À vos casques ! (du glaive, du bouclier, et du danger de l’histoire mal assimilée)
Cher Jean-Christophe,
Il y a longtemps, nous fûmes plutôt plus proches que peuvent l’être un patron et son employé, et je garde de cette période un souvenir marchaisien : globalement positif. Mais comme le dit le proverbe : qui aime bien châtie bien.
Tu viens d’utiliser une métaphore assez étonnante pour expliquer aux béotiens que nous sommes en quoi François Hollande était un bon président, et Manuel Valls un bon premier ministre. Tu as dit :
« François Hollande est un bouclier pour les Français et Manuel Valls est un glaive dans les réformes. Il coupe, il avance »
Le glaive et le bouclier. Ce couple nous vient de loin. Dans l’Antiquité latine, le vaincu déposait glaive et bouclier en signe d’acceptation de la défaite. L’expression est ainsi passée dans les métaphores courantes, et un grand auteur de polar américain en a fait le titre d’un de ses très beaux livres.
Mais tu ne nous parles pas de déposer les armes, ou alors, je n’ai pas compris.
Tu nous parles du bouclier protecteur et du glaive tranchant. Et ceci vient d’ailleurs que des Gaulois et des Romains chers à Uderzo et Goscinny.
Ce à quoi tu fais référence, c’est à la théorie du glaive et du bouclier, une théorie née en 1939, puis ressortie en 1954 pour réhabiliter Pétain. Une théorie qui faisait du couple Pétain – De Gaulle un binôme concerté pour protéger la France et les Français : Pétain était le Bouclier qui, en simulant une politique de collaboration, limitait les effets de la défaite et de l’occupation en attendant que De Gaulle, le Glaive, soit assez fort pour vaincre l’Allemagne nazie.
Cette théorie vaseuse, infirmée tant par les faits que par les historiens sérieux, est le fruit de Robert Aron1, un intellectuel personnaliste en vogue dans les années 30, qui pensait que la France entrait en crise de civilisation et que seul un renouveau spirituel pourrait la sortir de l’ornière.
Cette théorie du Glaive et du Bouclier prend d’ailleurs racine dans la Chrétienté profonde. Dans le Livre des Rois de l’Ancien Testament, le Glaive, c’est à la fois l’Évangile et la Parole de Dieu, et celui qui la porte : le Christ. Le Bouclier, c’est la Foi. Il manque ici le Casque, qui est l’Espérance, mais j’y reviendrai.
Cette théorie du glaive et du bouclier, celle d’un Pétain qui résistait en secret, et d’un De Gaulle qui était la partie immergée de l’iceberg, a été battue en brèche par De Gaulle, mais également par tous les historiens sérieux de la Seconde Guerre mondiale. Robert O. Paxton est le premier à réfuter la théorie de Robert Aron, parce qu’il a accès à la documentation nazie qui établit les preuves de complaisance de Pétain, et son empressement à satisfaire, et parfois devancer les demandes nazies.
Michel Winnock et Jean-Pierre Azéma, qui ont traduit et prolongé l’œuvre de l’américain Paxton, doivent bien halluciner aujourd’hui de te voir emprunter cette théorie pétainiste pour justifier de ton soutien au couple exécutif.
Car, au fond, qu’es-tu en train de nous dire ? Que le Maréchal François Hollande est le bouclier face à quoi ? Qu’il fait semblant de faire une politique qu’il habille d’un verbe social pendant que le Général Manuel Valls « Le Glaive » mène les vraies réformes libérales ?
Ou le contraire ? Que François le Bouclier fait semblant de collaborer avec la finance mondiale pendant que Manuel le Glaive pourfend le capitalisme de son acier tranchant ?
On y perd son latin. La seule chose que je comprends, c’est que tu te fourvoies totalement dans la reprise de cette métaphore christiano-pétainiste. To-ta-le-ment.
Moi, je vais reprendre mon casque pastèque, parce que je voudrais que l’espérance continue de vivre, pendant que le parti qui a fait la gauche des quarante dernières années continue de mourir à petit feu.
Amitiés, hé !
Illustration : L’ange au glaive et l’ange au bouclier protègent le Christ de l’Enfer. Tympan de l’abbatiale de Conques (chère à mon cœur). Source.
Histoire de Vichy, Robert Aron et Georgette Elgey, Paris Fayard, 1954 ↩