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De quoi ?, et aussi

La nuit au grand jour

La nuit. Les heures sombres. Le temps de l’oubli. Le temps du repos.
La nuit. Les heures gaies. Les heures riches. Le temps de la fête. Le temps des ivresses.
La nuit. Les heures invisibles. Les heures des invisibles. Les heures oubliées.
Longtemps la nuit n’a pas existé. Le temps social s’arrêtait. Le temps politique s’arrêtait. La nuit était niée, les sociétés étaient convergentes, elles étaient cadencées. Métro, boulot, dodo.
La nuit était reléguée. Elle était, pour l’essentiel, le temps de l’intime. Mes nuits sont plus belles que vos jours, clamait encore Marie (Raphaelle) Billetdoux en 1985.
Quand elle était sociale, la nuit devenait affaire de mœurs, de police. C’était la nuit de « tous les chats sont gris », le temps où l’on ne distingue pas les gentils des méchants, le moment où la délinquance se glisse sans être vue.
Et puis, bien sûr, il y avait la nuit des canailles, la nuit où l’on s’encanaille, la nuit des ivresses.
C’est par elle que la nuit est d’abord revenue sur l’agenda des politiques. Quand, sous la pression de riverains, les établissements de nuit des grandes villes ont commencé à avoir des ennuis. Le début d’une longue problématique de tensions entre « la ville qui dort, la ville qui travaille et la ville qui s’amuse », comme le résume le géographe Luc Gwiazdzinski, qui travaille depuis 10 ans à saisir les tensions entre l’espace et le temps des villes.
Mais la question de la nuit ne se limite pas à cette question de la cohabitation entre ceux qui font la fête et ceux qui veulent dormir. Elle prend ses racines loin dans l’histoire des villes universitaires, et se déploie aujourd’hui dans une pluralité de dimensions sociales et urbaines, et s’alimente au marketing territorial autant qu’aux résistances culturelles.

« Elle n’est pas belle, ma nuit ? »

Gageons que nombreux seront les lecteurs montpelliérains qui se rappelleront de la campagne de communication municipale Montpellier, la ville où le soleil ne se couche jamais, du milieu des années 2000. Alors que la ville a, depuis plusieurs années, drastiquement appliqué la fermeture des bars et restaurants à 02 heures du matin durant les trois mois d’été, et 01 heure tout le reste de l’année, le marketing territorial continue de pointer son nez pour maintenir – à l’extérieur – l’idée d’une ville festive, à l’aune des grandes villes méditerranéennes. La maire de l’époque, Hélène Mandroux, n’hésite d’ailleurs pas à tailler la comparaison avec Barcelone, la voisine tant enviée.

montpellier soleil couche jamais
Il faut dire que depuis les années Frêche, la communication de la ville n’a eu de cesse de tenter de faire oublier que Montpellier, et avec elle quasiment toutes les villes françaises, sont des naines à l’aune de l’espace européen. Avec force communication, intégration dans des réseaux européens, arc méditerranéen et autres eurorégions chères aux géographes, Montpellier se hausse du col sur des estrades où figurent les métropoles voisines, fortes de leurs habitants par millions : Barcelone, Milan, Gênes, …
L’irruption d’une comparaison avec la vie nocturne des grandes villes espagnoles prête tant à sourire qu’on se demande encore, 10 ans après, comment une telle idée saugrenue a pu surgir des cerveaux des communicants de l’institution. Depuis de nombreuses années, la capitale héraultaise a raccourci ses nuits, et réussi à migrer le gros de l’industrie festive en périphérie. Aucun bar de nuit. Ne restent en ville que quelques établissements musicaux. L’emblématique Rockstore, et quelques caves transformées en boîte de nuit, si possible à la périphérie du centre historique, pour accueillir une jeunesse étudiante polyglotte.
La vie estudiantine nocturne ne date pourtant pas d’hier. Montpellier doit à ses universités son essor historique, et une bonne partie de son dynamisme économique et démographique. En accueillant plus de 60 000 étudiants, elle est aux premiers rangs des populations étudiantes françaises.
De tout temps, l’Écusson, le centre historique, a été le terrain de jeu préféré des étudiants montpelliérains. Ils y ont longtemps bénéficié d’une impunité quasi totale. Au moyen-âge, les privilèges accordés aux universités – les « libertés et franchises universitaires » – permettaient aux « disciples » comme aux « maîtres » d’échapper à la justice locale, pour n’être redevables que devant les juridictions universitaires et, pour les faits les plus graves, devant les juridictions ecclésiastiques, beaucoup plus clémentes. Les nuits de Montpellier la médiévale étaient agitées de bagarres entre étudiants, de crimes, parfois.
Si ces « franchises » se sont, dès la révolution, cantonnées aux enceintes des universités, la ville a continuer à battre au rythme des temps universitaires, et la fête estudiantine constitue, au moins à égalité avec l’excellence des formations, l’un des principaux facteurs d’attraction des universités.
Jusque dans les années 2000, l’Agem, la grande et puissante fédération des corporations étudiantes, était d’abord connue pour être l’une des plus attrayantes boîtes de nuit du centre-ville. Dans ses locaux historiques de la rue de la Croix d’Or défilait chaque année une jeunesse montpelliéraine qui venait danser, chanter, boire à moindre coût, flirter. L’époque est révolue.
L’augmentation du prix de l’immobilier dans le centre-ville a amené une nouvelle population, plus aisée, qui aime vivre en centre-ville, mais veut la paix nocturne. Le droit au silence, comme se nomme l’une des associations les plus actives.
Négociés avec la municipalité, les arrêtés préfectoraux ont restreint les heures d’ouverture des établissements. La nuit montpelliéraine est désormais plus proche d’une ville de province que d’une capitale.
Non pas que les problèmes ne se posent pas ailleurs et de façon similaire. À Paris, la tension entre les riverains et les activités des « loisirs nocturnes » s’est fait sentir dès les années 2000. Sous la pression des phénomènes de gentrification, c’est à dire, beaucoup plus clairement, d’embourgeoisement, les quartiers populaires et traditionnels de le nuit parisienne ont commencé à vivre les conflits. Ceux-ci se sont d’abord focalisés autour des cafés-concerts, des bars musicaux. À travers l’organisation des États généraux de la nuit, l’idée d’une charte nocturne, ou, plus spécifiquement comme à Lyon, d’une charte des bars musicaux, s’est fait jour. Aide à l’insonorisation, information et sensibilisation des clients, médiation avec les associations de riverains, toute une panoplie s’est déployée, avec plus ou moins de succès, pour faire cohabiter la ville qui dort et la ville qui s’amuse.
Autour de cette première prise en compte politique de la nuit, deux courants ont convergé : la question des temps multiples, et celle d’une médiation, d’une régulation spécifique des activités nocturnes.

La nuit est-elle notre prochain horizon politique ?

La question des temps est récente. Longtemps nos sociétés ont été cadencées. Les temps de travail étaient peu ou prou les mêmes, les temps des loisirs aussi. La nuit était le temps des marges, et des marginaux.
L’individualisation des sociétés, l’exponentielle diversification des activités, la mondialisation des communications, tout cela a concouru à augmenter l’amplitude temporelle des activités humaines. Insidieusement, le continent de la nuit se fait coloniser. « Le temps en continu de l’économie et des réseaux s’oppose au rythme de nos corps et de nos villes. Le temps mondial se heurte au temps local », écrit Luc Gwiazdzinski. Dès lors, la question du temps des services publics se pose. Lorsque notre propre activité régulière est décalée, comment accéder aux services publics ?
C’est en Italie que la question des temps des politiques publiques a émergé. Dès les années 1980, des mouvements féministes italiens ont demandé la reconnaissance d’un « droit au temps » pour les mères de famille, avec, comme corollaire, un renforcement de la coordination des horaires des services urbains : transports, enfance, accès aux guichets administratifs, aux équipements sportifs et culturels.
Progressivement, des bureaux des temps sont apparus au sein de collectivités publiques, en Italie, en Allemagne, et plus tardivement en France. Mais rares sont encore ceux qui s’occupent de la nuit.
Christophe Vidal, maire de la nuit de Toulouse. Crédit photo Jean Chiscano
C’est dans les pays où la nuit est la plus longue que d’autres types de régulation publique sont apparus pour traiter des activités nocturnes. Dans les grandes villes du Danemark ou des Pays-Bas est née l’idée du conseil de la nuit. Les nuits nordiques sont, il est vrai, sensiblement différentes. Quinze heures de nuit l’hiver, quatre l’été, font que la perception physique de la nuit est différente. C’est là, dans ces grandes villes, qu’est née l’idée d’un maire de la nuit. Si la nuit porte conseil pour ceux qui dorment, alors la nuit doit avoir son propre conseil avec ceux qui y vivent.
Ces expériences se sont d’abord constituées autour des tensions entre les activités festives et les riverains. Les premiers maires de la nuit étaient des noctambules, cela va sans dire, mais pour la plupart issus du milieu festif. C’est en 2013 que les maires de la nuit sont apparus en France, à Paris, à Rennes, et à Toulouse. À l’origine de l’initiative, des professionnels de la nuit, le collectif Culture bar-bars et l’association Technopol. Si Nantes et Paris ont élu des maires noctambules, usagers de la nuit, Toulouse a fait un choix quelque peu différent. Christophe Vidal, éditeur de Minuit, le magazine d’exploration nocturne, a rapidement élargi l’activité de l’association Toulouse Nocturne à l’ensemble des questions soulevées par la nuit : transports, sécurité, santé, économie. Mi-lobbyiste, mi-médiateur, il auditionne les candidats aux élections, et cherche à sensibiliser les décideurs de tous poils aux questions du champ nocturne. « Je me suis attelé à ce triptyque : comment concilier ces trois villes : celle qui veut dormir, celle qui veut travailler et celle qui veut s’amuser ». Trop souvent, les élus ne s’intéressent à la nuit que parce qu’il y a un conflit d’usage, ou parce que la nuit est prétexte à un évènement. Les « nuits blanches » parisiennes, la « fête des lumières », généralisation progressive d’une tradition populaire lyonnaise élevée au rang d’attraction touristique majeure, ou, plus ponctuellement et modestement, une « nuit des étoiles », une « nuit du cinéma de plein-air », un « trail de nuit » urbain. Christophe Vidal cherche à renverser la problématique, autour du quotidien de la nuit, espace-temps de plusieurs millions de travailleurs nocturnes, enjeu économique et touristique, mais aussi enjeu de santé publique, de prévention des risques. L’un de ses combats actuels concerne l’alimentation. « Il est interdit au restaurant d’ouvrir toute la nuit. Du coup, il est impossible de manger lorsqu’à 3 heures du matin on veut rentrer, et qu’il faut éponger l’alcool. Je veux obtenir l’autorisation pour que des food-trucks ou des restaurants puissent servir à ce moment-là. »

botellon
À Montpellier, la réflexion en est loin. Si Toulouse et Bordeaux ont beaucoup fait pour revitaliser leur vie nocturne, notamment en centre-ville, Montpellier n’a jamais eu à faire d’efforts. Mais elle est aujourd’hui dépassée par son inaction en la matière. À l’heure, trop précoce, de la fermeture des bars, des centaines, parfois des milliers de noctambules défilent dans les rues de l’Écusson et des faubourgs, pas assez fatigués pour rejoindre leurs couettes. Certains font la jonction avec celles et ceux qui boudent les bars, trop chers, et ont importé d’Espagne le botellon. Depuis une dizaine d’années, une partie de la jeunesse étudiante a délaissé les bars, et squatte l’espace public, places et jardins, au grand bonheur des épiceries de nuit qui récupèrent un marché d’importance. Alcoolisation excessive, bruit, déchets laissés sur place, le botellon crée des problèmes publics autrement plus difficiles à gérer que les relations riverains – patrons de bars. Elle pose de plein fouet la question de l’espace public, et de son utilisation nocturne. Une question essentielle dans les villes méditerranéennes, celle de la « civilisation de l’apéro ».
On l’élit quand, ce maire de la nuit montpelliéraine ?

PeyrouNuit

Ceci est la version enrichie en notes et liens d’un article paru dans le magazine Let’s Motiv n°60, ce petit bijou de la presse culturelle gratuite. 
LM60

De quoi ?, et aussi

Et ma fille, tu y as pensé, David ?

C’était en 1979. Je me rappelle le garage où l’on faisait la boum. Les garçons regardaient les filles, les filles regardaient les garçons, nous avions 13 ans tout mouillés. Il y avait des disques, des disques noirs, des vinyles. Nous écoutions de tout, et tout ce qui sortait.
Puis ta voix est sortie des enceintes. We could be heroes, just for one day.
Sur la pochette en noir et blanc, tu avais la position d’un automate. Tu étais d’une rare beauté. C’était la première fois que je te rencontrais. Je m’en suis souvenu dernièrement, quand The Next Day est sorti. C’était la même photo que sur la pochette de Heroes, barrée d’un rectangle blanc.
BowieOuttake
Ta musique ne m’a plus quitté. Des dizaines de tes morceaux ont jalonné ma vie. Tu m’as fait frissonner, tes concerts m’ont ébloui, toujours, tes albums émerveillé, souvent.
Tu as vieilli, tu étais toujours aussi beau, ta musique toujours aussi belle. J’ai su, nous avons tous su, que tu allais nous quitter un jour, que tu allais quitter ton enveloppe charnelle, qu’elle te pesait. La mort, ta mort, tu l’as chanté tant de fois, qu’on sait bien tous que tu y étais très préparé. Mais lorsque The Next Day est sorti, nous avons tous bien vu que tu vieillissais.
C’est à peu près au même moment que ma dernière fille t’a rencontré. Elle, elle ne se doutait pas que tu ne l’accompagnerais pas, pas comme tu m’as accompagné. Elle dansait sur Changes et Space Odity, et tu es sa première idole.
Ce matin, j’ai attendu qu’elle ait terminé son petit-déjeuner, puis je l’ai serré très fort dans mes bras pour lui annoncer que tu étais parti. J’étais plein d’une infinie tristesse, et elle aussi, du haut de ses dix ans. Je lui ai expliqué que tu étais parti, mais que ça ne changeait rien, que tu étais toujours là. Que tu serais toujours là. J’ai monté le son, nous avons dansé, chassé nos larmes, puis nous avons pris le chemin de l’école.
Je sais que tu y as pensé, à ma fille. Que tu as pensé à toutes les filles de toutes celles et ceux qui t’ont aimé tout au long de leur vie, et qui ont transmis ce truc dingue à leurs enfants. C’est pour ça que tu es éternel. So long, David.

Photo : David Bowie’s « Heroes » cover Shoot : The Outtakes : Masayoshi Sukita
De quoi ?, et aussi

509 bissextile

Nous voilà en 2016, année bissextile. Imagine que c’était déjà bissextile en 1008, quand est née la fille de Takasu, Sugawara no Takasu no musume, l’une des premières écrivaines de l’histoire du Japon. Et déjà aussi en 252, quand est née Wei Huacun, fondatrice du taoïsme. Et en 16, quand est née Julia Agrippina, l’une des plus grandes impératrices de Rome.
Je pourrais te les multiplier, des années bissextiles, il y en a eu…. Combien ? À vue de nez, une tous les quatre ans, on est en 2016… 504 !
Ah mais non. Depuis le calendrier grégorien, en 1582, on saute les années multiples de 100 qui ne sont pas divisibles par 400. Donc faut enlever 1700, 1800 et 1900. Reste 501.
Sauf que le calendrier julien débute en -45, et qu’au début, ces cons se gourent et mettent des jours intercalaires tous les 3 ans, du coup, ça merdouille pendant 40 ans, on remet les calendriers d’aplomb, on saute des années pour récupérer le bastringue, et on reprend le rythme normal en 8 après Jésus. Y’en avait eu 13 avant. Moins les deux zappées par le calendrier révolutionnaire.
Tu suis ? On en est à 509 !
Comme tu n’es pas sans le savoir, 509 est un nombre premier, et surtout un premier dit « de Sophie Germain ». Sophie Germain n’est pas ma cousine, c’est l’une des plus grandes mathématiciennes françaises et tout le monde ou presque s’en fout. Pourtant, elle a découvert des trucs incroyables, et je ne te dis même pas tout ce qu’on utilise encore, notamment dans le cryptage des clés informatiques, qui nous vient d’elle. Elle fut la première femme à remporter le grand prix de l’Académie des Sciences, en 1816, et elle a dit des trucs indispensables comme
Le temps ne conserve que les ouvrages qui se défendent contre lui.
Défends-toi, mais détends-toi. Ne sois pas raisonnable, fais ce que personne n’attend de toi. Passe une très bonne année, pleine de tout ce que tu voudras.

et aussi

Brique après brique (2)

Journal de campagne. Épisode 2

mosaique 1

9 novembre. Pas de repos.

Pas de répit. La liste est déposée, mais il reste une poignée d’attestations d’inscription sur les listes électorales mal remplies par des mairies pas très au point. Ça se gère facilement.
Une autre course nous attend : l’infernale cadence imposée par l’État pour faire valider les professions de foi et les bulletins de vote, les donner à l’imprimeur, pour qu’il sorte les 4,5 millions de bulletins et de professions de foi en une semaine, afin qu’ils soient définitivement validés dans 8 jours, et livrés dans 9 jours au prestataire chargé de les mettre sous enveloppes.
Nous sommes dimanche matin. Je ne connais pas la graphiste qui va travailler toute la journée avec moi, à distance. J’ai une idée à peu près précise de ce que je veux en termes de visuels et de messages, et c’est à peu près validé par le groupe.
La femme que j’aime est là. On se voit peu, la distance géographique est notre quotidien, et nos moments de rencontres sont rares depuis quelques semaines. Elle est là, et je n’aurais pas une minute à moi. Je refoule l’angoisse de lui faire vivre l’absence alors qu’elle est présente. Je plonge dans ce qui est, à ce moment précis, une absolue priorité.
En 12 heures de navette avec la graphiste, Christophe, l’équipe, les colistiers qui tardent à donner les éléments que je leur demande, les visuels sont prêts.
Ils sont le plus proches possibles de ce que nous sommes : un groupe, une diversité. C’est la mosaïque des visages qui viendra trancher avec tous les portraits des têtes de listes régionales qui vont composer les visuels des autres.
Et du blanc. De la transparence, de la sobriété.
Le lundi matin, je prends le train de 06h13 pour Toulouse. Une longue semaine commence où l’on ne comptera pas les heures. Une fois les dernières formalités administratives passées, j’aurais trois priorités à organiser : les outils de communication, les outils de travail pour que 13 campagnes départementales se mettent en place, et la centralisation administrative et financière de la véritable campagne qui s’ouvre.
Dans l’ordre, l’affiche officielle. À la commission de validation de la propagande, à la préfecture de Toulouse, j’ai vu le matériel des autres. Aucune exception à la personnalisation du scrutin. La tête des leaders s’affiche en énorme. Tous complètement happés par la présidentialisation. Comme s’ils étaient déjà au 3° tour du scrutin, quand l’assemblée nouvellement élue désigne l’exécutif. Ou comme s’ils n’avaient finalement rien d’autre à proposer que la figure de leur leadership. Ça me désole, et ça me renforce. L’affiche reprendra la mosaïque. Nous sommes un collectif. Un collectif bariolé, qui ressemble à la vraie vie. Au monde réel, comme dit Stéphane.
Sur le chemin du retour, je m’attelle à la refonte du site web. Celui qui existe est statique, et son univers graphique ne correspond plus du tout à ce que nous avons produit pour la séquence qui s’ouvre. Le nouveau doit vivre, bouger, être très réactif. Petite tension avec le webmaster. Je n’ai pas de temps pour la discussion, je prends la main, je crée un blog sous wordpress, aux nouvelles couleurs du Bien commun. Il faut que ça aille vite. Très vite. Il y a beaucoup de calage à faire pour que cette petite entreprise fédéraliste et libertaire puisse à la fois s’exprimer pleinement, et que nous gardions, à 3 ou 4, la maîtrise de la cohérence des messages. Il y a aussi beaucoup à faire pour aider les groupes départementaux à se prendre en main.
Et comme la campagne a commencé, il y a aussi le groupe de l’Hérault, où je suis candidat, à organiser un peu. J’ai l’impression que mes journées ne s’arrêtent pas. Ce n’est pas une impression.

12 novembre. Le purin.

Dans la séquence précédente, nous nous sommes battus en vain pour ne pas être relégués au rang de petites listes dont on ne parle pas. Les médias, mais aussi une partie des lobbies régionaux, ne veulent voir que ceux qu’ils appellent les « principaux candidats ». Nous, nous avions à nous battre pour imposer l’idée que, oui, nous allons déposer une liste. Ce qui, jusqu’au bout, n’était acquis pour personne, sauf pour nous.
Maintenant que les listes sont déposées, les choses ne changent pas. Depuis des semaines, la tête de liste écolo distille dans la presse l’idée que nous ne sommes que des fantômes téléguidés par le PS, payés par le PS, dont le PS aurait fourni les bataillons. Juste pour faire baisser son score à lui. Je ne sais pas s’il y croit, mais les plus lâches de ses condisciples y croient, relayent l’info, nous agressent chaque fois qu’ils peuvent. Cette semaine d’après dépôt des candidatures doit être le moment de changer le message. Mais la presse s’en fout.
Sauf que. En milieu de semaine, on voit pointer l’odeur du purin. Une des colistières de Perpignan, une des dernières arrivées, s’est fait avoir par le FN aux municipales à Canet. Partie avec 2 anciens du PS comme elle dans une liste qu’elle croyait centriste, la liste a été déposée comme « soutenue par le rassemblement bleu marine ». Les colistiers ont voulu se retirer de la liste, ce qui est impossible. Elle a été élue avec un autre de ses anciens colistiers de gauche, et ils ont décidé de siéger en non-inscrits pour empêcher les suivants, FN, de siéger. Louis Alliot s’est vanté dans la presse d’avoir utilisé cette stratégie dans quatre villes moyennes des PO. Lui même essaye de faire croire qu’il est à la tête d’une liste centriste à Perpignan.
Une femme abusée par le FN, certainement pas aguerrie aux basses manœuvres. On l’a rencontré, elle raconte son histoire. On sait qu’à un moment ça peut coincer, mais on prépare la riposte virale. L’attaque vient d’Onesta, en meeting à Montpellier. Elle est nominale, mensongère et concerne aussi la tête de liste des PO, éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse. Il a dit « je ne suis pas charlie ». Il préfère Siné. Traduit dans la langue agressive de celui qui prêche un « nouveau monde », il est un islamiste déguisé. On est loin de pocahontas.
L’attaque est si violente, que les journalistes en sont choqués. Le chef du « nouveau monde » va même jusqu’à revendiquer la violence verbale, expliquer à certains journalistes qu’il fait ce que ses conseillers lui ont conseillé de faire, et qu’après, promis, il arrête d’être agressif. Nos téléphones sonnent. Devant l’outrance mensongère, la plupart des journalistes décident de ne pas reprendre, sauf les spécialistes du buzz, ceux qui ne vérifient l’info qu’après, quand tu les appelles pour porter la contradiction. Et le tombereau s’avance. Les militants d’Onesta et de Saurel reprennent, déforment, tentent d’amplifier. Ils colportent, tranquilles, les mensonges du leader « écolo », et du leader du FN. Le mensonge, ça fait partie de « l’éthique », sûrement. Même parmi ceux dont je crois être encore proches, certains révèlent une agressivité dingue.
La violence de l’attaque fait peut trembler nos rangs. Dans la vraie vie, des gens bernés par les néo-fachos, il y en a plein. Notre mosaïque est remplie d’individus qui ont subi des discriminations de toutes sortes. Celle-là n’en est qu’une de plus. Dès l’instant que la victime est humaniste, abusée de bonne foi, ils ne voient pas le problème. Nous on le voit. Le mensonge est toujours plus fort que la vérité. Il faut stopper ça. Puisque le bâton est tendu, nous allons nous en servir pour accrocher enfin les médias les plus grands publics, qui se préoccupent peu du fond, mais adorent les batailles et les polémiques. Vendredi soir, on décroche enfin l’interview avec France 3, où l’on va pouvoir dénoncer le climat d’agressivité et de violence qui vient de s’installer.

14 novembre. Bataclan. Terrasses. Chaos.

La nouvelle m’arrive par textos de Christophe. Je ne sais plus ce que je suis en train de faire, impossible de m’en rappeler après coup. Sidération. Immense chagrin. J’ai envie de vomir. Je reste scotché, à ne plus pouvoir rien faire d’autre, en attendant de comprendre ce qui se passe, de cesser de voir le compteur des victimes progresser. La violence pure, à l’état brut. La violence qui gangrène. Tout. Jusqu’à nos enjeux politiques locaux. La violence que l’on ne contrôle plus, qui se nourrit de nos violences quotidiennes. Et qui vient frapper au milieu de nous, au milieu de ce que nous sommes. Au milieu de notre immense et riche diversité. De notre envie de vivre, et de vivre ensemble.
Le samedi matin à l’aube, ma fille aînée part pour une année à l’autre bout du monde. Le vrai nouveau monde. L’Amérique latine est le seul continent dans lequel réside l’espoir, peut-être. Pas dans les Che Guevarra de pacotille ou les bonapartes vénézuéliens, mais dans ces pays qui basculent sûrement vers une société démocratique, écologiste. Les embrassades sont fortes. Je préfère la savoir là-bas que dans notre société de merde.
Le soir, ma fille cadette joue un rôle de mini-miss décalée et second degré dans la dernière création du talentueux et radical patron du CDN de Montpellier. Cette journée est folle, traversée de contrastes, de déchirements, de larmes paternelles et de contre-coup d’une terreur mondiale.
Il faut repartir. Les attentats ont ébranlé nos militants. Celles et ceux qui viennent des quartiers populaires, de la lutte contre les discriminations, contre l’injustice sociale, forment une majeure partie des troupes mobilisées. Je passe des heures au téléphone, quatre choses en même temps, la boîte de guarana fond à vitesse grand V.
Lundi. Le 06h13 pour Toulouse. Le calendrier officiel s’égrenne et rien n’y déroge. Commission de propagande, vérification des documents, retour.
Le mardi, je monte à Lyon, vérifier les bulletins et les professions de foi à leur arrivée au hangar du prestataire choisi par l’État, qui ne dispose d’aucun lieu de production dans notre région. Le camion est en retard. En pleine pénurie de papier, les imprimeurs régionaux se sont affolés de devoir réaliser pour chaque liste entre 4 et 15 millions de documents électoraux. Multipliés par 11 listes. Plus de papier, plus de cartons pour emballer. Nos bulletins ont été imprimés à Barcelone. Mais le camion a du mal à franchir la frontière du Perthus, coincé 7 heures dans les contrôles renforcés aux frontières. Moi qui voulais en profiter pour voir ma sœur, me voilà réduit à partager un sandwich avec elle sur un parking de zone industrielle à Mézieux. Le bouchon du Perthus a eu raison de notre envie de bouchon lyonnais.

Vendredi 21 novembre. Maturité.

Les attentats ont transformé nos équipes. Elles sont pleines de gravité, de responsabilité. Suspendue le temps d’un deuil profond, le temps d’une immense tristesse, la campagne va reprendre. Elle sera totalement différente, sûrement. Moins violente, il faut l’espérer. Mais désormais si courte. Les gens étaient déjà si difficilement intéressés par l’enjeu régional. Pour une formation aussi récente que la nôtre, il ne reste quasiment plus de temps.
On se retrouve le dimanche, près de Carcassonne, une moitié de la liste, celles et ceux qui étaient disponibles. On a besoin de ça. De se serrer les uns contre les autres. De se parler, de se réchauffer. De par ce que l’on est, on est certainement les plus à même de contrer les discours extrémistes de tous bords. La diversité de nos cultures, la mixité de nos origines, de nos parcours, l’intelligence collective que l’on commence à faire grandir, devrait nous permettre de dire mieux qu’aucune autre liste ce que nous pensons être la source de ce cataclysme, et comment on peut, au moins sur notre territoire, trouver la volonté et les moyens de l’éradiquer. Les nouvelles économies, la formation professionnelle, la culture et la promotion de la diversité culturelle, les nouvelles approches démocratiques que l’on porte, tout cela peut contribuer fortement à transformer le marasme apparent en un élan porteur. Mais il faut vaincre la domination de l’argent et des médias, et se faire entendre. C’est l’heure du terrain. L’heure que l’on attend, et que l’on préfère.

Lundi 23 novembre. Du pognon ou de la colle.

La campagne officielle s’ouvre aujourd’hui. Il faut coller nos affiches sur les panneaux officiels. Surprise : dans beaucoup d’endroits, huit affiches sont déjà proprement collées et nous attendent. Dans d’autres, aucune. Jamais une ou deux. Huit ou rien. La même entreprise a raflé, cher, les contrats de collages des listes qui ont l’argent pour payer. Mes bons mots de la veille, pour motiver des troupes un peu affolées devant l’ampleur de la tâche, prennent du plomb dans l’aile. Et pourtant on s’y attelle. Il reste quinze jours, et ce sera du non-stop. Rencontres, diffusion sur les lieux publics, discussions longues, et le plus souvent enjouées et sympas. Et le soir, collage. Les yeux rivés sur une liste d’adresses dont la moitié est mal orthographiée ou imprécise.
Entre tout ça, il faut nourrir le site web avec les articles de presse, qui commencent enfin à sortir, et les propositions, que l’on égrène selon un plan de charge dosé. Parce que, dans l’océan de banalités que l’on lit ailleurs, nos propositions concrètes se font récupérer à la vitesse de la lumière. Alors on dose.
Le groupe de base s’est considérablement étoffé. Il y a maintenant une vingtaine de personnes en permanence, qui entraîne chacun sa petite équipe, son petit cercle. La mayonnaise prend entre nous. Il faut gérer les tensions liées à la fatigue, continuer à avoir un œil sur la cohérence globale de nos messages.
Christophe est sur les routes. Il enchaîne rencontres, conférences de presse, interviews. C’est Laure qui gère cette tournée, et toute la logistique. Nos points de coordination sont téléphoniques, les échanges d’infos constants. Je dois me concentrer sur l’Hérault, au moins la moitié de mon temps. L’équipe montpelliéraine est pleine d’énergie, d’idées, de ressources. Le groupe qui se dessine est une pépite.
Et il y a aussi les dizaines de sollicitations qui arrivent tous les jours, pour connaître notre position sur tel problème local, tel enjeu mondial. On est deux à tenter de gérer ça, et c’est une tache impossible. Les élections sont le rendez-vous des lobbies. Et la plupart expédient le questionnaire dans les derniers jours. On renvoie aux colistiers qui s’y connaissent, quand ils existent. On classe. Et il y a aussi les mails. Souvent du matin. Arrivés par la boite de contact du site web. Certains sont beaux à réchauffer un cœur glacé. D’autres pleins de détresse, et qui cherchent une issue. Et ceux qui veulent juste une réponse à leur question, une raison de voter. De voter pour nous.

Lundi 30 novembre. Insondables.

Les sondages s’enchaînent et nous font rire. 3%. 4%. 7%. 2%. 0,5%. Il y en a même un qui nous donne à 0. Rien. Nibe. C’est celui commandé par Onesta, normal. Dans le précédent, il avait refusé que l’on soit sondé.
Les méthodologies sont tellement faibles, tellement loin de la réalité qu’elles sont censées représenter, que tout ça vire au comique. Un journaliste m’appelle pour en discuter. Je lui remets des chiffres, pas des pourcentages devant les yeux. 0,5%, ça veut dire combien de voix ? 11 000 sur toute la région. Au premier tour des législatives, Christophe avait fait 15 000 voix sur sa circonscription, avec un éclatement de la gauche énorme. Les copains du CDS en avaient réuni près de 10 000 à Montpellier aux départementales, avec quatre candidatures de gauche sur chaque canton. Idem pour les copains du Gers. Ces sondages sont tous, sans exception, incapables de sonder les niches que nous représentons. Et les marges d’erreur sont tellement consistantes pour les autres que seule la répétition des enquêtes les conduit à gérer leur marge d’erreur, comme une belle stratégie d’autopersuasion.
Surtout, ces enquêtes ne visent qu’à deux choses. Directement, à parler de ce qui est particulièrement insondable, le résultat du second tour. Indirectement, à reproduire inlassablement l’idée qu’il y a des « gros candidats », et des « petits candidats ». Aucune égalité de traitement, aucune équité, même. Les mêmes débats se répètent. Et les « gros candidats » n’ont qu’une chose en commun : leur gros budget. Ils ne disent rien, mais ils organisent des meetings qui n’ont comme seul intérêt que de leur permettre d’avoir un article le lendemain dans la presse écrite.
Et tout ça forme un immense miroir déformant. Une classe politique hors-sol, qui parle à une presse régionale qui n’est plus lue que par une infime proportion d’habitants. Et dont les grands titres sont désormais concentrés dans les mêmes mains, dans le même groupe, dont l’équilibre financier ne tient que grâce aux abonnements institutionnels et aux achats d’espaces pour les annonces légales et les campagnes de promotion du « branding territorial ». Le pompon revient à ce magazine national qui organisera une rencontre du club des 5 qui n’ont rien à dire, rencontre organisée avec deux partenaires, la métropole toulousaine (dont le président est le 1er soutien de la liste d’opposition), le conseil régional (dont le président est le premier soutien de la liste sortante) et dont la cheville ouvrière à Toulouse n’est autre qu’une colistière du maire de Montpellier.
Pendant ce temps-là, la presse nationale ne parle que d’Ile de France et des régions qui pourraient basculer au FN, ressassant ad nauséum des prises de paroles des candidats frontistes.
Rien. Aucune leçon. Ils n’apprennent strictement rien de leurs erreurs. La révolution n’est jamais télévisée, on le sait. The revolution will not be televised. Ce morceau-là, je n’ai pas besoin de le chercher. Il est là, toujours sous la main, l’hymne de Gil Scott-Heron.

Allez. Un dernier coup de reins. Ce soir à minuit la campagne du 1er tour est close. Quoi qu’il en soit, on a fait le boulot. Et plus que ça. La coopérative politique existe, elle s’est forgée dans ce premier round, dans cette première épreuve. Elle est fertile. Et le groupe d’élus à la région est à portée de nous. À portée de voix.

Tu cherches l’épisode 1 ? Il est là.

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Brique après brique


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21 octobre. Apnée.

J’ai rangé mon bureau. Ça fait des mois que ça ne m’était pas arrivé. J’ai dégagé tout le couloir derrière. Depuis qu’on a emménagé, il servait de fourbis. J’ai remonté les étagères qui attendaient à la cave. Il faut faire de la place et de l’ordre. J’ai 184 dossiers à classer.
184.
Des dossiers tout cons. Un formulaire de déclaration de candidature, une attestation d’inscription sur les listes électorales d’une commune de la grande région, ou, à défaut, des papiers qui prouvent qu’on a une attache dans la région, une maison, un terrain, et la feuille d’impôts qui va bien avec, et un papier qui prouve qu’on n’est pas déchu de ses droits civiques. Un mémento de candidat pour livre de chevet.
Quand je commence à organiser le classement, j’ai 50 dossiers prêts. À peine.

Juin. Que le meilleur perde.

Énième épisode de guerre interne idiote chez les verts. Processus de sélection des candidats à l’élection régionale. Mode de scrutin débile, bourré d’effets pervers et de finasseries mal réfléchies. Après un an d’âpres luttes, on a viré nos clientélistes. Du coup l’espace s’ouvre, et les médiocres ambitions s’épanouissent. Degré zéro de la réflexion stratégique. Tout est réuni pour que l’on fasse encore n’importe quoi. Ça ne manque pas. Je participe de loin, pour aider les copains. Tout ça m’emmerde à un degré intense. Il n’y a rien à faire. Les verts sont une machine à perdre. Ils haïssent toute forme intelligente de leadership. Ils n’aiment que les leaders qui les violent, parce qu’ils sont fascinés par les mots, comme des incantations magiques. Résultat, la plupart des fondateurs d’Europe Écologie sont partis, ou sont en congé. Les verts réapparaissent, dans toute leur caricature. Et leur saloperie de violence verbale. Et leur incapacité à parler à d’autres qu’à leurs semblables. L’écologie politique, en tant qu’alternative globale à la financiarisation de l’économie, à la destruction des ressources naturelles, à l’archaïsme des lambeaux d’un mouvement ouvrier politiquement à bout de souffle, à la démagogie populiste triomphante, est portée par des incapables. Incapables de porter leur projet hors de leurs niches. Alors les incapables décident de s’allier à d’autres incapables, tout aussi en incapacité de faire vivre leur propre projet. Ce n’est pas encore fait, mais je vois la manip venir grosse comme une maison. On va voter triomphalement pour l’autonomie aux régionales, et l’entourloupe va se dévoiler dès qu’on aura fini de s’entretuer pour savoir qui portera haut les couleurs.

Ça ne manque pas. C’est même pire que prévu. Celui qui est désigné leader régional se révèle être un autocrate de la pire espèce, persuadé de son aura – introuvable – et de son destin – improbable.
Bref, pour moi, c’est la fin de cette histoire. Que faire, comme disait Lénine ?

Juillet. Souffle court.

Mon dernier contrat correct se termine. Rien à l’horizon de sérieux. Les pistes s’effilochent. Toutes les collectivités sont en train de baisser les aides aux opérateurs culturels, et encore plus quand il s’agit de réfléchir. Les cons. Ils ne comprennent rien. Et parmi les quelques collectivités qui ont encore de la thune à mettre, elles sont pour la plupart persuadées de n’avoir besoin de personne en Harley Davidson.
Faut que je change. Tout. Bye bye le rêve de l’intelligence. Aux orties, l’idée que la connaissance fera avancer la connaissance. Je suis à bout de souffle. Je pars en vacances avec les mômes. C’est la première fois depuis longtemps. Je me régénère dans une bulle d’amour.
Au retour, Christophe m’appelle. Il a rencontré un type qui a l’air super. Gérard Poujade. Je l’ai rencontré rapidement fin juin. Le type veut l’embarquer dans une aventure aux régionales. Christophe veut tenter le coup. Il a un tout petit pécule. Le deal est simple : on se donne quelques semaines pour voir si c’est jouable.

Août. Le Labyrinthe.

Je n’ai pas de rôle précis. Il faut jouer tous les rôles, à deux ou trois. Trouver les pistes de financement. Chercher l’idée fédératrice, le nom, la punchline, écrire les bases, tâter le terrain ici et là, estimer, évaluer, cartographier, objectiver. Tout. Le territoire, les forces en présence, leurs stratégies, les résistances, les possibles. Les limites. Recruter, évaluer les volontaires, chercher, chercher, chercher encore. De quoi se perdre mille fois. Y’a des bouts de fils partout, impossible de voir celui qui va dévider la pelote. Si ça se trouve, y’a pas de pelote. Tout le monde est méfiant. Trop risqué, comme plan.
Y’en a qu’un. Un binôme, en fait. À l’autre bout de la région. Un petit groupe de rebelles, des trentenaires. Ils ont une super pêche, ils sont intelligents, ils connaissent un peu les rouages. Si ça le fait avec eux, y’a moyen de faire une tenaille et de ratisser pour trouver les bons plans. Eux vont partir de l’ouest et aller vers le centre de la région. Et nous on va partir de l’extrémité Est, et on va se rejoindre au milieu. Ça peut marcher. Mais on est 5 et demi. On teste l’idée de partout. Ça répond sur le fond. Mais l’incrédulité est énorme. Nous, on commence à voir l’idée d’une vaste coopérative politique, dont les régionales peuvent juste être un tremplin.
Fin août. Gérard plonge. Gros souci de famille. Il est en train de dévisser, et on a encore posé aucune fondation. Ça sent mauvais. S’il ne fait pas le boulot en Midi-Py, pas moyen de s’en sortir. C’est ce que je me dis.
Grosse séance avec Christophe. Il veut tenter un électrochoc. Il ne trouve personne qui tienne le choc pour filer un coup de main. C’est Bérengère qui va s’occuper de toute la partie organisationnelle. Les outils partagés, la mobilisation gardoise, notre camp de base. Dès qu’elle peut, elle est dans la voiture. J’aime Bérengère. Sa sincérité. Son enthousiasme. On a quelques coups de mou, de gros doute. On va tenter de s’appuyer sur les gersois, consolider un premier tout petit réseau, et prendre la tête par intérim, en attendant que Gérard refasse surface. On décide de mettre les bouchées doubles, et de fonctionner vraiment comme une coopérative : on évalue les valeurs communes, on coopte, on donne la prime à ceux qui font, et on vire ceux qui ne font que dire.

Septembre. Le maître ou le jeu de Go.

On décide de travailler les éléments programmatiques avec une méthodologie drastique. Hors de question de faire le tour de tout en balançant des phrases creuses. Juste un constat par grandes compétences, et deux ou trois propositions innovantes, issues d’expérimentations, pour illustrer le « comment faire autrement ». Ça tombe bien, Gérard Poujade nous a légué son projet de livre pour les régionales, et il a déjà largement balayé le terrain.
Alexis et son groupe gersois nous présentent des gens. Ça prend un embryon de tangibilité. Je révise mes classiques de stratégie. Ni Sun Tzu, ni Clauzevitcz. Les crises politiques de Dobry, le Cens Caché de Gaxie. Vu l’offre politique qui se met en place en région, si notre aventure a un sens, il faut qu’elle se donne les moyens d’aller chercher les abstentionnistes. Chez les votants, le gâteau est déjà partagé. Mais seulement un convive sur deux a envie de manger. Enquête d’opinion après enquête d’opinion, un sondé sur deux déclare qu’il n’ira pas voter.
L’espace, il est là. Aller chercher les déçus, les ignorés, les méprisés de la « cène » politique. Et pas que. De la scène républicaine. Il va falloir être sacrément inventifs.
Je reprends mes lectures. Peter Pan. Les pirates de Tim Powers. Les enquêtes souterraines de Tony Hillerman. Les quêtes de Morcoock.
Et on prend la voiture. La plupart du temps juste Christophe et moi. Jamais à l’improviste. Des bornes. Des gens. On discute. On prend le temps quand on sent que ça en vaut la peine. Comme à Ramonville, où, le temps d’un festival de rue, on se trouve à notre place. Dans l’espace public. Dans la chose publique prise par notre coté le plus écolo-libertaire.
Et on remonte dans la voiture. Je conduis. On téléphone. Entre deux appels, Christophe écrit des mails. Des textos. Des centaines de textos. Des heures de téléphone. Des kilomètres. Auch. Rodez. Carcassonne. Nîmes. Montpellier. Perpignan. Tarbes. Toulouse. Ô Toulouse. On trace, on teste, on prend des marques. On parle, beaucoup. De ce qu’on veut. De comment y arriver. De la stratégie en route.
Alexis et Laure sont très énergiques. Et de plus en plus efficaces. À bien des égards, et à leur façon, ils ne sont pas normés. Comme nous. Ils nous présentent Marie-Ange. Elle est un peu intimidée. Elle a un potentiel énorme. Elle est exactement ce qu’on cherche. L’archétype de la minorité visible dont on se sert d’alibi de la diversité de temps en temps, qu’on ne prend jamais la peine d’écouter vraiment, encore moins de comprendre. Et encore moins de l’entendre pour l’individu qu’elle est. Rangée dans sa case d’indigène. Pas sortir. Une pépite méprisée, comme il y en a tant. Avec elle, un réseau de semblables. Des gens sincères, qui ont à la fois l’envie de faire, la compétence et l’expertise pour agir, et qui sont poussés à coopérer par impossibilité de faire seuls. Pelote. Fil. Trouvé.
Les attaques commencent.
On ne les remerciera jamais assez, ces leaders aveugles qui nous ont ramené les écolos qu’on ne connaissait souvent pas, et qui souffraient des mêmes symptômes que nous. On ne la remerciera jamais assez, toute la cohorte des suiveurs qui égrenait chaque départ d’un flot d’insultes sur les listes de discussions internes d’EELV. Ils ont éveillé la curiosité de toutes celles et ceux qui se tenaient sur le bord du chemin.
Voiture. Kilomètres. Gargottes savoureuses. Rencontres. Responsables associatifs, tentés par l’aventure, mais effrayés par le terrorisme des collectivités territoriales. Premiers sous-marins, si visibles tant ils sortent le périscope facilement. Velléitaires, que l’on mettra parfois longtemps à diagnostiquer. Fainéants, qui voudraient qu’on bosse à leur place. Rien. Nibe. Nous on a rien à perdre. Si tu veux monter dans le train, nourris le moteur. Je tombe sur le mot de Churchill : « Agissez toujours comme s’il était impossible d’échouer ». En fait, la citation exacte est « Pensez et agissez comme s’il était impossible d’échouer ». Et elle est de Charles F. Kettering. Un inventeur. Je ne sais pas ce qu’il a inventé. Je n’ai pas le temps de chercher.

Octobre. Le puzzle.

Ça s’assemble. Mais ça ne suffit pas. Il nous manque une chose essentielle : les quartiers populaires. Pour des raisons différentes de par nos histoires, je partage avec Christophe l’idée que l’écologie ne peut grandir qu’en devenant crédible pour les individus les plus pauvres. Ce n’est pas facile. Pour nous, on a que trois choses. Les deux premières sont les deux piliers que l’on a construits quant à la méthode : l’idée de coopérative, à édifier en marchant, et le bien commun. Un substitut puissant à la notion d’intérêt général – le passe-partout de tous les projets inutiles, et aussi le creuset d’une réappropriation de la chose publique et du politique. Deux idées, résumées en une page chacune.
La troisième, c’est ce que l’on est. On ne se travestit pas. Plus. Là, c’est une aventure de l’impossible. La seule façon de réussir, c’est de ne pas se fixer de limites devant la difficulté, mais de l’attaquer avec la plus grande simplicité, la plus grande sincérité. Et avec patience.
Brique après brique.

I’m building it with simplicity
And the way that we feel, you and me
I’m building it with what I believe in

So get off my dick ‘Cause I’m building it brick by brick
Brick by brick
Brick by brick

Je n’ai même pas le temps de chercher l’album d’Iggy Pop. Juste la chanson dans la tête.

Et puis, c’est le déclic. Le film sur Justice pour le Petit Bard. J’ai beaucoup d’admiration pour le combat de cette association qui, dans le quartier le plus pourri de France en termes d’immobilier, essaye de survivre sans concessions. Je les aime beaucoup, mais on est loin de se connaître. Et ils ont fait voter Saurel.
Je ne connais pas du tout « la fille des quartiers » qu’il avait sur la liste. Je l’ai juste vu s’engueuler avec lui avant de perdre sa délégation. Jeune, forte dans l’expression, pertinente, sincère, qui monte un peu trop vite dans les tours, peut-être.
Le film traite avec pertinence la violence politique à laquelle sont confrontés les militants des quartiers quand ils refusent le néocolonialisme et le clientélisme. La discussion s’engage. Dense.
Et puis, celui qui n’a de cesse de nous insulter depuis qu’on a quitté EELV nous offre un magnifique cadeau. Étouffé par les guerres internes stériles de son cartel de partis, il joue le chef de tente avec les militants des quartiers qu’il avait réussi à séduire. Le vieux coup de la verroterie qu’on file aux indigènes pour pouvoir traverser le territoire. Le très vieux coup, éculé, de l’alibi qu’on met en place charnière, parce que « l’indigène » doit gagner sa place au milieu des apparatchiks. Il insulte le groupe montpelliérain dont il avait fait l’oripeau et la caution citoyenne de son cartel. J’aime bien ces gars-là. C’est la première fois que je vois un groupe qui arrive à sortir de la logique d’agents électoraux dans laquelle le clientélisme les confine, tout en s’associant par-delà les frontières que les élites bien blanches créent entre les histoires et les cultures différentes, pour mieux les maintenir dans leur périmètre urbain, sociologique, économique, communautariste. Des gars des quartiers, qui en ont marre qu’on s’essuie les pieds sur eux. Des gitans. Des harkis. Des blacks. Des beurs. Des yougos. Des prolos.
Dès qu’ils claquent la porte du faux-semblant de projet citoyen en commun, je lance la perche.
S’ensuivent plusieurs rounds d’observation, de discussions intenses, de méfiance chez eux, de mûrissement du projet chez nous.
On y est. On sait ce que l’on a en commun. On est dans l’action, et les diseurs nous rejettent à la périphérie du pouvoir dès qu’ils peuvent. Et on veut sortir de la niche où on tente de nous maintenir, pour se réapproprier les outils du pouvoir.
Depuis des mois que je vais à Madrid si souvent, j’ai appris de ce qui s’était passé d’extraordinaire dans la conquête de cette ville par Manuela Carmena. Elle a su s’appuyer sur l’expérience politique d’un petit groupe pour faire revenir à la politique des militants associatifs, des militants de quartiers, des intellectuels marginalisés par la gangrène néo-libérale, des expérimentateurs hors-norme.
Christophe n’hésite pas une minute. Moi non plus. Si on va les chercher, ce n’est pas avec de la verroterie. On les veut aux premières places.
Le temps presse. Trop. On sait que l’on va aller au bout du dépôt de la liste. Mais on va y arriver sans force. Avec eux, tout peut être différent. Non seulement on atteint une cohérence dans notre idée d’écologie populaire et républicaine, mais ça peut avoir plus que du sens : de l’écho. Loin. Si on les bride pas, Sabria et Stéphane peuvent aller loin.
Et surtout, ça peut créer un groupe qui va durer longtemps.
Alors nous voilà. Des écolos sans parti, des libertaires sans maîtres, des coopérateurs, des entrepreneurs solidaires, des militants des quartiers, des militants de la diversité, des ruraux qui veulent se connecter, des associations citoyennes. Voilà ce que nous sommes.
184.
Plus les réservistes.
Plus toutes celles et ceux qui n’ont pas osé, parce qu’ils ont encore peur de franchir le pas. Parce qu’ils vivent de subventions et ne peuvent pas s’en affranchir. Parce qu’ils subissent encore. Mais qui ont envie de nous voir réussir. Dans la joie de cette coopération nouvelle, inédite. Cocktail de fraîcheur et d’expérience. Sans limites.
Le plus dur est fait. Le meilleur arrive. Et qui sait ? Hein ? Qui sait ?
Rien n’est écrit d’avance. Mais on est maintenant nombreux à pouvoir tenir le stylo.

Bref, hier, on a déposé les 184 noms de la liste LE BIEN COMMUN, la liste 99% écolo et citoyenne.

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On ne va pas se fâcher

Amies et amis, moins amies et moins amis, mais néanmoins camarades, je vous écris ce petit mot pour vous dire que je m’en vais.

Je ne vais pas faire trop long, c’est inutile. Mais je voudrais juste vous dire les quatre raisons pour lesquelles je quitte le bateau d’Europe Écologie Les Verts. Et pourquoi on ne va pas se fâcher, ni se cacher.

J’ai adhéré à ce mouvement en 2010, au moment de son ouverture, et de ce qui semblait une fabuleuse aventure, emmenée par José Bové et Daniel Cohn-Bendit, entre autres. Mais pour moi c’était les principaux. Je ne me découvrais pas écolo, je crois que j’attendais juste cette impulsion pour me dire que ce parti, les Verts, que je considérais comme incapable de faire avancer ses idées, avait là l’occasion d’être à la fois le vecteur d’un changement massif de comportements et d’idéaux, et d’être en capacité de conquérir les lieux et les temps du pouvoir, nécessaires à transformer nos sociétés.
Ça n’a pas duré. L’élan fut de courte durée. La fondation d’Europe Écologie éclata les cadres rouillés et stériles des Verts. Mais la matière était… thixotropique. Passé l’éparpillement, la matière reprit sa forme. Dans la bataille du nom, les Verts reprenaient déjà le dessus, et c’était le début de la fin.
Mais bon, le jeu en valait la chandelle. Un autre monde est possible, et un autre parti pour le changer est possible. C’est ce que je me suis dit.
Cinq ans plus tard, je n’y crois plus. En tout cas plus ici.

1 – Ce parti ne sait pas rompre avec la logique mortifère des partis du mouvement ouvrier, qui ne font que singer l’organisation sociale qu’ils sont censés combattre, en favorisant les logiques d’accumulation capitaliste de ressources symboliques, tout en ayant l’exquise schizophrénie de croire les combattre par un grossier vernis de lutte permanente contre ses propres élus. Pour autant, ce parti est réellement différent des autres. Parce que sa démocratie interne est presque réelle, en tout cas tout ce qu’il y a de plus dense. Sauf que.

2 – Le fonctionnement interne d’EELV, le foisonnement de sa démocratie électronique, s’accompagne d’une incapacité à juguler la violence verbale. Tranquillement installée derrière un clavier, une minorité pense qu’elle peut libérer la parole jusqu’à l’intolérable, sans voir qu’inconsciemment elle détruit l’une de ses valeurs fondamentales, la non-violence. Je l’ai beaucoup subi dans d’autres pans de ma vie militante, et j’espérais m’en préserver ici. Ce fut tout le contraire. Et ça m’insupporte. D’autant plus que cette violence imbécile n’a souvent pour but que de masquer la vacuité politique de ces combats d’appareils, dans un cercle vicieux qui permet de concentrer son énergie sur l’interne, pour éviter de se coltiner la réalité, et écarter celles et ceux qui pourraient amener du mouvement et de l’innovation. En vieux sociologue des institutions, je comprends le phénomène chez les partis ouvriers moribonds et leurs héritiers de pacotille. Mais pas ici.

3 – Cet épuisement interne est alimenté par une étonnante passion du droit amateur. Mes vieux ami-es des verts pensent que tout se règle par un foisonnement juridique. Il y a des règles pour tout, la plupart sont inapplicables, chaque majorité peut les tordre à sa guise, puisque de toute façon les sanctions internes n’arriveront qu’après que le mal soit fait. Dans cette « région comme les autres », j’ai subi les tricheries du clientélisme comme je ne pensais plus en subir après tant d’années d’arnaques internes aux socialistes. Et pourtant ce fut pire. La bataille fut rude pour en sortir, les dégâts incommensurables, ramenant l’écologie montpelliéraine au néant de l’influence électorale. Et pourtant, force est de constater que rien n’est vraiment fini. Le moindre mouvement interne donne lieu aux mêmes déchaînements de mauvaise foi, d’appels imbéciles aux règlements inconnus et à une jurisprudence qui remonte parfois à Waechter ou Dumont. C’est l’erreur profonde que nous avons faite en 2010. Au lieu de repartir de zéro, complètement de zéro, nous avons repris le moule stérile des Verts et de leurs batailles endogamiques. Elles nous mènent à la stérilisation de l’écologie politique.

4 – Le tournant présidentialiste à l’œuvre achève ce tableau. J’ai longtemps pensé que ce parti était vacciné contre ce crime démocratique qu’est la présidentialisation des enjeux politiques français. Force est de constater que le mouvement à l’œuvre conduira à construire une écurie présidentielle, dont je ne veux pas. Je ne veux pas participer à cette farce qu’est la présidentielle. Cette ignominie démocratique. Je veux lutter pour la proportionnelle, et pour des groupes parlementaires forts. Ce n’est pas le chemin. Au contraire, la gangrène gagne du terrain localement. Le dernier numéro que nous avons du subir en région, pour satisfaire l’ambition d’une tête de liste régionale qui se voit président d’une région nouvelle, a fini de mûrir ma décision.

Ce n’est pas seulement que je pense idiote cette idée que nous devrions nous unir avec des anti-fédéralistes, des antipollinisateurs, des anti-européens, des souverainistes communaux. Mais ce dernier épisode de la série « je vous prends pour des cons » m’est impossible à regarder sans rien dire. Voter l’autonomie de la voie écologiste, pour immédiatement après débuter un mouvement vers un cartel de partis, dans une totale opacité, c’était déjà fort. Appeler concertation citoyenne une plateforme numérique dans laquelle chacun de ces partis cartellisés viendra poser ses vagues idées, pour aboutir à une enfilade de déclarations de principes qui masquent les désaccords de fond, alors qu’un boulevard politique autonome s’ouvrait à nous ; dévaluer la parole publique, flinguer des mots comme participation citoyenne, prendre l’intégralité des militants pour des cons en leur envoyant 120 scénarios comme autant de journées chez Pasolini, tout cela devient surréaliste. Tout ça pour quoi ? Pour se dire que si on passe une campagne entière à taper sur celui avec qui on devra s’allier au 2° tour, on peut nourrir l’improbable idée que cette médiocrité collective séduira une majorité d’électeurs?
Non, sans rire.
En tout cas, c’est la goutte de trop. Ce n’est, surtout, pas ce dont j’ai envie.
Je pense sincèrement que l’écologie ne peut pas exister politiquement dans un parti fermé. Et que la solution n’est pas le cartel de partis, ni l’écurie présidentielle. L’écologie doit tenir sur deux jambes : les solutions qu’elle nourrit dans la société civile, dans les mouvements alternatifs, dans les expériences individuelles, et la capacité de porter ces solutions innovantes dans l’institution. On ne parle plus de ça.
On a plus le temps, on est tellement occupé à construire des écuries, purger les impurs et scruter la jurisprudence interne.

Je m’en vais. Ailleurs, au large, avec plein d’autres gens, qui pour la plupart nous ont quitté sans bruit ces dernières années. J’espère que les 5 ans passés avec vous me vaccineront contre toute tentation de structurer un mouvement. J’aspire à des choses fluides, et une partie d’entre vous sont des adorateurs des écluses et des barrages.

On ne va pas se fâcher. Celles et ceux avec qui je suis déjà fâché changeront peut-être un jour.
Les autres, les ami-es, on sait qu’on sera assez intelligent pour se retrouver.
À elles et à eux, bisous et à très vite dans d’autres sphères.

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François.

Le 28 septembre 2015. Jour d’éclipse.
À Montpellier, Languedoc-Roussillon. Gros Sud, comme on dit maintenant. À moins qu’on ne lui préfère Langue2pie.

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Un hélicoptère de fonction ?

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Mon cher Philippe,

J’ai lu ton interview dans La Gazette de Montpellier de cette semaine, et, à la fin, tu dis une énormité dont je m’étonne qu’elle n’ait pas été relevée. À la question « Si vous êtes élu président de région ?« , tu réponds :
« Je resterais président de la métropole (…) Et je vivrais ici. Toulouse en hélicoptère, c’est à côté »
En hélicoptère ! Tu m’en diras tant !

Un aller-retour Montpellier-Toulouse dans un petit hélicoptère, c’est 2 200€. À raison d’un minimum de 3 aller-retours par semaine, 50 semaines par an, ta petite folie héliportée couterait aux contribuables 300 000€ à l’année,  2 millions sur tout le mandat. Au minimum ! Comptons plutôt sur le double, vu ton hyperactivité.
D’ici à ce que tu mettes dans le peu de tes points de programme l’achat d’un Écureuil de chez Eurocopter, il n’y a plus qu’un pas. Un hélicoptère de fonction !
Bref, ce serait une aberration écologique et financière.
Nul doute que tu sauras te ressaisir et avancer enfin des propositions qui vont dans le sens du bien commun, d’un développement durable et d’une saine gestion publique. Car pour le moment, c’est une gabegie annoncée.

Et puis, 3 jours par semaine à Toulouse, qui s’occupera de Montpellier, hein?

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et aussi, On peut en rire

Des nimbos, mon nimbus ! La fausse motivation

Il y a quelques années, je suis tombé sur les lettres de non-motivation de Julien Prévieux. Je ne me suis pas fait mal, et j’avais au contraire beaucoup apprécié l’exercice. À tel point qu’il m’arrivait d’en lire dans les périodes où la recherche d’emploi devenait pour moi une préoccupation urgente et centrale (ce qu’elle est toujours, d’un certain côté, n’hésitez surtout pas si vous avez un poste à me proposer, je sais faire plein de choses avec ma tête).

À la faveur d’une annonce trouvée sur les internets, j’ai pris un temps de récréation pour écrire une fausse lettre de motivation en réaction à l’annonce. Il s’agit du recrutement d’une directrice ou d’un directeur des Affaires Culturelles de la ville d’Hénin-Beaumont, ville conquise par le Front National en mars dernier.

Culture, Front National, ce ménage impossible.

Une fois la lettre écrite, je l’ai posté sur les réseaux sociaux. Et les réactions m’ont amené à construire un projet artistique collaboratif à partir de cette base littéraire.
Ce petit post de blog est donc un appel à écriture : je cherche de bonnes plumes pour inventer de fausses lettres de motivation, ou de vraies lettres de non-motivation. Pourvu qu’elles aient des qualités littéraires, qu’elles soient drôles ou belles ou, mieux, les deux.
De cette compilation, je tirerais un recueil numérique, sous une forme que je n’ai pas encore déterminé. Un archipel de réactions, posé dans l’éther de nos vies numériques, et les nuages qui les relient. Parce que les internets sont d’abord un lieu de création et d’inventivité, avant que d’être colonisés par les marchands de tous ordres. Et parce que le geste artistique reste l’un des meilleurs moyens de lutte contre la bêtise, l’obscurantisme et le repli sur soi. En tout cas c’est ce que je crois.
Alors amies lectrices et amis lecteurs, lâchez-vous. Ecrivez, chantez, faites de l’audio, du dessin, un texte, une vidéo, tout ce que vous voudrez. Ecrivez bien ou faites des fautes intentionnelles, qu’importe. Soyez cohérent, intelligent, politique et poète. Envoyez-moi ça par mail, ou en commentaires ici-même.

Voilà la première lettre, l’incipit de cette œuvre collective.

À très vite.

F.

Lettre n°1

Monsieur le Maire,

C’est avec un grand enthousiasme que je vous fait part de ma motivation pour le poste de Directeur des Affaires Culturelles d’Hénin-Beaumont. La ville que vous administrez connaît un nouvel essor, et un rayonnement sans précédent, et je souhaite ardemment participer à cette renaissance par une politique culturelle ambitieuse et forte, ancrée dans l’identité de la commune.
Je n’ai pas toutes les qualifications requises par les grilles bureaucratiques, mais je sais que vous partagez l’idée puissante que les hommes s’élèvent par leur engagement, et que cette foi en l’intérêt général et en la préférence nationale sont plus importantes que de savoir si je suis un fonctionnaire de catégorie A ou C.
En outre, mes fonctions actuelles d’adjoint territorial du patrimoine, et ma formation initiale, m’ont préparé à cette ambition.
Ma formation initiale parle pour moi. Après une licence de droit et histoire de l’Art à l’Université d’Assas-Panthéon, j’ai obtenu un Master 1 « Médias, Information et Communication » dans cette même université, grâce notamment à un mémoire consacré à « La revue Éléments à l’heure du web 2.0. ».
À la suite de quoi j’ai pu intégré le DU Professions du marché de l’Art de l’université Jean Moulin Lyon 3, sanctionné par une mention Très Bien pour mon mémoire : « L’essor des collections privées d’Art en Bavière, et leur régulation par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, 1940-1945 ».
Mais cette déportation sur les problématiques allemandes a limité mes possibilités de carrière dans la filière patrimoniale. Ma force de volonté et de diversification m’a alors permis de multiplier les expériences dans différents domaines de la gestion des affaires culturelles.
J’ai ainsi été assistant du directeur de la salle des musiques de Vitrolles entre 2000 et 2002, puis assistant du directeur de la communication à la Mairie d’Orange, en charge des questions lyriques et patrimoniales, de 2002 à 2004. J’ai été ensuite assistant parlementaire de Monsieur Bruno Gollnish, député européen de la circonscription Est, pour lequel j’ai notamment travaillé à l’essor des coopération entre l’Alsace et la Bavière.
Depuis 2009, je suis chargé du projet de coopération culturelle avec Baden-Baden pour le Pays d’Alsace du Nord, poste que je cumule avec un temps partiel de secrétariat de la commune de Fort-Louis, dans le Bas-Rhin.
J’ai donc une expérience complète du domaine culturel, et c’est avec un sentiment de fierté que je porterai la flamme de vos ambitions nouvelles à Hénin-Beaumont.

Sincèrement,
Votre dévoué,

Francis Narèze

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Source de l’image, ici.

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À Montpellier, EELV est en état de mort clinique

À Montpellier, EELV est en situation de mort clinique. C’est l’aboutissement d’une lente dérive clientéliste.

Voilà le texte que j’ai co-signé avec Nicolas Dubourg, Christian Dupraz, Nadja Flank, Jacqueline Markovic, Marie Massart, et Manu Reynaud.

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Les résultats des élections municipales du 30 mars 2014 ont placé EELV à Montpellier dans une situation de mort clinique.

Un projet politique indigent, une stratégie inepte, des leaders disqualifiés, une poignée d’affidés en guise de militants, plus de local, plus de permanent : le cadavre doit être regardé avec lucidité.

Notre mouvement, qui était présenté il y a encore un an comme la deuxième force politique de la ville, n’aura plus de groupe, fut-il d’opposition, au conseil municipal, puisque sur les 12 personnes investies par le groupe local, seule une siégera, dans l’opposition.

Nous sommes donc passés de 9 élu-es écologistes dans la majorité en 2001, à 4 conseillers d’opposition en 2008, pour finir à un seul en 2014, quand dans le même temps deux de nos anciens adhérents siégeront dans la majorité.

Ce résultat est la conséquence d’une stratégie désastreuse, d’une combinaison politicienne à courte vue mise en œuvre par Mustapha Majdoul, fort d’une écrasante majorité basée sur des adhésions de complaisance et des pratiques frauduleuses.

Cette situation de main mise de type clanique a empêché tout débat réel et toute analyse approfondie des enjeux et des contextes au sein du groupe local d’Europe Écologie Les Verts.

Cette stratégie a été sévèrement sanctionnée dans les urnes dimanche dernier. C’est la démonstration que l’on n’achète pas l’électorat écologiste avec un logo et des arrangements d’appareils, mais qu’on le convainc sur la base d’un projet cohérent et solide. Le succès d’Eric Piolle et des écologistes à Grenoble en fournit un éclatant symbole.

C’est aussi la démonstration que les pratiques clientélistes, à l’œuvre au sein de notre parti comme au sein de l’électorat, peuvent contrôler la désignation des têtes de liste et l’imposition d’une stratégie, mais sont rejetées massivement par les électeurs.

Trois d’entre nous, candidat-es sur cette liste d’union opportuniste entre PS et EELV, peuvent témoigner de ce rejet massif dans la population, et de l’absence voulue et affirmée de toute réflexion collective des représentants d’EELV durant cette séquence.

Pour toutes ces raisons, il nous apparaît désormais impossible de continuer ainsi.

Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux. Ils gangrènent le fonctionnement démocratique de nos instances locales, et rendent impossible l’expression d’un discours écologiste sincère et crédible. Un point de non retour a été atteint aujourd’hui.

C’est pourquoi nous demandons aux instances nationales la dissolution du groupe local EELV et sa re-création sur des bases saines, sans cartes de complaisance, dans le respect des règles démocratiques que nous défendons dans notre mouvement comme dans la société tout entière.

Le clientélisme politique a profondément sali l’espace politique, économique et social montpelliérain. Nous, écologistes, refusons de l’accepter comme une fatalité proliférant sur la précarité et la pauvreté de nos concitoyens. C’est donc d’abord en notre sein que nous devons radicalement trancher.

François Baraize, Nicolas Dubourg, Christian Dupraz, Nadja Flank, Jacqueline Markovic, Marie Massart, Manu Reynaud.
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Au printemps, le ginkgo renaît toujours

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Je voudrais remercier toutes celles et ceux qui nous ont soutenus, aidé, encouragé pendant cette campagne municipale. Pour moi et pour mes camarades écologistes Jacqueline et Marie, c’était une dure campagne. Nous n’étions pas à l’endroit où nous aurions voulu être. Cette stratégie n’était pas la nôtre. Nous l’avons subie et assumée par loyauté. Mais ce n’était pas la stratégie qui nous semblait la plus efficace pour transformer cette ville et son territoire par un projet écologiste, durable, solide. Comme elles, j’ai mis toute l’énergie que je pouvais mettre, loyalement, pour tenter des choses de l’intérieur, contrer l’apathie, les verrouillages et les blocages d’une société montpelliéraine qui a du mal à croire en son avenir, et poser les fondations d’un autre débat politique. Je l’ai fait en croyant que c’est possible, comme ça je peux me regarder dans la glace.

Je prendrais le temps de faire un bilan plus détaillé dans quelques jours, et de raconter un peu comment j’ai vécu les choses de l’intérieur, parce que je crois qu’il est essentiel de dire comment les choses se passent.

Philippe Saurel a gagné, au terme d’une campagne dans laquelle il a su indéniablement trouver l’angle du moment, et la stratégie la plus efficace pour l’imposer.

Je le félicite : il a su se mettre à l’écoute de la ville, et entendre le ras de bol des Montpelliérains face aux pratiques clientélistes qui touchent tous les appareils politiques montpelliérains, y compris EELV. Il s’est passé peu de journées pendant cette campagne où je n’ai pas entendu ce ras-le-bol.

Il s’est également passé peu de jours sans que je n’entende une vraie interrogation sur le devenir de la ville. Je regrette profondément qu’aucun véritable projet écologiste n’ait émergé dans cette campagne, et qu’il n’y ait pas eu de bulletin vert à mettre dans l’urne au 1er tour.

Fort de son hégémonie sur le groupe local EELV de Montpellier, Mustapha Majdoul a mis en œuvre des combinaisons politiques à courte vue, entraînant la quasi-disparition de l’écologie politique dans cette ville, alors que nous étions en mesure de porter un projet écologiste qui aurait pesé dans le débat. Cette stratégie, ici comme à Marseille, a été sévèrement sanctionnée dans les urnes dès le premier tour. Alors même que, dans toutes les grandes villes où les écologistes se sont présentés sur un projet autonome, leurs idées ont progressé dans l’opinion comme dans les futurs gouvernements locaux, EELV, qui avait 3 conseillers municipaux dans l’opposition lors du dernier mandat, en aura 1, toujours dans l’opposition. Quelle débandade. Il faudra en tirer toutes les conséquences.

Il faut maintenant reconstruire l’écologie politique à Montpellier. C’est un travail de fond, et d’abord un travail sur les dossiers. Les écologistes exerceront leur vigilance dans la mise en œuvre des engagements du nouveau conseil municipal, et du nouveau conseil d’agglomération.

C’est aussi la nécessité d’ouvrir le débat, beaucoup plus largement. Face à cette défaite des systèmes partisans, il n’y a qu’une alternative : tenter de reconstruire un système identique sur les cendres de celui qui vient de mourir, ou profiter du seul acquis de cette campagne d’union, la transversalité des pratiques, pour permettre à une génération de démocrates de préparer un autre projet pour la ville. Un projet fondé sur la transparence démocratique, la sobriété des finances publiques, la gestion durable de nos ressources, la transformation de l’économie locale autour d’un projet durable. L’écologie est une alternative globale. Elle ne se construit ni par la révolution, ni par l’incantation, encore moins par le greenwashing. Elle se construit en pollinisant, en montrant qu’elle est possible au quotidien. Ni par des accords d’appareils, ni par l’enfermement dans des niches confortables et minoritaires, mais par le débat, et la sincérité des engagements.

C’est le moment. Au printemps, le ginkgo renaît toujours, et bourgeonne.

*«Et pourquoi le ginkgo?» me demande-t-on. Parce que le ginkgo est un arbre légendaire, fossile, rescapé des ères précédentes, et qu’il renaît toujours. A Hiroshima, le premier signe de renaissance de la vie fut le bourgeon d’un ginkgo, que le feu nucléaire n’avait pas pu détruire. Les premiers ginkgos français ont été implantés à Montpellier, au jardin des plantes.