De l’écologie politique de masse
J’ai un problème. Je défends des idées qui ont du mal à passer dans la population. Je défends la mise en œuvre de politiques publiques qui soient radicalement différentes de celles qui sont mises en œuvres depuis les trente glorieuses.
J’ai conscience que l’humanité crame les ressources naturelles de la Terre dans une totale inconscience, en se foutant royalement de ce qui restera aux générations futures.
Je veux pouvoir vivre autrement, dans un monde apaisé, partagé.
Mais ça, ça demande énormément de choses.
Ça demande à ce que nous puissions collectivement imposer un autre partage des richesses, que l’écart entre les plus pauvres et les plus riches se réduisent drastiquement à l’échelle de la planète.
Ça demande à ce que nous arrivions à substituer à la production de biens inutiles pour la plupart, une production de biens utiles à tous, une production qui créée de la richesse sur des bases équitables.
Ça demande à ce que nous arrivions à substituer à la production d’énergie à partir de ressources usables, une production d’énergie à partir de ressources renouvelables. C’est d’ailleurs la clé du changement de production et de consommation.
Ça demande à ce que les politiques publiques, locales ou nationales ou européennes, soient pensées différemment, soient construites différemment, avec des systèmes de participation et de contrôle qui empêchent le détournement de l’intérêt général au profit d’intérêts privés. C’est d’ailleurs la pierre angulaire pour que l’impôt redevienne acceptable, et qu’une politique de redistribution des richesses puisse être acceptée.
Comme je crois en la faillite intrinsèque des processus révolutionnaires, qui ont tous été, sans exception, des processus de substitution d’une élite à une autre, j’ai opté depuis longtemps pour une autre méthode de transformation de la société : la diffusion de mes idées dans la société, l’élargissement de leur audience, l’idée forte que tu vas semer une autre façon de faire qui se développera sans toi, que tu vas fertiliser, polliniser, comme une abeille qui en récoltant le pollen permettra à la nature de se reproduire.
Et ce n’est pas facile.
Et c’est long et lent, alors que je vois des urgences.
Alors j’ai opté pour une démarche que j’appelle l’écologie de masse.
L’écologie de masse, ça commence d’abord par un “nous”. La création d’un collectif, dans lequel le pouvoir se partage autant que les idées et les compétences. Un “nous” le plus paritaire possible, parce que la parité est d’une redoutable efficacité.
Dans mon “nous”, on favorise une organisation en binôme paritaire. À deux, c’est mieux.
Une fois que les contours de ce “nous” sont posés, le collectif va te permettre d’agir.
Mais comment ?
Faire de l’écologie de masse, c’est prendre le pari que tu vas diffuser non pas une parole technicienne, experte, élitiste, ou une parole catastrophiste, cassandrienne, faussement radicale, mais une parole accessible à une majorité.
Faire de l’écologie de masse, c’est se donner les moyens de toucher le plus grand nombre possible de gens autour de toi. Les toucher dans leur quotidien, dans leur représentation du monde, des problèmes qu’ils rencontrent. C’est leur montrer des solutions auxquelles ils n’ont pas vraiment pensé.
Et c’est toucher le pus grand nombre possible en évitant au maximum les déformations de tes idées.
Faire de l’écologie de masse, c’est aussi intégrer que toi, militant politique, forcément généraliste, tu dois te mettre au service des engagements associatifs qui partagent tes idées.
Au contraire des partis révolutionnaires qui font du monde associatif une courroie de transmission, au contraire des partis socio-démocrates qui font du monde associatif un terrain de récupération ou de clientélisme, faire de l’écologie de masse, c’est accepter l’idée d’un partage des rôles et des savoir-faire.
Accepter d’utiliser les codes des médias, qui ont besoin de raconter des histoires plus que des idées, mais se servir de cette nécessaire personnalisation des enjeux comme d’un moyen, d’un levier pour faire avancer les causes collectives défendues notamment par les associations. La division du travail entre l’écologie politique et les mouvements associatifs doit être là : le militant politique n’est qu’un porte-voix, un accélérateur, celui qui permet de poser le problème dans la tête de celles et ceux qui sont en charge de la conception et de l’application des règles collectives.
Offrir un vélo au Préfet parce qu’il annonce une sévérité accrue auprès des cyclistes, c’est un résumé de cette méthode.
Face à une parole publique qui discrédite un engagement fondamental des écologistes, un “nous”, un collectif plutôt rodé à de “l’activisme”, décide de réagir, et de réagir vite. Il invente un processus médiatique, au sens où il espère que la forme de l’action permettra qu’elle soit relayée par les médias, et que cette forme médiatisable permettra non pas de masquer, comme trop souvent, mais au contraire de mettre en valeur le fond et les idées.
Le collectif enrôle des acteurs associatifs, qui ne travaillent pas forcément ensemble, et qui seraient réticents à se mettre sous une bannière partisane.
Il leur propose d’être une caisse de résonance, qui favorisera leur expression publique, et renforcera leur légitimité à être des interlocuteurs publics.
Il ne se substitue pas à eux, il ne leur fait pas écran. Il met à leur disposition sa rapidité d’action et sa capacité à communiquer.
L’action est construite ensemble, par un va-et-vient pour valider le message, les objectifs et les modalités concrètes, là encore dans une cohérence entre le fond et la forme.
L’action est réussie si le message est largement diffusé et relayé par les médias, si l’interlocuteur comprend la nécessité d’un dialogue avec les acteurs associatifs, et si ces derniers peuvent enclencher une dynamique de construction de politiques publiques plus efficace à la suite.
Et si la confiance est renforcée entre les partenaires de l’action.
Et si l’action des différents relais donne à d’autres l’envie de participer et de s’engager dans le même sens.
Ça, c’est de l’écologie politique de masse. Comme je l’aime.