Combien faut-il maîtriser d’électeurs pour remporter Montpellier ?

L’héritage Frêche. (épisode 2)

Combien faut-il maîtriser d’électeurs pour remporter Montpellier ? Je me suis posé la première fois cette question après les municipales de 1995, dans une tentative d’objectiver le système clientéliste que je découvrais en arrivant à Montpellier.

Ce qui m’avait mis la puce à l’oreille en 1995, c’était que Frêche avait réuni au premier tour 31 856 voix. C’était là son électorat « maîtrisé ». A l’époque, la population de Montpellier était de l’ordre de 220 000 hab. Et il y avait 116 449 électeurs inscrits.

J’avais fait en 1992 un DEA sur la socialisation politique des étudiants, en traitant notamment la question de leur inscription sur les listes électorales. À peine 1/3 étaient inscrits à Montpellier. Une partie n’était pas inscrite, et la majorité votait dans leur commune d’origine. Or, je savais que la mairie faisait un gros boulot en préparation du recensement pour que les étudiants soient majoritairement recensés à Montpellier. Se jouait là une concurrence entre grandes villes, et Frêche voulait grimper d’un ou deux rangs dans la hiérarchie (à l’époque, il pensait même que Montpellier allait dépasser Nantes).

Donc je m’étais interrogé sur ce fait : 51% de la population de la ville était électrice. Je savais que certaines grandes villes avaient des ratios très bas, et d’autres des ratios très hauts. Plus la ville était « jeune », plus le ratio était bas. Plus c’était une grande ville universitaire, plus le ratio était bas.

En 1995, sur les 20 plus grandes villes de France, deux avaient un ratio électeurs/population en dessous de 50% : Lyon et Strasbourg (49,5% et 49,9%). Montpellier arrivait juste après, avec 52,6%, comme Lille (ville où les questions sont d’ailleurs les mêmes,  Mauroy était élu avec une toute petite fraction de la population). Ensuite, ça montait très vite. 54,4% pour Toulouse, Bordeaux, Marseille, Grenoble, 58% pour Rennes, 62% pour Nantes, 67% pour Nice.

Ça pouvait se comprendre. Montpellier était une ville jeune et universitaire, avec, en sus, une très grosse mobilité géographique. Je me suis donc intéressé au fichier électoral. En présidant des bureaux de votes, je m’étais étonné du nombre de cartes électorales qui revenaient en NPAI. J’ai interrogé le service des élections, qui m’a confirmé ce que je pensais : sur 116 000 inscrits, plus de 15 000 cartes revenaient pour mauvaise adresse, et n’étaient pas distribuées le jour des scrutins. C’était une estimation volumétrique, ils ne comptaient pas vraiment. Mais il y avait des petits tas de 100 à 150 cartes NPAI pour chacun des 115 bureaux de vote de l’époque.

C’était certainement un effet des flux de populations. Au début des années 2000, les flux à l’intérieur de l’agglomération étaient tels, que l’INSEE calculait qu’entre 2001 et 2006, sur une population de 350 000 habitants, il y avait eu 75 000 arrivées et 71 000 départs. Soit un mouvement global de plus de 140 000 personnes sur l’agglo, dont la moitié affectant la ville centre. En d’autres termes, tous les 5 ans, la ville voyait sa population renouvelée à hauteur de 60 000 personnes, soit 1/4 de la population. Rien d’étonnant donc que le fichier électoral soit en constant bouleversement.

Mais ça voulait également dire, pour moi, que sur les 116 000 électeurs officiels, il n’y avait en réalité que 100 000 électeurs réels. Soit un ratio électeurs/population de moins de 45%. Ce qui expliquait également une abstention plutôt forte à Montpellier, avec une participation aux municipales en dessous de 60% du corps électoral.

Il en résultait qu’en 1995, en réunissant 31 856 voix au 1er tour des élections municipales, Frêche était assuré de sa réélection au second tour. Qu’il lui suffisait donc de maitriser 14% de la population de la ville pour assurer sa domination sur la ville ET l’agglo.

Je me suis donc intéressé aux modalités de cette maîtrise. Je n’ai là que des hypothèses, je n’ai jamais pu travailler à grande échelle. Mais je sais que :

  • Freche était tout a fait conscient de cela. Il ne cherchait pas à élargir sa base électorale. Fort de ce même calcul, il pouvait travailler à l’économie de moyens.
  • Maitriser 30 à 35 000 personnes était assez simple.

– Par l’emploi, d’abord. Qui n’a jamais vu Frêche en visite sur le territoire se faire alpaguer pour demander un emploi dans une des multiples officines du « pool mairie de Montpellier », comme il appelait alors l’ensemble des institutions sur lesquelles il avait un pouvoir direct ? Il employait directement ou indirectement à l’époque plusieurs milliers de personnes. La Ville et le district comptaient à eux deux 4 000 agents. Le CHU, qu’il présidait depuis plusieurs années, 8 500 agents non-médicaux dont 3 000 personnels administratifs et techniques. Ajoutons à ça les satellites : SERM, Enjoy, ACM, 600 personnes, et les gros prestataires (SMN Nicollin, 1000 personnes). Il pouvait donc influer assez directement sur l’emploi de 10 000 personnes.
– Le logement, ensuite. 30 000 personnes vivaient dans les 15 000 logements d’ACM à l’époque. À travers ACM, il pouvait fidéliser plusieurs milliers de familles,
– Les subventions, enfin. Dès 1987, il crée la commission Montpellier au Quotidien, qui réunit associations de quartiers, communautaires, etc. Plus de 300 associations en ligne directe avec la mairie, pour s’occuper des problèmes de voiries, de poubelles, de parcs et jardins, de locaux mis à dispositions, etc.

A travers ces 3 dispositifs, il était donc très simple de s’assurer que 35 000 personnes allaient bien aller voter le jour J. Ce qui est même étonnant, c’était qu’il n’y en ait pas plus.

Est-ce que les choses ont changé ensuite ?

En 2001, non. Le ratio électeur/habitant était descendu en dessous de 50%, à 49,6%. Au Municipales de 2001, les inscrits avaient baissé, passant de 117 000 à 111000, suite aux nouvelles procédures de révision et d’apurement des listes électorales. Le phénomène est sensible dans toutes les grandes villes, avec une chute de 0 à 4 points sur le ratio. Montpellier passe donc en dessous des 50%, elle est toujours 3° en partant de la fin devant Strasbourg et Lyon.

Le nombre de votants, lui, est également en diminution. 69 000 en 1995, 63000 en 2001. Au 1er tour, Frêche réunit 33 028 électeurs, contre 31 856 en 1995. En 6 ans, il a gagné 1 150 électeurs. La ville, elle, a gagné 10 000 habitants. Frêche maitrise toujours 14,5% de la population au 1er tour.

En 2004, une autre réforme intervient, c’est l’inscription automatique des jeunes de 18 ans après leur recensement en vue de la Journée Défense et Citoyenneté. Les listes de 2008 sont encore modifiées. Montpellier remonte dans la moyenne (basse) des grandes villes, avec 54,5% d’électeurs dans la population totale. La liste électorale fait un bon de 20 000 électeurs, pour se fixer à 137 182.  Au 1er tour des municipales de 2008, 72 000 électeurs se rendent aux urnes. Soit 28,6% de la population. C’est encore un peu bas pour une grande ville, leur moyenne tournant plutôt à 35%.

Et Hélène Mandroux est élue avec 36 343 voix au second tour. Soit… 14,4% de la population. Une stabilité non-démentie sur 15 ans.

Jusqu’en 2008, le système n’a pas changé. La vraie question est de savoir, maintenant, qui a gardé quoi dans l’héritage ?

L’héritage lui même a changé.

La maitrise de l’emploi, d’abord : 8600 personnels non médicaux au CHU, dont 2300 technico-administratifs. L’agglo a désormais un effectif de 1400 agents. La ville de 3000. TAM : 1000. Serm, ACM, Enjoy, et autres satellites : 600. Nicollin : toujours 1000. A ça s’ajoute, depuis la reprise du CG par Vezinhet, une partie des 5500 agents du CG34, ainsi qu’une partie des agents du Conseil régional et satellites : 3 500 agents. On a donc un volant d’emplois de l’ordre de 13 à 15 000. Tous ne se sentent pas redevables au leader, et certains n’ont pas besoin de ça pour être ses électeurs, la conviction leur suffit.

Les logements : ACM : 20 000 logements, 50 000 occupants. Les leviers se sont donc plutôt accrus, d’autant que, par rapport à 1995, il y a désormais les 4 émetteurs de subventions, Mairie, Agglomération, Conseil Général, Conseil Régional.

La liste électorale a continué de croitre.  141 542 électeurs aux dernières élections.François Hollande a fait 37 787 voix au 1er tour, avec seulement 22% d’abstentions et 109 000 votants, record historique. Lors des primaires du PS, 13528 personnes étaient venues voter à Montpellier. Au 1er tour des législatives, les candidats étiquettés PS ont réunis 28 932 voix sur la ville.

On reste, peu ou prou, dans la fourchette des 30 à 35 000 maitrisés par le système municipal, alors même que le corps électoral a considérablement changé, (pour rappel, 110 000 électeurs en 2001, 141000 en 2012, soit 27% d’augmentation).

J’ai du perdre une partie des lecteurs dans les chiffres. J’en suis conscient.

Et pourtant, toute la zone d’incertitude politique montpelliéraine est là, glissée dans ces nombres.

Qui, parmi ceux qui revendiquent l’héritage de Frêche, maîtrisent encore les réseaux ? Cela explique-t-il les dissidences, ou seulement les volontés parfois affichées de « sortir du système » ? Au sein de ces réseaux, quelles sont les proportions restantes de soutiens convaincus, de liens de loyauté toujours actifs et de fidélités caduques ?

Que feront les nouveaux électeurs ? Ceux qui ne sont pas encore insérés dans les réseaux locaux, dans la société locale ? Voteront-ils ? À quelle proportion ? Selon quelle logique ?

La fin de l’empire est toujours une période incertaine.

[ssba]

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