Cher Jean-Luc, on fait quoi dimanche ?

Cher Jean-Luc,

On va s’appeler comme ça. On se connait depuis longtemps. Si si. C’est moi qui ait écrit cette sale chanson militante des années 80 : « Dans l’Essonne, quand le tocsin sonne, c’est qu’Mélenchon l’actionne ». C’étaient des bisbilles étudiantes d’ex-trostkards. Aucun intérêt.
Cher Jean-Luc, donc.

Dimanche il va falloir que j’aille voter, comme des millions d’autres gens. On a le choix entre l’ordo-libéralisme version capitalisme de surveillance, et le national-populisme. Et le vote blanc ou l’abstention.

Je t’en parle à toi, parce que tu es la clé du bouzin.
Moi, je sais ce que je vais faire. Ça me troue le cul, mais je sais ce que je vais faire. Deux fois, déjà, j’ai refusé de faire le castor. De faire barrage. En 2002 et en 2017. Mais moi je sais que je suis un privilégié de l’information. Ancien chercheur en science politique, ancien journaliste, j’ai eu suffisamment de réseaux les fois précédentes pour savoir, à 19h00 le dimanche, que le barrage n’avait pas besoin de moi. Que la marge de sécurité était large. Et je me suis lâchement abstenu. En laissant suffisamment d’autres faire le sale boulot.
Aujourd’hui, j’ai encore suffisamment de réseau pour savoir que dimanche prochain, y’a plus de marge de sécurité, et que s’abstenir c’est pile ou face. Pile le choléra du capitalisme de surveillance, face le fascisme qui aime les chatons. Les fascistes ont toujours aimé les chatons, et les chiens, et tous les animaux domestiques. Et la peste, c’est bien pire que le choléra.
Et j’entends, j’écoute, je lis. Tous ces gens qui ont voté pour toi et qui se disent que la prochaine étape se fera sans eux. Ou, encore plus dingue, qu’il faut précipiter l’étape encore d’après, et voter pour la fasciste pour créer les conditions de la révolution.

Moi j’ai trois enfants. et je vote pour eux. L’ainée est anar. Elle vit aux frontières de l’Union Européenne, là où les réfugiés affluent. Elle ouvre des squats, et crée des voies, elle accueille. Elle vit dans un monde d’après, très loin de tes programmes planificateurs. Un monde sans état, sans gouvernement, sans consommation. Je suis prêt à parier qu’elle n’a pas voté.
Numéro 2 est révolté. Il a voté pour toi. Parce que tu représentes une victoire. Il est prêt à ne pas voter dimanche.
Numéro 3 n’a pas encore le droit de vote. Mais elle connait la différence entre la peste et le choléra. Elle pense que résister à Macron sera plus facile que résister à Le Pen. Elle aimerait que je prenne ma part dans cette histoire. Que je lui offre une terre de résistance moins dévastatrice.
Moi, je l’écoute. Je voterai pour elle. Mais encore une fois, je suis un privilégié.
Pourquoi je m’adresse à toi, moi, privilégié ? Parce que tu portes une énorme responsabilité. Aussi énorme que l’espoir que tu as pu faire naître. Cette responsabilité, c’est de recréer une opposition autre que l’opposition des fascistes, des racistes, et des pauvres idiots en colère contre eux-mêmes.
Et que, si moi je sais ce que je vais faire dimanche, c’est-à-dire faire le castor, parce que je veux pouvoir regarder ma dernière fille en face, beaucoup de tes électrices et électeurs, et surtout beaucoup de celles et ceux qui ont voté dimanche dernier pour une autre version de la gauche attendent de toi et de tes suiveurs un vrai comportement responsable, un truc qui nous ferait dire qu’une autre opposition est possible. Qu’elle est possible dans le cadre institutionnel (t’as vu j’allais écrire démocratique et j’ai effacé) qui est le notre. Si la Fille De Le Pen est élue, ce cadre institutionnel explosera. Les législatives seront une déferlante national-populiste. Et l’opposition sera muselée ou armée. La bonne blague. Comme dit mon ainée, si les français savaient concevoir des cocktails molotovs ça se saurait.
Si l’ordo-libéral passe, la possibilité qu’on construise une vraie opposition de gauche est encore possible. Et même une cohabitation. Si la fasciste passe, on peut oublier.
Mais pour que cette idée de reconstruction de la gauche puisse exister, il faut que toi, toi d’abord, et tes suiveurs ensuite, arrêtent de faire les débiles. Or vous faites les débiles. Or vous êtes en train de dire au reste de la gauche que c’est no way, que vous êtes trop forts tous seuls, et qu’à part ramper devant vous, se flageller, il n’y a pas d’autre voie.
Tu as 5 jours, mec. Cinq jours pour nous montrer que tu n’as pas fait tout ça pour rien. Cinq jours pour ouvrir une perspective, et convaincre les abstentionnistes de gauche que tu peux créer une majorité, ou au moins un vrai contre-pouvoir. Cinq jours pour faire ravaler leur morgue à tes suiveurs, ouvrir de vraies discussions, nous montrer que tu es vraiment capable de créer un espoir, et que le premier pas à faire c’est d’écarter le fascisme. Alors bouge toi, bordayl. Sinon, c’est toi qui sera le responsable de ce qui adviendra. Pense à ça, Jean-Luc. Avant de te raser.

[ssba]