Je cherche une raison qui pourrait m’amener à manifester le 5 mai pour une sixième république, à l’appel de Jean-Luc Mélenchon. Je n’en trouve pas. Ça m’embête. Je combats la V° république depuis si longtemps. Pendant des années, j’ai enseigné sa nocivité à mes étudiants. J’ai travaillé avec ceux qui, il y a déjà quinze ans, se penchaient sur la nécessité d’un nouveau contrat social. Et nous étions alors des marginaux.
Je pourrais redire ici ce qu’ont déjà très bien dit Bastien François et d’autres, que je ne trouve pas le programme ni du Parti de Gauche, ni du Front de Gauche en la matière. Que je ne vois rien d’autre qu’un appel à une constituante, et quelques principes jetés sans développement.
Je cherche une exemplarité que je pourrais suivre, sur le cumul des mandats, par exemple. Quand les trois-quarts des parlementaires Front de Gauche cumulent leur mandat de député ou de sénateur avec des mandats de maires ou de conseillers généraux, régionaux, des présidences d’intercommunalité, ce n’est assurément pas là que je vais la trouver. Dans la parité ? Deux députées sur dix. Encore un effort, camarades.
Je pourrais chercher la confiance dans une organisation qui fonctionne différemment des organisations issues du mouvement ouvrier, qui n’ont souvent fait que copier la structuration pyramidale des pouvoirs qu’elles étaient pourtant sensées combattre. Je cherche en vain des textes forts du Parti de Gauche assumant une démocratie horizontale. Je ne trouve que des incongruités (des responsables locaux élus au suffrage majoritaire), et des appels à la démocratie directe, une base qui interpelle un sommet, et de multiples niveaux de hiérarchie entre les deux.
Je pourrais me laisser guider par les mots, par un élan.
Mais si je combats la V° république, c’est d’abord parce que c’est un régime bonapartiste. Un régime taillé par et pour un homme providentiel, celui qui par son charisme saura emmener le peuple. Je ne rejette pas le charisme. J’ai suffisamment lu Max Weber pour reconnaître que certains changements profonds sont favorisés par la capacité d’un leader à les populariser. Mais je sais aussi que le charisme n’est pas une solution. J’ai lu Ian Kershaw, et j’y ai appris que le charisme en politique porte aussi le bonapartisme, au moins pire, et le totalitarisme, à ses extrêmes.
Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas rejoindre un mouvement qui ne tient que sur l’incantation. Il n’y a rien de pire que l’alliance du molletisme, cette tradition de la gauche française qui consiste à produire un discours radical de changement tout en continuant à fonctionner selon des règles conservatrices, et du charisme politique. Surtout quand il s’appuie sur le registre si vite démagogique du « populaire ».
Il y a dans le verbe mélenchoniste trop de choses qui me dérangent. Les « sortons-les tous », et autres « coups de balai », purs moments populistes, assumés par Martine Billard, co-présidente du PG, comme les éléments d’une « course de vitesse avec le FN » : « on ne peut pas laisser le FN être le seul à parler fort ».
Mais ça veut dire quoi, parler fort, Martine ? À quel moment l’appel à l’insurrection populaire permet de se garder de la violence populiste ? Qu’est-ce qui peut garantir qu’un verbe populiste « de gauche » nous protège du bonapartisme, du populisme, de la démagogie ?
Les références à la mythologie de la révolution française ? Les incessants rappels à Robespierre ?
La VI° république que je veux n’est pas le retour à une mystique révolutionnaire. Elle n’est pas la reprise d’un chemin abandonné il y a deux cent vingt ans, peuplé de guillotines, de leaders paranoïaques et de culte de l’être suprême.
La 6° république de Jean-Luc Mélenchon est à la république ce que le 6ème sens est aux 5 sens : une mystique. Un machin peuplé d’irrationnel, sans autre garantie de succès que la confiance que l’on devrait accorder à un leader charismatique au registre démagogue. Non, décidément, ce sera sans moi.