On ne va pas se fâcher
Amies et amis, moins amies et moins amis, mais néanmoins camarades, je vous écris ce petit mot pour vous dire que je m’en vais.
Je ne vais pas faire trop long, c’est inutile. Mais je voudrais juste vous dire les quatre raisons pour lesquelles je quitte le bateau d’Europe Écologie Les Verts. Et pourquoi on ne va pas se fâcher, ni se cacher.
J’ai adhéré à ce mouvement en 2010, au moment de son ouverture, et de ce qui semblait une fabuleuse aventure, emmenée par José Bové et Daniel Cohn-Bendit, entre autres. Mais pour moi c’était les principaux. Je ne me découvrais pas écolo, je crois que j’attendais juste cette impulsion pour me dire que ce parti, les Verts, que je considérais comme incapable de faire avancer ses idées, avait là l’occasion d’être à la fois le vecteur d’un changement massif de comportements et d’idéaux, et d’être en capacité de conquérir les lieux et les temps du pouvoir, nécessaires à transformer nos sociétés.
Ça n’a pas duré. L’élan fut de courte durée. La fondation d’Europe Écologie éclata les cadres rouillés et stériles des Verts. Mais la matière était… thixotropique. Passé l’éparpillement, la matière reprit sa forme. Dans la bataille du nom, les Verts reprenaient déjà le dessus, et c’était le début de la fin.
Mais bon, le jeu en valait la chandelle. Un autre monde est possible, et un autre parti pour le changer est possible. C’est ce que je me suis dit.
Cinq ans plus tard, je n’y crois plus. En tout cas plus ici.
1 – Ce parti ne sait pas rompre avec la logique mortifère des partis du mouvement ouvrier, qui ne font que singer l’organisation sociale qu’ils sont censés combattre, en favorisant les logiques d’accumulation capitaliste de ressources symboliques, tout en ayant l’exquise schizophrénie de croire les combattre par un grossier vernis de lutte permanente contre ses propres élus. Pour autant, ce parti est réellement différent des autres. Parce que sa démocratie interne est presque réelle, en tout cas tout ce qu’il y a de plus dense. Sauf que.
2 – Le fonctionnement interne d’EELV, le foisonnement de sa démocratie électronique, s’accompagne d’une incapacité à juguler la violence verbale. Tranquillement installée derrière un clavier, une minorité pense qu’elle peut libérer la parole jusqu’à l’intolérable, sans voir qu’inconsciemment elle détruit l’une de ses valeurs fondamentales, la non-violence. Je l’ai beaucoup subi dans d’autres pans de ma vie militante, et j’espérais m’en préserver ici. Ce fut tout le contraire. Et ça m’insupporte. D’autant plus que cette violence imbécile n’a souvent pour but que de masquer la vacuité politique de ces combats d’appareils, dans un cercle vicieux qui permet de concentrer son énergie sur l’interne, pour éviter de se coltiner la réalité, et écarter celles et ceux qui pourraient amener du mouvement et de l’innovation. En vieux sociologue des institutions, je comprends le phénomène chez les partis ouvriers moribonds et leurs héritiers de pacotille. Mais pas ici.
3 – Cet épuisement interne est alimenté par une étonnante passion du droit amateur. Mes vieux ami-es des verts pensent que tout se règle par un foisonnement juridique. Il y a des règles pour tout, la plupart sont inapplicables, chaque majorité peut les tordre à sa guise, puisque de toute façon les sanctions internes n’arriveront qu’après que le mal soit fait. Dans cette « région comme les autres », j’ai subi les tricheries du clientélisme comme je ne pensais plus en subir après tant d’années d’arnaques internes aux socialistes. Et pourtant ce fut pire. La bataille fut rude pour en sortir, les dégâts incommensurables, ramenant l’écologie montpelliéraine au néant de l’influence électorale. Et pourtant, force est de constater que rien n’est vraiment fini. Le moindre mouvement interne donne lieu aux mêmes déchaînements de mauvaise foi, d’appels imbéciles aux règlements inconnus et à une jurisprudence qui remonte parfois à Waechter ou Dumont. C’est l’erreur profonde que nous avons faite en 2010. Au lieu de repartir de zéro, complètement de zéro, nous avons repris le moule stérile des Verts et de leurs batailles endogamiques. Elles nous mènent à la stérilisation de l’écologie politique.
4 – Le tournant présidentialiste à l’œuvre achève ce tableau. J’ai longtemps pensé que ce parti était vacciné contre ce crime démocratique qu’est la présidentialisation des enjeux politiques français. Force est de constater que le mouvement à l’œuvre conduira à construire une écurie présidentielle, dont je ne veux pas. Je ne veux pas participer à cette farce qu’est la présidentielle. Cette ignominie démocratique. Je veux lutter pour la proportionnelle, et pour des groupes parlementaires forts. Ce n’est pas le chemin. Au contraire, la gangrène gagne du terrain localement. Le dernier numéro que nous avons du subir en région, pour satisfaire l’ambition d’une tête de liste régionale qui se voit président d’une région nouvelle, a fini de mûrir ma décision.
Ce n’est pas seulement que je pense idiote cette idée que nous devrions nous unir avec des anti-fédéralistes, des antipollinisateurs, des anti-européens, des souverainistes communaux. Mais ce dernier épisode de la série « je vous prends pour des cons » m’est impossible à regarder sans rien dire. Voter l’autonomie de la voie écologiste, pour immédiatement après débuter un mouvement vers un cartel de partis, dans une totale opacité, c’était déjà fort. Appeler concertation citoyenne une plateforme numérique dans laquelle chacun de ces partis cartellisés viendra poser ses vagues idées, pour aboutir à une enfilade de déclarations de principes qui masquent les désaccords de fond, alors qu’un boulevard politique autonome s’ouvrait à nous ; dévaluer la parole publique, flinguer des mots comme participation citoyenne, prendre l’intégralité des militants pour des cons en leur envoyant 120 scénarios comme autant de journées chez Pasolini, tout cela devient surréaliste. Tout ça pour quoi ? Pour se dire que si on passe une campagne entière à taper sur celui avec qui on devra s’allier au 2° tour, on peut nourrir l’improbable idée que cette médiocrité collective séduira une majorité d’électeurs?
Non, sans rire.
En tout cas, c’est la goutte de trop. Ce n’est, surtout, pas ce dont j’ai envie.
Je pense sincèrement que l’écologie ne peut pas exister politiquement dans un parti fermé. Et que la solution n’est pas le cartel de partis, ni l’écurie présidentielle. L’écologie doit tenir sur deux jambes : les solutions qu’elle nourrit dans la société civile, dans les mouvements alternatifs, dans les expériences individuelles, et la capacité de porter ces solutions innovantes dans l’institution. On ne parle plus de ça.
On a plus le temps, on est tellement occupé à construire des écuries, purger les impurs et scruter la jurisprudence interne.
Je m’en vais. Ailleurs, au large, avec plein d’autres gens, qui pour la plupart nous ont quitté sans bruit ces dernières années. J’espère que les 5 ans passés avec vous me vaccineront contre toute tentation de structurer un mouvement. J’aspire à des choses fluides, et une partie d’entre vous sont des adorateurs des écluses et des barrages.
On ne va pas se fâcher. Celles et ceux avec qui je suis déjà fâché changeront peut-être un jour.
Les autres, les ami-es, on sait qu’on sera assez intelligent pour se retrouver.
À elles et à eux, bisous et à très vite dans d’autres sphères.
François.
Le 28 septembre 2015. Jour d’éclipse.
À Montpellier, Languedoc-Roussillon. Gros Sud, comme on dit maintenant. À moins qu’on ne lui préfère Langue2pie.