et les rails de tramway huilés. Mais là, nous, les cyclistes, on n’avait pas le droit de râler, puisqu’on était pas censé les emprunter, ces portions de ligne de tramway. Les livreurs, oui. Les taxis, oui. Les bus, oui. Mais les vélos, non. Les vélos, ils vont sur la voie d’à côté, avec les voitures. Si,si, c’est comme ça chez nous.
Bon, depuis le temps qu’ici, on pédale sur des fausses bandes cyclables à peine tracées sur la chaussée, coincées entre les voitures qui roulent et les voitures garées qui te bouffent un bout de ta bande roulante, on savait bien que notre sécurité n’était pas leur priorité. Mais dans le centre-ville, hormis sur la Comédie et l’Ancien Courrier, on pensait pouvoir rouler sans avoir peur.
Et puis il y a eu la rue Marioge, donc, et ces pans coupés casse-gueule.
Et ils ont récidivé !

D’abord, il y a eu le grand n’importe quoi de la montée du Peyrou. Là, ils y sont allés fort. Ça glissait tellement que les bus ont été obligés de changer d’itinéraire, et que même pour les voitures, c’était l’enfer à la moindre goutte d’eau. Du coup, maintenant, ils recouvrent les beaux pavés bien glissants avec une pellicule de ciment bien fin. C’est laid. Surréaliste et laid. Ça passe mieux pour les voitures, mais pour les vélos, c’est toujours un peu freestyle.
Puis il y a eu la rue du faubourg du Courreau. Elle aussi, zone 20, semi-piétonne. Et elle aussi, parée de ces pans coupés bien lisses et bien meurtriers.
Là, les cyclistes se sont dit : ils sont vraiment trop cons, dans cette mairie !

Mais on se trompait ! Ils ne sont pas cons, ils le font exprès !

Un matin d’octobre 2018, le Maire de Montpellier, président de la Métropole, a vendu la mèche. Il se faisait prendre à partie parce qu’il inaugurait un contournement de village sans piste cyclable. Au journaliste qui l’interrogeait sur le pourquoi du comment du fait qu’aucune piste cyclable nouvelle n’a été crée à Montpelier depuis son élection, il répondait benoitement :
À Montpellier, le vélo est utilisé, mais pas spécialement à l’intérieur du centre-ville.
Le journaliste : Il n’est pas utilisé, parce que justement il manque des infrastructures !
Et là, le maire a cette magnifique réplique : Vous savez, faire une infrastructure pour qu’elle soit utilisée par deux personnes, c’est peut-être pas l’idéal.
Deux cyclistes ! Ben oui, on va pas faire un truc pour deux cyclistes ! Hein ? Comment ? Ils sont vachement plus nombreux que ça ? C’est ce qu’on va voir !

Devant l’énormité de la sortie du maire, les cyclistes ont hurlé, ils se sont comptés à coup de hashtag #jesuisundesdeux, et ont vu pour preuve que cette ville n’avait pas de politique pour le vélo.
Mais ils ont tout faux !
Il y a une politique pour le vélo à Montpellier.
Les pavés qui glissent, les rails de tramway qui glissent, les pans coupés bien lisses, les gangs organisés qui piquent les vélos depuis des décennies, et qui font de Montpellier la capitale du vol de vélo, sans jamais une arrestation, ni une enquête, tout ça, c’est pas par hasard, c’est une vraie politique. La vraie politique du vélo à Montpellier, c’est d’éliminer les cyclistes !

Pas con, hein ? Un cycliste blessé, un cycliste sans vélo parce qu’il est volé, c’est un emmerdeur de moins sur la chaussée pour qui on aura pas besoin de faire des « infrastructures pour deux personnes » !

[Ajout] Depuis la naissance du hashtag #jesuisundesdeux, les élus de la Ville tentent de persuader les cyclistes que, ça y’est, ils ont compris, ils ont fait leur vélorution. À grands renforts de communication, de promesses électorales, ils tentent de faire croire que tout a changé. Ça marche tellement bien qu’en 2018, après la grande bourde fondatrice, le mouvement #jesuisundesdeux réunissait 1200 cyclistes sur le parvis de l’Hôtel de ville, et qu’en 2019, pas calmés du tout par les promesses, ils étaient plus de 3000 à fêter l’anniversaire d’un hashtag devenu célèbre en France et en Europe, et désormais synonyme de cette volonté de faire du vélo un objet fort des politiques urbaines.

et aussi, On peut en rire

Des nimbos, mon nimbus ! La fausse motivation

Il y a quelques années, je suis tombé sur les lettres de non-motivation de Julien Prévieux. Je ne me suis pas fait mal, et j’avais au contraire beaucoup apprécié l’exercice. À tel point qu’il m’arrivait d’en lire dans les périodes où la recherche d’emploi devenait pour moi une préoccupation urgente et centrale (ce qu’elle est toujours, d’un certain côté, n’hésitez surtout pas si vous avez un poste à me proposer, je sais faire plein de choses avec ma tête).

À la faveur d’une annonce trouvée sur les internets, j’ai pris un temps de récréation pour écrire une fausse lettre de motivation en réaction à l’annonce. Il s’agit du recrutement d’une directrice ou d’un directeur des Affaires Culturelles de la ville d’Hénin-Beaumont, ville conquise par le Front National en mars dernier.

Culture, Front National, ce ménage impossible.

Une fois la lettre écrite, je l’ai posté sur les réseaux sociaux. Et les réactions m’ont amené à construire un projet artistique collaboratif à partir de cette base littéraire.
Ce petit post de blog est donc un appel à écriture : je cherche de bonnes plumes pour inventer de fausses lettres de motivation, ou de vraies lettres de non-motivation. Pourvu qu’elles aient des qualités littéraires, qu’elles soient drôles ou belles ou, mieux, les deux.
De cette compilation, je tirerais un recueil numérique, sous une forme que je n’ai pas encore déterminé. Un archipel de réactions, posé dans l’éther de nos vies numériques, et les nuages qui les relient. Parce que les internets sont d’abord un lieu de création et d’inventivité, avant que d’être colonisés par les marchands de tous ordres. Et parce que le geste artistique reste l’un des meilleurs moyens de lutte contre la bêtise, l’obscurantisme et le repli sur soi. En tout cas c’est ce que je crois.
Alors amies lectrices et amis lecteurs, lâchez-vous. Ecrivez, chantez, faites de l’audio, du dessin, un texte, une vidéo, tout ce que vous voudrez. Ecrivez bien ou faites des fautes intentionnelles, qu’importe. Soyez cohérent, intelligent, politique et poète. Envoyez-moi ça par mail, ou en commentaires ici-même.

Voilà la première lettre, l’incipit de cette œuvre collective.

À très vite.

F.

Lettre n°1

Monsieur le Maire,

C’est avec un grand enthousiasme que je vous fait part de ma motivation pour le poste de Directeur des Affaires Culturelles d’Hénin-Beaumont. La ville que vous administrez connaît un nouvel essor, et un rayonnement sans précédent, et je souhaite ardemment participer à cette renaissance par une politique culturelle ambitieuse et forte, ancrée dans l’identité de la commune.
Je n’ai pas toutes les qualifications requises par les grilles bureaucratiques, mais je sais que vous partagez l’idée puissante que les hommes s’élèvent par leur engagement, et que cette foi en l’intérêt général et en la préférence nationale sont plus importantes que de savoir si je suis un fonctionnaire de catégorie A ou C.
En outre, mes fonctions actuelles d’adjoint territorial du patrimoine, et ma formation initiale, m’ont préparé à cette ambition.
Ma formation initiale parle pour moi. Après une licence de droit et histoire de l’Art à l’Université d’Assas-Panthéon, j’ai obtenu un Master 1 « Médias, Information et Communication » dans cette même université, grâce notamment à un mémoire consacré à « La revue Éléments à l’heure du web 2.0. ».
À la suite de quoi j’ai pu intégré le DU Professions du marché de l’Art de l’université Jean Moulin Lyon 3, sanctionné par une mention Très Bien pour mon mémoire : « L’essor des collections privées d’Art en Bavière, et leur régulation par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, 1940-1945 ».
Mais cette déportation sur les problématiques allemandes a limité mes possibilités de carrière dans la filière patrimoniale. Ma force de volonté et de diversification m’a alors permis de multiplier les expériences dans différents domaines de la gestion des affaires culturelles.
J’ai ainsi été assistant du directeur de la salle des musiques de Vitrolles entre 2000 et 2002, puis assistant du directeur de la communication à la Mairie d’Orange, en charge des questions lyriques et patrimoniales, de 2002 à 2004. J’ai été ensuite assistant parlementaire de Monsieur Bruno Gollnish, député européen de la circonscription Est, pour lequel j’ai notamment travaillé à l’essor des coopération entre l’Alsace et la Bavière.
Depuis 2009, je suis chargé du projet de coopération culturelle avec Baden-Baden pour le Pays d’Alsace du Nord, poste que je cumule avec un temps partiel de secrétariat de la commune de Fort-Louis, dans le Bas-Rhin.
J’ai donc une expérience complète du domaine culturel, et c’est avec un sentiment de fierté que je porterai la flamme de vos ambitions nouvelles à Hénin-Beaumont.

Sincèrement,
Votre dévoué,

Francis Narèze

_ _ _ _ _

Source de l’image, ici.

On peut en rire

Portée par l’allégorie, Ségo s’emmêle les pinceaux dans la pucelle

SRParisienMag

Dans le numéro du 25 octobre du Parisien Magazine,  Ségolène Royal pose en liberté guidant le peuple, et elle « entend déjà dire qu’elle se prend pour Jeanne d’Arc ». C’est ce que nous rapporte Le Lab E1.

Aïe. Ségolène entend déjà des voix, mais comment lui dire  ? « La liberté guidant le peuple », ce n’est pas précisément Jeanne d’Arc. Lorsque Delacroix a peint son célèbre tableau, ce n’est pas à la pucelle d’Orléans qu’il pensait. Il évoquait une toute autre femme, une figure féministe de la révolution française, Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt.

« Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage, / Excitant à l’assaut un peuple sans souliers, / La joue et l’œil en feu, jouant son personnage, / Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ? »

Je ne sais si vous connaissez Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. Une icone. La 1ère figure de Marianne. Celle-là, donc, à qui Baudelaire dédiait ces magnifiques vers, dans une fleur du mal intitulée Sisina.

La fraternelle du Poitou se prend donc pour Théroigne de Méricourt. Pour la première Marianne. Ségo se voit en allégorie.

Ségo, faut que je te le dise. Se prendre pour Théroigne de Méricourt, c’est dangereux.

Parce qu’avant et après la séquence icono-révolutionnaire, Anne-Josèphe, c’est un numéro.
Avant que la révolution n’éclate, Théroigne de Méricourt est connue pour ses mœurs libres, et ses revendications libertines, au point qu’elle prête son nom au « Catéchisme libertin à l’usage des filles de joie et des jeunes demoiselles qui se décident à embrasser cette profession ». Un ouvrage inspiré, que les curieuses et les curieux trouveront en accès libre sur la toile.

Mais c’est après les barricades que tout se gâte. « La belle liégeoise » devient « la furie girondine », tant et si bien qu’un soir de 1793, elle est prise à partie par des jacobines qui la rossent, la dénudent et la fouettent en public. Théroigne, que l’on dit déjà fragilisée par la culpabilité d’avoir fait massacrer Suleau un an auparavant, plonge dans la mélancolie, et son frère la fait interner à la Salpétrière. Ce qui la sauvera de la guillotine, mais pas de la folie. Elle vivra recluse 23 longues années, le plus souvent nue, s’aspergeant d’eau glacée pour se purifier.

Allez, bonne journée et toute ma fraternitude.

Ah oui, juste un dernier mot. Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt a eu beau finir folle, ce n’est pas à sa détresse que la Folie-Méricourt doit son nom. Na.