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C’est quoi, pour vous, être montpelliérain ?

FontaineChabaneau

«Il n’est pas Montpelliérain». «Le maire de Cournonsec», «Il faut un maire montpelliérain pour Montpellier», «Les maires de Montpellier sont des universitaires».

Ces phrases, prononcées par deux têtes de liste pour les municipales de Montpellier, elles ne vous ont pas fait bizarre ? Moi, elles m’ont interrogé.

Bien sûr, je pourrais me dire que c’est juste une attaque ad hominem envers Jean-Pierre Moure. Mais, à bien y réfléchir, je crois qu’elles traduisent quelque chose de beaucoup plus profond, et de beaucoup plus inquiétant.

Derrière ces attaques, il y a comme une vision dépassée de la ville, antinomique de tout discours sur l’avenir. Ces phrases interrogent une double identité, celle de la ville et celle des Montpelliérains.

C’est quoi, pour vous, être montpelliérain ?

On est pas Montpelliérain parce qu’on est né ici, qu’on y a grandi ou qu’on appartient à une dynastie de barons de Caravètes. Ça, c’est du folklore.

Dire ça, penser ça, c’est être aveugle à une réalité sociologique qui a submergé la ville : 75% des Montpelliérains adultes ne sont pas nés à Montpellier. Si l’on voulait, à partir de la liste électorale, dresser le portrait robot d’un Montpelliérain électeur, on tomberait sur un ou une Montpelliéraine de 48 ans, née en Ile de France, en Paca, en Rhône-Alpes ou en Pays de Loire, installée depuis 5, 10 ou 25 ans dans cette ville. Ce portrait-là, c’est plus d’un électeur sur deux. C’est ça le Montpelliérain contemporain. Moi qui suis né à Lyon, qui ai 47 ans et qui suis là depuis 20 ans, je suis un Montpelliérain type, quand Domergue et Saurel sont des espèces en voie de disparition.

Pourquoi est-ce que je suis devenu Montpelliérain ? Pourquoi est-ce que cette nouvelle génération est devenue montpelliéraine ? Comment l’est-elle devenue ?

Je suis montpelliérain parce que, comme les 3/4 des Montpelliérains, je suis né ailleurs, j’ai grandi ailleurs, et que je me suis installé ici parce que j’ai aimé cette ville.

C’est quoi pour vous être montpelliérain ? Moi je suis montpelliérain parce que j’aime cette ville. J’y suis venu un jour pour travailler, et j’ai voulu y rester. Pas pour le soleil. Au début, le soleil, c’était dur. Je suis arrivé en plein mois d’août, et moi, l’alpin, j’avais trop chaud. J’ai aimé cette ville pour ses places, pour ses maisons, pour l’arrière-pays, la mer et les étangs. J’ai aimé cette ville pour ces habitants.

Pour moi c’est juste ça. Je suis montpelliérain parce que j’ai aimé cette ville, et que la ville m’a accueilli.

Parce que c’est ça, Montpellier ! L’identité de Montpellier, c’est ça. Ça fait mille ans que cette ville existe, et ça fait mille ans qu’elle accueille ceux qui viennent du monde entier pour y étudier et y travailler.  Mille ans, ça forge le caractère !

On est montpelliérain parce que la ville nous aime, et parce qu’on l’aime. On est montpelliérain parce que la ville nous a accueillis. Qu’importe que ce soit à la naissance ou plus tard.

Le « miracle » démographique de Montpellier n’est pas commun. D’autres villes du sud auraient pu être l’aspirateur de l’héliotropisme que Montpellier est devenu. Nîmes, Aix-en-Provence, Avignon, ou même Perpignan et Narbonne. Plusieurs conditions se sont mises en œuvre. Le premier boom économique et démographique de l’arrivée des pieds-noirs, le marketing territorial réussi des premières années Frêche (la surdouée, l’entreprenante), tout ça, ce sont des éléments tangibles. Mais ça ne suffit pas. Il faut aussi compter sur l’absence de structures économiques rigides, qui a permis une porosité aux nouveaux secteurs économiques, et sur une société montpelliéraine qui a su accepter cette arrivée de « néo ». Et elle l’a accepté pour plusieurs raisons : parce qu’elle en avait besoin, parce qu’une partie pensait que les « néo » ne lui raviraient jamais le « vrai » pouvoir, et parce que Montpellier est, intrinsèquement, accueillante. Superficielle, mais permissive. La ville t’accueille dans ses espaces publics, pas facilement dans son intimité bourgeoise, d’accord. Mais elle te laisse mener tes aventures.

Tous ces néoMontpelliérains, qui ont connu d’autres villes, d’autres codes, croisé d’autres façons d’entreprendre ou d’être en société, sont devenus montpelliérains parce que, de tout temps, dans toute l’histoire de la ville, Montpellier s’est construite sur le brassage. Être montpelliérain est la plus facile des choses, il suffit de vouloir vivre la ville. Peu de villes peuvent être décrites comme ça. Pas Lyon, pas Marseille, Bordeaux ou Strasbourg.

Et pourtant, dans cette campagne municipale, il y a deux têtes de liste qui pensent et qui disent qu’être montpelliérain ce n’est pas ça. Deux têtes de liste qui pensent et qui disent que pour être maire de Montpellier, il faut être « un vrai Montpelliérain ». Être né et avoir grandi ici, comme eux.

Deux têtes de liste qui pensent qu’elles appartiennent à une caste, celle des grandes familles montpelliéraines, celles des universitaires, des médecins, des avocats. Qui ont de tout temps peuplé cette ville, c’est vrai. Qui l’ont dirigé, souvent. Certes. Mais ce ne sont pas les dynasties d’universitaires qui ont fait la ville. Bien sûr, la république a été proclamée sur le parvis de la faculté de Médecine. Mais ce n’est pas parce que les universitaires possédaient la ville. C’est parce qu’en ces temps troublés, l’Université était un refuge. C’est l’Université qui a fait la ville, pas les universitaires. L’université a façonné Montpellier, comme l’Université a façonné Oxford et Cambridge.

Sauf que Montpellier a grandi. Il y a aujourd’hui plus d’habitants à Montpellier qu’à Cambridge et Oxford réunis !

Le creuset identitaire montpelliérain ne plonge pas ses racines dans les longues dynasties de professeurs, de juristes et de médecins, mais dans l’Université elle-même. Si Montpellier est Montpellier aujourd’hui, c’est parce qu’elle continue d’accueillir des étudiants, des chercheurs du monde entier, et des hommes et des femmes qui brassent, croisent les cultures, les méthodes, les idées. Tout le contraire de l’identité repliée sur les barons de Caravètes.

Et le Montpellier d’aujourd’hui est fidèle au Montpellier de la révolution universitaire et culturelle du Moyen-Age.

L’identité montpelliéraine, c’est que chacun peut, ici, vivre en accord avec la ville et avec les autres, et inventer la ville, comme la ville s’est toujours inventée à partir des nouveaux Montpelliérains qui venaient ici pour étudier et travailler. C’est une ville ouverte, au contraire de Nîmes, d’Aix ou d’Avignon. C’est pour cela qu’elle a attiré, et qu’elle continue d’attirer de nouveaux Montpelliérains, c’est pour cela qu’elle les intègre avec tant de facilité. C’est une ville dont on tombe amoureux parce qu’elle se laisse aimer, au contraire de tant de villes qui se refusent à l’autre, à l’étranger.

Moi je suis un vrai montpelliérain, parce que je suis né ailleurs, que j’ai grandi à Lyon et dans les Alpes, que j’ai vécu à Paris, que j’ai vu d’autres choses, appris d’autres façons de vivre, et que je veux que Montpellier reste cette ville ouverte sur l’avenir et sur le monde. Je suis montpelliérain parce que j’aime cette ville, et je veux continuer à y vivre. Même si ce n’est pas toujours facile.

C’est pour ça que j’ai rejoint l’équipe de Jean-Pierre Moure, parce qu’elle accueille les Montpelliérains comme moi, qu’elle est ouverte aux expériences, à l’énergie d’une nouvelle génération, de nouveaux talents, parce qu’elle connaît la ville.

Philippe Saurel et Jacques Domergue ne veulent pas gouverner la ville, ils veulent juste en être maire, parce qu’ils pensent qu’ils font partie d’une caste qui aurait seule le droit de s’asseoir sur ce fauteuil. Ce sont des dinosaures. Ils ne comprennent pas la ville. Ils ne l’ont pas vu rajeunir et changer.

Nous voulons gouverner la ville pour qu’elle continue à être la ville ouverte, intelligente, et fertile qu’elle est depuis toujours. Pour que l’on continue de l’aimer, et qu’elle continue d’aimer ses habitants, et de se réinventer chaque fois qu’il le faut, pour mieux rester elle-même.

C’est ça, Montpellier !

Pourquoi la photo ? La fontaine du Chabaneau renaît toujours. C’est le premier lieu de la ville où je me suis senti montpelliérain.
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L’abeille, le romantisme politique, et la participation gouvernementale

« Je ne voterai pas pour la liste sur laquelle tu es. Même si c’est vrai que de l’intérieur on semble pouvoir faire bouger plus les lignes, on hypothèque les vraies ruptures, constructions alternatives, dont la ville (le pays) a besoin… »

Je prends ce message pour incipit1, mais j’aurais pu en prendre d’autres, tournés différemment, qui posent la même question, celle de la participation des écologistes aux gouvernements, quelle que soit l’échelle du territoire. Une interpellation qui m’est adressée, comme elle est adressée à toutes celles et ceux qui s’engagent pour gouverner au sein d’une majorité plurielle, quel que soit le rapport de force et les modalités qui président au futur rassemblement.

La participation hypothèquerait, donc. Elle engagerait l’avenir en fonction d’une chose que l’on espère pouvoir acquérir, elle créerait de ce fait une obligation susceptible de compromettre l’accomplissement de quelque chose.

C’est une chose de le dire, c’est autre chose de le démontrer. Hormis le fait que les avancées seraient certainement autres si l’écologie était majoritaire politiquement, qu’est-ce qui permet de dire que la participation aux exécutifs hypothèque les vraies ruptures ? Quels sont les éléments tangibles qui permettent d’étayer cette affirmation ?

Lorsqu’on constate qu’une part très importante du programme fondamental des écologistes s’est diffusée dans le corps social autant que dans le corps politique, et que, si d’autres que nous le mènent, le résultat est souvent du seul greenwashing, peut-on considérer que la non-participation permet de lever l’hypothèque ? Ou n’est-ce pas plutôt l’inverse ?

Il y a lutte, y compris au sein de la formation qui porte l’écologie politique, contre ceux qui se servent du label écolo comme un simple étendard. Qu’est-ce qu’on fait ? On leur laisse le terrain libre ? Dans ce cas là, quelle est l’alternative ? Porter le discours ailleurs, autrement, construire une autre formation politique ? Essayer de reprendre la main sur un outil déjà construit ? Et si on y arrive pas, on laisse filer ?

J’aimerais bien me contenter de cette vision éminemment romantique qui affirme que tant que les conditions ne sont pas réunies pour gouverner idéalement, il faut s’abstenir de gouverner. Non pas que cette position soit rassurante pour l’avenir, mais parce qu’elle permet de rester dans un confort intellectuel, celui de ne pas avoir à affronter les contradictions de la société que l’on souhaite pourtant représenter et changer, et celui de ne pas avoir à affronter ses propres contradictions.

Mais en fait, non, je n’aimerais pas. L’histoire politique m’enseigne une chose à propos du romantisme politique, c’est qu’il n’a que deux débouchés : l’impuissance et le totalitarisme. Donc, jusqu’à ce qu’on me démontre que l’hypothèque est vraiment du côté de la participation, et non l’inverse, je continuerai à lutter à l’intérieur du champ démocratique qui s’impose à nous, plutôt que de témoigner de mon impuissance depuis l’Aventin, en exhortant une plèbe – qui n’existe plus – à prendre d’assaut un mont sacré – tout aussi inexistant.

Ça ne revient en rien à dire que c’est le seul mode d’action politique, qu’il est exclusif d’une pollinisation par d’autres vecteurs.

La pollinisation, cet emprunt politique au comportement des abeilles, qui portent par leur activité quotidienne la possibilité de la vie de proche en proche, est certainement ce qui différencie le plus l’écologie politique des autres courants du changement.  Ce mode de diffusion des idées, par les associations, par l’adoption individuelle d’autres règles de conduite, par l’exemplarité de certains et la faisabilité de solutions techniques, n’est pas qu’une image, une métaphore. C’est le moyen pacifique et efficace de mener la seule révolution qui soit écologiste, la révolution copernicienne, celle qui vise à développer l’état de conscience que l’activité humaine est polluante, et qu’il faut limiter cette « empreinte » si l’on veut permettre aux générations futures de vivre encore sur cette planète.

La participation politique aux institutions qui gouvernent est la traduction, au cœur des appareils de pouvoir, de cette pollinisation. Elle en est le complément indispensable si, comme moi, on refuse la position romantique qui consiste à préférer l’infinité du désir aux satisfactions éventuelles, toujours disqualifiées parce que non idéales, et donc forcément décevantes2.

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Les roses aussi ont besoin d’être pollinisées – Crédit photo : Michael Vincent Miller


  1. et j’espère que son auteur ne prendra pas ombrage de cet emprunt 

  2. Philip Knee, Romantisme et politique, université de Laval, 2007 

De quoi ?

Les arbres invisibles du Parc Emmanuel Roblès

Au bout de la rue de la République, juste avant d’arriver à la gare, à gauche en descendant, il y a un parc.
Pour de nombreux montpelliérains, à cet endroit là, il n’y a eu longtemps qu’une grande barrière de chantier en tôle, derrière laquelle on devine des cimes d’arbres. Depuis peu, la barrière de chantier a été remplacée par des palissades peintes aux couleurs du futur lieu d’art contemporain montpelliérain, le MoCo.

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De l’autre côté de cette barrière, il y a un parc public inauguré en mars 2004, voulu par les écologistes membres de la majorité municipale de l’époque. Il est baptisé du nom d’Emmanuel Roblès, ce romancier qui a longuement décrit les jardins d’Alger. Et il n’est pas que baptisé, il est aussi une évocation du Jardin d’Essai, l’un des plus beaux jardins algérois.
Depuis 2009, la Ville a fermé le parc Emmanuel Roblès au public pour permettre à l’Agglomération de Montpellier d’entreprendre les travaux d’installation de ce qui devait être le Musée de l’histoire de la France en Algérie, dans l’Hôtel Montcalm, situé au fond du jardin. Depuis, ce projet de musée est passé aux oubliettes, et le bâtiment accueillera donc le MoCo. Mais entretemps, le Parc Roblès n’a pas réouvert. L’agglomération, devenue propriétaire des 3300 m2 de verdure, a d’abord plaidé l’absence de sécurisation du bâtiment en travaux, alors que je les avais interpellé publiquement fin 2013.
Depuis, silence radio. Et l’on imagine sans peine que, depuis, le bâtiment a largement eu le temps d’être sécurisé.
Les arbres du Parc Roblès, ces arbres invisibles depuis presque 10 ans, poussent, et se déploient dans leur magnificence. Mais ils n’ont pas été plantés pour être cachés. Ni pour servir de cadre à des réceptions privatisées, comme cela a déjà été le cas ces dernières années.
Alors, qu’attend désormais la métropole pour rendre, sans plus attendre, ce magnifique parc aux Montpelliérains ?

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L’arbre invisible est le titre d’un (très beau) livre d’Emmanuel Robles.

Ce billet est la version réactualisée de celui paru le 13 décembre 2013.

De quoi ?

Combien faut-il maîtriser d’électeurs pour remporter Montpellier ?

L’héritage Frêche. (épisode 2)

Combien faut-il maîtriser d’électeurs pour remporter Montpellier ? Je me suis posé la première fois cette question après les municipales de 1995, dans une tentative d’objectiver le système clientéliste que je découvrais en arrivant à Montpellier.

Ce qui m’avait mis la puce à l’oreille en 1995, c’était que Frêche avait réuni au premier tour 31 856 voix. C’était là son électorat « maîtrisé ». A l’époque, la population de Montpellier était de l’ordre de 220 000 hab. Et il y avait 116 449 électeurs inscrits.

J’avais fait en 1992 un DEA sur la socialisation politique des étudiants, en traitant notamment la question de leur inscription sur les listes électorales. À peine 1/3 étaient inscrits à Montpellier. Une partie n’était pas inscrite, et la majorité votait dans leur commune d’origine. Or, je savais que la mairie faisait un gros boulot en préparation du recensement pour que les étudiants soient majoritairement recensés à Montpellier. Se jouait là une concurrence entre grandes villes, et Frêche voulait grimper d’un ou deux rangs dans la hiérarchie (à l’époque, il pensait même que Montpellier allait dépasser Nantes).

Donc je m’étais interrogé sur ce fait : 51% de la population de la ville était électrice. Je savais que certaines grandes villes avaient des ratios très bas, et d’autres des ratios très hauts. Plus la ville était « jeune », plus le ratio était bas. Plus c’était une grande ville universitaire, plus le ratio était bas.

En 1995, sur les 20 plus grandes villes de France, deux avaient un ratio électeurs/population en dessous de 50% : Lyon et Strasbourg (49,5% et 49,9%). Montpellier arrivait juste après, avec 52,6%, comme Lille (ville où les questions sont d’ailleurs les mêmes,  Mauroy était élu avec une toute petite fraction de la population). Ensuite, ça montait très vite. 54,4% pour Toulouse, Bordeaux, Marseille, Grenoble, 58% pour Rennes, 62% pour Nantes, 67% pour Nice.

Ça pouvait se comprendre. Montpellier était une ville jeune et universitaire, avec, en sus, une très grosse mobilité géographique. Je me suis donc intéressé au fichier électoral. En présidant des bureaux de votes, je m’étais étonné du nombre de cartes électorales qui revenaient en NPAI. J’ai interrogé le service des élections, qui m’a confirmé ce que je pensais : sur 116 000 inscrits, plus de 15 000 cartes revenaient pour mauvaise adresse, et n’étaient pas distribuées le jour des scrutins. C’était une estimation volumétrique, ils ne comptaient pas vraiment. Mais il y avait des petits tas de 100 à 150 cartes NPAI pour chacun des 115 bureaux de vote de l’époque.

C’était certainement un effet des flux de populations. Au début des années 2000, les flux à l’intérieur de l’agglomération étaient tels, que l’INSEE calculait qu’entre 2001 et 2006, sur une population de 350 000 habitants, il y avait eu 75 000 arrivées et 71 000 départs. Soit un mouvement global de plus de 140 000 personnes sur l’agglo, dont la moitié affectant la ville centre. En d’autres termes, tous les 5 ans, la ville voyait sa population renouvelée à hauteur de 60 000 personnes, soit 1/4 de la population. Rien d’étonnant donc que le fichier électoral soit en constant bouleversement.

Mais ça voulait également dire, pour moi, que sur les 116 000 électeurs officiels, il n’y avait en réalité que 100 000 électeurs réels. Soit un ratio électeurs/population de moins de 45%. Ce qui expliquait également une abstention plutôt forte à Montpellier, avec une participation aux municipales en dessous de 60% du corps électoral.

Il en résultait qu’en 1995, en réunissant 31 856 voix au 1er tour des élections municipales, Frêche était assuré de sa réélection au second tour. Qu’il lui suffisait donc de maitriser 14% de la population de la ville pour assurer sa domination sur la ville ET l’agglo.

Je me suis donc intéressé aux modalités de cette maîtrise. Je n’ai là que des hypothèses, je n’ai jamais pu travailler à grande échelle. Mais je sais que :

  • Freche était tout a fait conscient de cela. Il ne cherchait pas à élargir sa base électorale. Fort de ce même calcul, il pouvait travailler à l’économie de moyens.
  • Maitriser 30 à 35 000 personnes était assez simple.

– Par l’emploi, d’abord. Qui n’a jamais vu Frêche en visite sur le territoire se faire alpaguer pour demander un emploi dans une des multiples officines du « pool mairie de Montpellier », comme il appelait alors l’ensemble des institutions sur lesquelles il avait un pouvoir direct ? Il employait directement ou indirectement à l’époque plusieurs milliers de personnes. La Ville et le district comptaient à eux deux 4 000 agents. Le CHU, qu’il présidait depuis plusieurs années, 8 500 agents non-médicaux dont 3 000 personnels administratifs et techniques. Ajoutons à ça les satellites : SERM, Enjoy, ACM, 600 personnes, et les gros prestataires (SMN Nicollin, 1000 personnes). Il pouvait donc influer assez directement sur l’emploi de 10 000 personnes.
– Le logement, ensuite. 30 000 personnes vivaient dans les 15 000 logements d’ACM à l’époque. À travers ACM, il pouvait fidéliser plusieurs milliers de familles,
– Les subventions, enfin. Dès 1987, il crée la commission Montpellier au Quotidien, qui réunit associations de quartiers, communautaires, etc. Plus de 300 associations en ligne directe avec la mairie, pour s’occuper des problèmes de voiries, de poubelles, de parcs et jardins, de locaux mis à dispositions, etc.

A travers ces 3 dispositifs, il était donc très simple de s’assurer que 35 000 personnes allaient bien aller voter le jour J. Ce qui est même étonnant, c’était qu’il n’y en ait pas plus.

Est-ce que les choses ont changé ensuite ?

En 2001, non. Le ratio électeur/habitant était descendu en dessous de 50%, à 49,6%. Au Municipales de 2001, les inscrits avaient baissé, passant de 117 000 à 111000, suite aux nouvelles procédures de révision et d’apurement des listes électorales. Le phénomène est sensible dans toutes les grandes villes, avec une chute de 0 à 4 points sur le ratio. Montpellier passe donc en dessous des 50%, elle est toujours 3° en partant de la fin devant Strasbourg et Lyon.

Le nombre de votants, lui, est également en diminution. 69 000 en 1995, 63000 en 2001. Au 1er tour, Frêche réunit 33 028 électeurs, contre 31 856 en 1995. En 6 ans, il a gagné 1 150 électeurs. La ville, elle, a gagné 10 000 habitants. Frêche maitrise toujours 14,5% de la population au 1er tour.

En 2004, une autre réforme intervient, c’est l’inscription automatique des jeunes de 18 ans après leur recensement en vue de la Journée Défense et Citoyenneté. Les listes de 2008 sont encore modifiées. Montpellier remonte dans la moyenne (basse) des grandes villes, avec 54,5% d’électeurs dans la population totale. La liste électorale fait un bon de 20 000 électeurs, pour se fixer à 137 182.  Au 1er tour des municipales de 2008, 72 000 électeurs se rendent aux urnes. Soit 28,6% de la population. C’est encore un peu bas pour une grande ville, leur moyenne tournant plutôt à 35%.

Et Hélène Mandroux est élue avec 36 343 voix au second tour. Soit… 14,4% de la population. Une stabilité non-démentie sur 15 ans.

Jusqu’en 2008, le système n’a pas changé. La vraie question est de savoir, maintenant, qui a gardé quoi dans l’héritage ?

L’héritage lui même a changé.

La maitrise de l’emploi, d’abord : 8600 personnels non médicaux au CHU, dont 2300 technico-administratifs. L’agglo a désormais un effectif de 1400 agents. La ville de 3000. TAM : 1000. Serm, ACM, Enjoy, et autres satellites : 600. Nicollin : toujours 1000. A ça s’ajoute, depuis la reprise du CG par Vezinhet, une partie des 5500 agents du CG34, ainsi qu’une partie des agents du Conseil régional et satellites : 3 500 agents. On a donc un volant d’emplois de l’ordre de 13 à 15 000. Tous ne se sentent pas redevables au leader, et certains n’ont pas besoin de ça pour être ses électeurs, la conviction leur suffit.

Les logements : ACM : 20 000 logements, 50 000 occupants. Les leviers se sont donc plutôt accrus, d’autant que, par rapport à 1995, il y a désormais les 4 émetteurs de subventions, Mairie, Agglomération, Conseil Général, Conseil Régional.

La liste électorale a continué de croitre.  141 542 électeurs aux dernières élections.François Hollande a fait 37 787 voix au 1er tour, avec seulement 22% d’abstentions et 109 000 votants, record historique. Lors des primaires du PS, 13528 personnes étaient venues voter à Montpellier. Au 1er tour des législatives, les candidats étiquettés PS ont réunis 28 932 voix sur la ville.

On reste, peu ou prou, dans la fourchette des 30 à 35 000 maitrisés par le système municipal, alors même que le corps électoral a considérablement changé, (pour rappel, 110 000 électeurs en 2001, 141000 en 2012, soit 27% d’augmentation).

J’ai du perdre une partie des lecteurs dans les chiffres. J’en suis conscient.

Et pourtant, toute la zone d’incertitude politique montpelliéraine est là, glissée dans ces nombres.

Qui, parmi ceux qui revendiquent l’héritage de Frêche, maîtrisent encore les réseaux ? Cela explique-t-il les dissidences, ou seulement les volontés parfois affichées de « sortir du système » ? Au sein de ces réseaux, quelles sont les proportions restantes de soutiens convaincus, de liens de loyauté toujours actifs et de fidélités caduques ?

Que feront les nouveaux électeurs ? Ceux qui ne sont pas encore insérés dans les réseaux locaux, dans la société locale ? Voteront-ils ? À quelle proportion ? Selon quelle logique ?

La fin de l’empire est toujours une période incertaine.

De quoi ?

Le Jardin de la Reine, ou la braderie du patrimoine

C’est une histoire d’une banalité crasse. L’État a besoin d’argent. L’État vend. Et surtout en région. Vous vous en souvenez ? Le slogan des années 2000, c’était : « l’État en région, une autre dimension ». Aujourd’hui, après les rounds de décentralisation et la RGPP, c’est plutôt « L’État en région, cinq directions croupions ». Alors l’Etat vend. Beaucoup. Il suffit d’aller sur le site de la « politique immobilière » de l’État pour le comprendre. (ici les ventes dans l’Hérault). Des bureaux, des propriétés, des terrains.

Parmi tous ces biens, l’État vend quelques bijoux. De famille.

Ou en tout cas, l’État essaye.

Il en est un qu’il va avoir du mal à vendre. C’est le Jardin de la Reine, et l’Intendance du Jardin des Plantes, à Montpellier. Il y a deux siècles, le Rectorat de Montpellier, profitant du chaos des 100 jours napoléoniens, s’est abusivement approprié ces parties historiques du Jardin des Plantes, pour y loger ses services, puis y loger le Recteur, et les cadres du Rectorat. Et le Jardin de la Reine ? C’était, dans l’idée de départ du concepteur du Jardin botanique, une extension, dont il ferait un potager, mais aussi un jardin de découverte pour le public. Las, l’accès en a été fermé aux scientifiques du Jardin des Plantes. Et le rectorat s’en est fait un Jardin d’agrément au seul bénéfice du recteur. L’affaire court depuis deux siècles.

Il y a quelques années, le rectorat avait envisagé de transformer une partie du Jardin en parking. Alertés par le bruit de la tronçonneuse, des riverains s’étaient mobilisés, et avaient averti commune et Drac. Deux protections s’étaient alors mises en œuvre. Un classement du Jardin en Espace Boisé Classé, ce qui empêche la construction sur la parcelle, et impose une autorisation communale pour tout abattage. Et ensuite, l’inscription du Jardin et Bâtiment de l’Intendance au titre des monuments historiques. Premier degré d’une conservation patrimoniale. Suffisante pour dire l’intérêt patrimonial, insuffisante pour empêcher la vente, et s’opposer à la transformation des biens.

Donc l’État vend. On aurait pu imaginer que, n’ayant plus l’utilité des lieux, le ministère de l’Éducation aurait rendu à l’Université le bien qu’elle avait usurpé deux siècles avant. Mais non. On vend. Mise à prix estimative, 2 Millions d’euros. Et ça intéresse des acheteurs, bien entendu. Un joli truc comme ça. Y’a du boulot pour le remettre en état, c’est sûr. Mais 1 200 m2 habitables, donnant sur le Jardin des Plantes, avec une passerelle de l’autre côté pour accéder à 4 500 m2 de jardin historique, ça peut faire un joli hôtel de charme en plein cœur de ville. Ou autre chose.

Monsieur le Recteur, Monsieur le Ministre de l’Education, Monsieur le Ministre des Finances, je préfère vous le dire tout de suite : cette vente ne se fera pas. Ne perdez pas votre temps. Une bande d’irréductibles, comme dit la presse, a décidé que ce jardin ne sortirait pas du domaine public, qu’au contraire, il redeviendrait un véritable bien public, ouvert, partagé, accueillant. Et la bande d’irréductibles grossit chaque jour. Non seulement nous nous battrons pour que le Jardin de la Reine soit un jardin des montpelliérains, mais nous nous battrons aussi pour que le bâtiment de l’Intendance, bâtiment historique du Jardin des Plantes, le plus ancien jardin botanique de France, reste dans le giron public, et que le périmètre historique du Jardin des Plantes soit conservé.

Une association s’est créée pour lutter contre cette dilapidation des richesses historiques et écologiques. La presse s’en fait largement l’écho. Un blog raconte l’histoire et racontera la mobilisation au fur et à mesure. Une pétition rassemble déjà des centaines de signatures en quelques jours. Signez-la ! Ce n’est pas seulement une question de principe, c’est une question de vivre ensemble.

Mise à Jour Janvier 2014 : Sous la pression de l’association et de l’opinion, la ville de Montpelier a racheté au Rectorat le jardin de la Reine. Et confiée la gestion dudit jardin à l’association créée pour sa sauvegarde.

Recyclage

Ligne 5 du tramway : à quoi joue l’agglo ?

L’enquête publique sur la ligne 5 du tramway vient de se terminer. Des centaines d’habitants de l’agglomération ont déposé des remarques et des contributions. La plupart du temps sérieuses et très informées, aux dires des commissaires-enquêteurs. C’est un véritable changement qui s’empare des politiques publiques, même dans leur version la plus technicienne. Les citoyens disposent aujourd’hui d’une expertise forte. Les puissances publiques doivent les entendre bien au-delà des procédures de consultations formelles.

J’ai déposé une série de trois contributions auprès des commissaires-enquêteurs, téléchargeable ici.

Deux d’entre elles concernent un financement en doublon. Autrement dit, l’agglomération envisage de financer, par les travaux du tramway, des infrastructures qui doivent soient être financées par d’autres autorités publiques, parce qu’elles ne concernent pas le transport en site propre, soit qui font l’objet d’une programmation d’ensemble par plusieurs collectivités et l’État.

En termes techniques, il s’agit d’une « insuffisante prise en compte des effets cumulés du projet avec d’autres projets connus ». Il ne s’agit pas d’une méconnaissance, la Communauté d’Agglomération est parfaitement au fait de ces autres projets. Il s’agit d’une carence de gouvernance, de l’anticipation d’une incapacité à gouverner ensemble, à mettre en commun les énergies. Et cela porte sur 50 millions d’€ !

Deux tronçons sont concernés, le viaduc Maurice Genevaux, sous lequel devrait passer la ligne 5, vers la cuisine centrale, et la Route de Mende. Le futur viaduc Maurice Genevaux servira à faire passer le Contournement Ouest de Montpellier, un projet qui doit être financé par l’État et Vinci Autoroutes dans le cadre du raccordement des autoroutes A75 et A9. Ce n’est pas une infrastructure de transport public. Ce n’est pas à l’agglomération de payer ! L’économie réalisable ici est au bas mot de 40 millions d’euros !

Le second tronçon concerné est celui du secteur Campus. Le tramway doit passer Route de Mende, entre les deux universités Montpellier 2 et Montpellier 3. La requalification de cet espace est inscrite au Contrat de Plan Etat-Région dans le cadre du financement accordé au Pôle Régional d’Enseignement Supérieur. Par ailleurs, la ville de Montpelier s’est engagée également à un financement de l’opération à hauteur de 50M€, pour aplanir l’espace et construire une continuité entre les deux universités. Un concours international d’architecture a désigné en 2010 plusieurs équipes d’architectes pour travailler sur le projet. Ces équipes ont produit des esquisses et des programmations, qui incluent toutes le tramway. Et l’agglomération ferait seule dans son coin une requalification au rabais, parce qu’il est trop difficile de s’inscrire dans cette programmation collective ? Le tracé doit s’insérer dans ce plan d’ensemble, il ne doit pas l’ignorer. S’insérer dans cette dynamique collective de projet, c’est économiser une partie des fonds nécessaires à l’implantation du tramway tout en permettant une réalisation globale plus performante. C’est ça, la bonne gestion des deniers publics. Tout le contraire de la gestion chacun dans son coin.

Le redéploiement de ces 50M€ sur le reste du tracé sera indispensable pour en améliorer les perspectives. Cette économie essentielle permettra d’envisager ce qui devient une urgence absolue : desservir les communes de l’agglomération par des tram-express là où les anciennes voies ferrées le permettent encore, des bus à haut niveau de service ailleurs, boucler le schéma de transport public montpelliérain par la mise en place d’un bus à haut niveau de service, au rythme de passage régulier, sur les boulevards intérieurs et les boulevards extérieurs.

Ils sont essentiels ! 50 M€, c’est ce que rapporte l’augmentation de la taxe d’habitation, décidée fin 2011, en pleine période de crise. Et c’est à ça qu’ils serviraient ? À financer des infrastructures qui sont déjà prévues au budget d’autres opérations ? C’est hors de question. Il est grand temps que nos collectivités locales se rendent compte que l’intérêt général commande qu’elles sachent collaborer entre elles. Les batailles d’égo nous ont fait perdre trop de temps et trop d’argent, et notre territoire ne peut pas le supporter plus longtemps.

50 millions

(à suivre)

De quoi ?

Georges Frêche est mort. Le temps de l’instrumentalisation de l’art est fini.

À l’approche de la ZAT Paillade, les articles de presse se multiplient,  pointant le risque de manifestations ou de violences pendant la sixième édition de ces Zones Artistiques Temporaires, cette fois implantée dans le grand quartier populaire de Montpellier. Combien de papiers dans la presse locale ? 3, 4, 6 ? Trop.

À force, la répétition interroge. Est-ce qu’on ne serait pas en présence d’un jeu malsain, qui consisterait à instrumentaliser l’objet culturel à des fins bien plus politiques ?

D’abord, il y a le couplet sur le coût.
La ZAT, c’est cher, insinue-t-on.
500 000 € par édition.

– Ouille, ma bonne dame, ça douille, dites-donc !
– Une demie patate ?!
– Mettre ça dans un quartier populaire, pauvre, qui connait la misère et la précarité, c’est un peu indécent, non ?
–  En plus c’est de la culture pour bobos, les gens des quartiers, ils s’en battent l’œil, du beau. 

Litanie de café du commerce, dans laquelle, en cherchant à délégitimer l’objet artistique, on distille sans même le voir un bon vieux fond de racisme social.

Chère, la ZAT ? Chère par rapport à quoi ? Au nombre de spectateurs ? C’est vrai, entre 20 et 50 000 suivant les éditions, ça fait peu…
Quand Euterp, l’association qui chapeaute l’Orchestre et l’Opéra, remonte une pièce, certes magnifique, pour 800 000 € et 3 représentations qui rassemblent 6000 personnes, et rapportent 150 000€ de billetterie, c’est cher ?
Chère par rapport à quoi ? Au niveau de vie de la population qu’elle veut toucher ? Parce que la culture pour les pauvres, il faut qu’elle soit pauvre ?
Quand on annonce qu’on va couvrir le stade de la Mosson et faire des parkings autour, le tout pour 50 millions d’€, c’est pas trop cher pour le quartier ?
Ce débat a le don de m’énerver.

Je ne suis pas en train de défendre à tout prix les ZAT.
J’aime ces manifestations, dans ce qu’elles sont. Elles ont permis de relancer une politique culturelle municipale qui était à l’agonie, même pas digne d’une ville de moins de 50 000 habitants.
Elles ont permis de sortir l’art des murs dans lesquels une politique culturelle uniquement axée sur le rayonnement d’institutions labellisées l’avait confiné.
Elles touchent, par ce fait, un autre public, beaucoup plus large. Loin de n’être qu’un public d’habitués de l’art, de spectateurs professionnels.
Elles croisent la politique culturelle avec la ville dans son ensemble.
Toutes choses que je défends depuis longtemps, et que j’ai trop longtemps prêché dans le désert.
Ça ne signifie pas que tout est bien.
La Zat Paillade, pour la 1ère fois, a entrepris sérieusement un travail en amont de la manifestation. Avec une implication d’équipes sur le territoire, un travail de pratiques amateurs, de médiation, qui n’avait pas été mené jusque-là.
Ce n’est pas un reproche, le “jusque-là”. Il a fallu imposer la manifestation. Artistiquement, d’abord. Politiquement, ensuite. Et ce ne fut pas facile.
La médiation, le travail en amont, est un nouvel étage. Nous aurons deux jours pour juger de ce qu’il apporte.
Il manque encore deux étages pour que le travail soit global.
D’une part, il faudra que la Ville associe d’autres collectivités pour permettre aux équipes artistiques qui œuvrent dans l’espace public de travailler sur le long terme. L’objectif, à terme, est que Montpellier accueille une fabrique des arts de la rue qui manque cruellement en région.
D’autre part, et c’est l’inquiétude que pointent certains acteurs du quartier, la mobilisation en amont des ZAT devra déboucher sur une nouvelle politique culturelle dans les quartiers. Parce que si la ZAT Paillade réussit dans son ambition, elle créera des attentes. Et la Ville devra répondre à ces attentes. Et avec elle, les autres niveaux de collectivités, pour que les Zones Artistiques Temporaires laissent après elles des territoires permanents de la culture.

Alors profitons de ces échos polémiques infertiles pour le dire tout haut à nos édiles :

“Georges Frêche est mort, le temps de l’instrumentalisation de l’art est fini”.
Ce territoire a cruellement besoin de repenser toutes les politiques culturelles mises en œuvre depuis 30 ans. L’incapacité des différentes collectivités à envisager le renouvellement des équipes et des projets est inquiétante. Leur incapacité à travailler correctement ensemble est catastrophique. Ce que nous attendons collectivement de nos responsables est qu’il prennent sérieusement cet enjeu en main, pas qu’ils fassent des artistes les otages de leurs compétitions stériles.

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Allez, bonne ZAT.

(photo : Libre comme l’air, projet Li Wei – Zat Paillade)

et aussi

Ça m’a fait bizarre

Je viens de me faire rappeler à l’ordre. À l’ordre de marche. Je ne marchais pas en zigzag, non. Je ne courrais pas non plus. Mais je n’étais pas dans l’ordre.
Ça m’a fait bizarre.
Même la loi ne m’avait jamais rappelé à son ordre.
J’ai dit que j’ouvrais la marche, mais on m’a répondu que ce n’était pas possible, on n’avait pas encore décidé du chemin.
Ça m’a fait bizarre. Comment peut-on s’appeler “en ordre de marche” si on ne sait pas où on va ?
On m’a répondu que ça n’avait pas de sens, que la tradition voulait qu’on aille toujours au même endroit.
Je me suis dit :
– Aïe, c’est un ordre traditionaliste. J’ai du faire une erreur d’appréciation. Je croyais que c’était un ordre militaire, et c’était un ordre ecclésiastique.
Je leur ai dit. On m’a répondu vertement.
– On est “en ordre de marche”, on est prêt, quoi !
– Mais prêts à quoi ?
– À avancer !
– Mais dans quelle direction ?
– L’important c’est d’être prêts !
– Ah ! fis-je, feignant de comprendre. Comme une voiture en ordre de marche ! Elle a tout, le carburant, les fluides, le conducteur, elle est en ordre de marche. Manque juste les passagers.
Non, ça ne se peut pas. On ne sait même pas qui est le conducteur. Non, ça ne peut pas être ça.
En ordre de marche. On marche en ordre. On met bon ordre. Donc on te rappelle.
– Tu es monté sans demander, maintenant descends en rappel.
– Tu es du sous-ordre de ceux qui obéissent aux ordres de ceux qui sont plus nombreux, tu saisis ?

Je n’ai pas saisi la perche. Je vais rester un peu, j’aime le spectacle des centurions dans la plaine.

Mon binôme, elle l’a prise la perche. La longue gaule de bois. Faut dire qu’elle avait un peu la gueule de bois, alors elle avait besoin d’air. Elle a pris son élan, et elle a passé la barre. Bien joué, Olympe.

Moi j’aime pas les ordres, mais j’aime bien être sur la marche. Pas la marche militaire, hein ! La marche géographique. L’endroit le plus exposé, en temps de conflit.
Non pas que j’aime la défendre. Je n’ai pas le goût d’être marquis. Ni que je puisse croire, comme Barrès, que la marche serait “par définition, une antithèse”. Barrès ne comprenait rien.

C’est juste que, depuis la marche, on voit plus loin. Une histoire de nain et de géant.

Nanos gigantium humeris insidentes. Standing On The Shoulder Of Giants.

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et un petit clin d’œil sonore à mes camarades écoloactifs : 


(source de l’image)

De qui ?

D’où ça parle

Je suis arrivé dans cette région à la fin de l’année 1991. Je venais de passer plus de quatre ans à Paris, et j’avais besoin d’un nouveau départ.

J’ai fini la première partie de mes études très tôt, j’avais tout juste 20 ans quand j’ai été diplômé de science-po Lyon. Fin 1986, les manifestations étudiantes m’ont propulsé sur une scène de l’action, celle d’une marche de résistance victorieuse contre un gouvernement de vieux, réactionnaires et aveugles du changement qui s’opérait sous leurs yeux. Je voulais être un journaliste, un observateur, je suis devenu un acteur de la société. Mon diplôme en poche, je suis parti à Paris, suivant une filière de formation politique désormais connue : le syndicalisme étudiant, puis, très rapidement, un poste de « professionnel de la politique » au service d’un des multiples sous-courants du PS d’alors.
En 1990, après le tristement célèbre Congrès de Rennes, l’inutilité de mes combats internes m’a frappé de plein fouet. J’ai décidé de changer, tant qu’il en était encore temps, avec la ferme conviction de ne plus jamais vivre d’une activité politique, et de garder, toujours, ma parole libre.
Je suis arrivé à Montpellier pour reprendre des études. Comme beaucoup de ceux d’entre nous qui sont arrivés ici par un tournant de leur vie, j’ai d’abord été conquis par la beauté du ciel et des pierres. Puis par les terrasses et les places. Et par cette nouvelle productivité, loin des temps de transports parisiens.
Et comme beaucoup d’entre nous, j’ai connu des déceptions. Pas suffisantes pour que je reparte. Des déceptions sympathiques.
Il y a peu de travail, les amitiés peuvent être très superficielles, l’intégration aux sociétés locales n’est pas facile. Mais la découverte de cet art de vivre languedocien, si doux, est un moment exaltant.
Je suis resté. Ma compagne d’alors a trouvé du travail et m’a rejoint. Nous nous sommes installés. Notre premier enfant est né ici.
J’ai pris un autre départ. Une bourse de recherche, des études doctorales de science politique, et dix années de recherche fondamentale dans l’un des nombreux centres de recherche CNRS d’ici, à me spécialiser dans l’analyse des politiques publiques, et notamment territoriales.
Au bout de cette décennie, sans poste fixe, nous avons, à quelques-uns, conclu que produire du savoir pour le seul cénacle de nos pairs universitaires et chercheurs ne permettrait pas de changer vite le monde que nous analysions. Nous sommes sortis des sphères universitaires pour monter une structure privée de recherche opérationnelle et d’observation des politiques publiques, en prise directe avec les collectivités et les acteurs sociaux.
Durant toute cette période, j’ai continué à essayer de militer au Parti Socialiste. Je n’arrivais pas à me taire. Ni à faire allégeance à quelque baron que ce soit. Relégué dans les minorités critiques, écarté des cercles de décision, y compris des marchés publics des collectivités dirigées par le PS, je suis allé construire mon expérience ailleurs. Expérience professionnelle, expérience politique.
Lorsque Europe Ecologie s’est créé, secouant ce parti des Verts trop souvent impuissant à agir, j’ai vu l’opportunité d’une autre façon de militer, de faire de la politique autrement.De ces 20 années passées dans des partis issus du mouvement ouvrier, je retiens surtout que, dans l’organisation interne, aucun d’entre eux n’a su construire un mode de « gouvernance » qui ne soit pas calqué sur les principes mêmes de l’organisation sociale, politique et économique qu’ils étaient censés combattre : le capitalisme. Au Parti Socialiste, mais aussi dans les plupart des partis issus du « mouvement ouvrier », la conquête du pouvoir démocratique s’appuie d’abord sur l’accaparation des ressources internes, l’accumulation de « capitaux » politiques (les mandats internes et externes) et économiques (la capacité ouverte par la détention de mandats de financer des équipes politiques).

Des structures pyramidales, fortement hiérarchisées, rendant impossible l’ouverture et la diversité des organes de décision.
Observateur des politiques territoriales, j’ai pu constater la lente atrophie du contenu politique des décisions des collectivités territoriales, obnubilées par la gestion, perdant de vue des objectifs fondamentaux de leurs institutions, asséchant largement le sens de leurs actions.
La gauche traditionnelle est devenue impuissante à penser la société parce qu’elle reste largement ancrée sur des visions passéistes : la notabilité, et la croissance économique.
La notabilité, c’est ce système de captation des ressources politiques au profit d’une oligarchie, entretenu par le cumul dans le temps et dans l’espace des mandats de représentations et de gestion. La notabilité empêche non seulement la gauche de faire évoluer son audience au sein du peuple souverain, favorisant l’émergence de contestations radicales de la part de ceux qui se sentent, à raison, exclus du système traditionnel, mais l’empêche également d’être à l’écoute des changements, des mutations profondes qui naissent dans la société. Le système de pouvoir assumé par la gauche traditionnelle lui construit donc des frontières indépassables. Elle est contestée par ceux qui ont peur du changement, et par ceux qui le propulsent.
La croissance économique, cette croyance née dès la fin du 19° siècle que l’avancée des droits sociaux et politiques était liée à la continuation de l’accumulation des richesses accaparées par les élites économiques, dont il s’agissait finalement de décider des clés de répartition, a fini par servir de point d’aveuglement de la « pensée économique de gauche ». C’est oublier deux choses fondamentales :
notre monde est un monde fini. Ses ressources ne se régénèrent pas au rythme de leur consommation. Il est donc impossible de prétendre que la croissance, liée majoritairement à l’exploitation des ressources naturelles, puisse être infinie.
le rôle d’une force de contestation des inégalités doit d’abord être de promouvoir d’autres formes d’organisations sociales et économiques que celles défendues par le capitalisme. Les modes de production coopératifs, l’organisation des circuits courts, le combat contre l’idée aliénante que la consommation ferait le bonheur, sont autant de fondamentaux perdus de vue par les forces de gauche traditionnelles.

C’est cela, avant tout, que je recherchais, dans Europe Ecologie Les Verts. Je l’ai trouvé un temps. Puis ce parti s’est refermé sur ses vieilles impuissances. La violence des échanges internes finissent par dépasser les avantages d’une vraie liberté de paroles. Les clans ressurgissent, au gré des échéances électorales. Et puis il y a eu les douloureux épisodes de clientélisme, cette maladie honteuse de la politique. Adhésions achetées, parfois même volées, déni de démocratie, au profit d’ambitions ridicules, que leurs porteurs n’étaient même pas capables d’assumer. Et puis la lassitude de voir qu’une grande partie de l’appareil militant se passionne pour les conflits internes, y lance son énergie, quitte à laisser des cicatrices relationnelles débiles. C’est tellement plus facile d’être un « diseux ». Je préfère essayer d’être un « faiseux ». Et de toute façon, le tournant présidentialiste de ce parti m’insupporte, à tous les échelons. Je veux du collectif, je veux me battre pour du bien commun. Ce combat, dans sa forme la plus politique, n’est que la continuation de ceux que j’ai pu mené en étant chercheur, journaliste ou observateur. J’ai construit, je crois, suffisamment de barrières pour ne pas être happé par ce « coté obscur de la force » qu’est la facilité à se faire pervertir et corrompre par le système que je combats. Mais ça me pose parfois de vrais dilemmes au moment de voter. Je ne peux pas adhérer aux discours qui peuvent se résumer, sans caricature excessive, à un « faites-moi confiance, je suis un bon chef, et pour les solutions, y’a qu’à, faut qu’on ».  Du coup, je préfère militer ailleurs, dans de la proximité, et parier sur l’intelligence plutôt que sur des réflexes pavloviens. J’aime l’écologie au concret, pas dans les discours. J’aime m’occuper du Jardin de la Reine, cet écrin magique de biodiversité urbaine, qui sert de point de rencontre aux réseaux de l’agriculture urbaine. J’aime promouvoir le vélo, la ville douce. J’aime l’idée qu’il faut préparer les gens, même à leur insu, au fait que le monde dans lequel ils vivent va bientôt s’effacer, et qu’il va leur falloir apprendre à se nourrir et à se déplacer autrement. J’aime écrire sur des choses complexes sans les réduire à de la bouillie pour idiots, et tant pis si ça fait de moi un éternel « intellectuel précaire ».
Mais ça me semble quand même dingue que tu ais pu lire jusque-là.

Photo : Laurent Vilarem