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De quoi ?, Recyclage

Cuisine-fusion dans les régions

À quelle sauce seront mangées les politiques culturelles ?

Tout le monde en parle. De quoi ? De la fusion des régions. 
Ce fut le jeu du printemps dans les gazettes : « Dessine toi-même la nouvelle carte des régions ». Combien ? 15 ? 10? 12 grandes régions ?
Puis vint la proposition du gouvernement : Languedoc-Roussillon fusionnerait avec Midi-Pyrénées. Émoi, effroi, joie, toute la palette des émotions fut mobilisée par les ténors politiques. Pour le grand public, une seule question vaut qu’on s’y intéresse : qu’est-ce que ça va changer ? Et pour ce qui me concerne, qu’est-ce que ça va changer pour la culture ? 
Alors partons à la recherche de la fusion, de ses conséquences possibles, et de ce que fusion veut dire.

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Le calamar au lard de Fabrice Biasolo à Astaffort, le pigeon rôti sauce tamarin d’Heimana-Yi à Montpellier : la cuisine-fusion régionale comme on l’aime.

« Les régions pourront proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, le gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions ».
Voilà ce que déclarait le 1er ministre Manuel Valls en avril dernier. Immédiatement, on a parlé de « big bang territorial ». C’est que la fusion des régions est la pointe émergée de l’iceberg. Derrière se profile la fin des départements, et la « fusion » de leurs compétences actuelles dans celles des régions ou des intercommunalités. Et pour ces dernières, le regroupement ou le renforcement dans des « métropoles », pour ce qui est des espaces urbains, et dans des communautés de communes renforcées pour ce qui est… du reste du territoire. Bref, de la fusion à plusieurs étages.
En amoureux des belles lettres, on est donc allé chercher ce que le trésor de la langue française cachait derrière le mot fusion.

La fusion, ou comment rendre tout plus fluide

Fusion. Substantif féminin. Au sens actif. Opération qui consiste à liquéfier un corps solide sous l’effet de la chaleur.

Société bloquée, millefeuille administratif, simplification, autant de mots forts qui jalonnent la pensée réformatrice depuis plusieurs décennies. « On » n’y comprendrait rien, nous, les citoyens lambda. Et les politiques, à peine plus. Il faut donc simplifier, rendre plus fluide. Fusionner.
Pour fusionner, il faut donc d’abord chauffer, liquéfier, pour que ça se mélange bien et que ça ne fasse plus qu’un une fois refroidit.
Pour ce qui est de l’échauffement, le gouvernement a gagné son premier pari. Ça s’échauffe fort. Entre les régions qui veulent, et celles qui ne veulent pas, les départements qui hurlent, les communes qui craignent l’absorption par les métropoles, le rural qui craint de disparaître derrière la ville, le paysage régional est chaud. Chaud bouillant. On le sait, le défunt président de la région Languedoc-Roussillon s’est dressé vent debout contre l’idée d’une fusion de la région avec Midi-Pyrénées (et avec n’importe quelle autre). Du côté du Capitole, le président de la région Midi-Pyrénées s’est déclaré ouvert à toutes les discussions. Cela a suffi à faire craindre que le « riche » midi-pyrénéen veuille avaler avec gourmandise le « pauvre » languedocien. Résultat : tout le monde en parle, mais personne ne veut en parler. D’un côté comme de l’autre, très peu d’acteurs institutionnels ont accepté de répondre à nos questions sur le devenir de prochaines politiques culturelles régionales. Et ceux qui ont accepté ne l’ont fait que sous la garantie du sacro-saint « off ». Tout est bouillant, mais pour le moment, rien ne coule facilement, surtout pas la parole. Liquéfaction et fluidité ne sont pas à l’ordre du jour.
L’enjeu est pourtant de taille pour les politiques culturelles régionales. Les collectivités locales apportent plus de 80% des financements publics de la culture, lesquels financements publics représentent au bas mot 60% de l’ensemble des budgets artistiques et culturels en région.

Dans cet apport public, les conseils régionaux apportent un quart des fonds territoriaux, les départements un autre quart, et les communes et leurs regroupements (notamment les communautés d’agglomération), la moitié restante. Fusionner les régions, faire disparaître les départements, renforcer les métropoles, tout ça ne sera donc pas sans incidence sur le tissu culturel des territoires.

La fusion, ou concentrer pour être plus fort

Fusion. Économie : Opération juridique consistant à regrouper plusieurs sociétés en une seule. Synon. concentration.

Au chapitre des arguments qui se veulent rassurants, la fusion devra permettre d’avoir des régions plus fortes. À l’instar des länders allemands ou des communautés autonomes espagnoles, nos futures régions atteindront donc cette taille critique qui ferait d’elles les moteurs du pays. Mais de quoi parle-t-on ici ? De surface ? Du côté de Midi-Pyrénées, on a déjà coutume de dire que la région est la plus étendue de France. Avec ses 45 348 km2, Midi-Py est plus vaste que le Danemark (43 000 km2). Fusionnées, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon représenteraient un territoire de 72 724 km2, pour une population de 5,6 millions d’habitants. Plus vaste et plus peuplé que l’Irlande (70 273 km2 pour 4,7 millions d’irlandais). On s’étonne que les élites sudistes du ballon ovale n’aient pas déjà réclamé leur place à part dans un futur tournoi des 7 nations !
 Ou que l’Occitanie du Grand Sud, finalement (et sans que l’on ait apparemment rien demandé à ses ardents défenseurs) se retrouve au centre des débats, et en quelque sorte régénérée après des siècles d’Histoire commune.

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La nouvelle région sera plus grande que l’Irlande. Ses principales villes seront sur le littoral.

Ainsi retaillée, la nouvelle région se positionnerait dans le haut du tableau européen pour la superficie et la population. L’équivalent des communautés autonomes de Madrid ou de Castilla-la-Mancha, des länders de la Hesse ou de la Bavière, plus grande que le Piémont et la Lombardie réunies !
 Mais la comparaison s’arrête là. Fusionnés, les deux budgets des conseils régionaux monteraient péniblement à 3 milliards d’euros annuels, quand la Hesse ou Madrid disposent de plus de 20 milliards par an. Même en intégrant à la future région l’intégralité des budgets des 13 départements appelés à disparaître, « Languedoc-Pyrénées » atteindrait 12 milliards d’euros de budget annuel. La moitié seulement du budget des consœurs européennes citées en exemple et en comparaison. La moitié de leur PIB régional, aussi. 140 milliards de richesses créées contre 210 à 240 dans les régions européennes similaires.
Et un ensemble vaste. 550 km du point le plus au sud-ouest (Cauterêts) au point le plus au nord-est (Pont-Saint Esprit). 5 heures de route pour le traverser de part en part. Trop vaste pour beaucoup d’acteurs de la culture.
« J’ai déjà du mal avec mes missions régionales actuelles », déclare Phillipe Saunier-Borel, codirecteur du Centre National des Arts de la Rue d’Encausse-les-Thermes, en Haute-Garonne. « Ça marche bien avec le réseau Sud. Mais irriguer le nord de la région depuis ma position est déjà plus compliqué. Alors imaginer aller à Perpignan, en Lozère, ou en Camargue, c’est inenvisageable ». Pour le patron de ce lieu labellisé par l’État, hors de question d’agrandir son territoire déjà trop vaste. « Il faudrait de toute façon deux CNAR sur ce territoire ».
On est loin du discours sur les économies qu’une telle fusion générerait. D’ailleurs, aucun expert ne s’accorde sur ces économies possibles. Le seul point dans lequel tout le monde voit bien où l’État gagnerait à une réorganisation, ce sont ses propres services.
Ainsi apprenait-on début juillet que le chantier de la réforme territoriale de l’État était relancé, sous la triple autorité des ministères de l’Intérieur, de la Décentralisation, et du secrétariat à la réforme de l’État. « À l’échelon régional, l’État se concentrera sur son positionnement stratégique. Son organisation coïncidera avec les 14 futures grandes régions », indique le communiqué diffusé à l’issue du conseil des ministres du 2 juillet dernier. 
Pour parler clairement, il n’y aura plus qu’une seule DRAC pour la future grande région. Personne ne sait encore si cela signifie un seul conseiller théâtre au lieu de deux, un seul conseiller cinéma au lieu de deux, etc. Mais chacun suppute que là est le principal champ d’économie d’un État culturel déjà décrit comme fortement malmené.

La fusion, ou le mélange des intimités

Au figuré. Combinaison, mélange intime de plusieurs éléments.

Fusionner implique « un mélange intime de plusieurs éléments ». Rien ne sert de chauffer les corps, de liquéfier les états, de concentrer les essences, si c’est pour se retrouver avec le même point de départ. « La totalité est plus que la somme des parties », nous disait Aristote.
Pour fusionner, il faut donc se connaître l’un l’autre. On n’écartera donc pas complètement l’idée d’une fusion amoureuse, pour s’attarder d’abord sur le fantasme. « Le vrai risque, c’est de se faire avaler par une région plus riche », nous dit Frédéric Michelet, de la fédération LR des arts de la rue. Pourtant, la supposée richesse du géant midi-pyrénéen reste du domaine du fantasme, en tout cas pour l’échelon régional. Les budgets des deux conseils régionaux sont similaires : 1,5 milliard d’euros. Et côté politiques culturelles, on affiche un budget régional de 30 M€ du côté Midi-Pyrénées, contre 40 M€ côté Languedoc-Roussillon. Le plus gros n’est pas celui qu’on croit.
 Le secteur des arts de la rue, depuis longtemps organisé en fédérations régionales pour défendre ses intérêts, veut entamer rapidement sa propre fusion, en construisant une nouvelle fédération. « Être les premiers interlocuteurs pertinents à l’échelle des nouveaux pouvoirs est un enjeu important pour nous » poursuit Frédéric Michelet.

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Pour ce qui est de la fusion des logos, ça ne devrait pas être trop difficile.
Pour les autres secteurs, le chemin sera plus long. Peu sont déjà organisés à l’échelle de leur propre région. Quant aux agences régionales auxquelles État et régions confèrent généralement des délégations, leur paysage est loin d’être unifié. Le secteur littéraire, seul à disposer de structures similaires de part et d’autre des frontières actuelles, commence à discuter à l’échelle des techniciens. Mais le calendrier est encore très flou. Les discussions vont bon train dans la navette entre le Sénat et l’Assemblée Nationale. La date du prochain scrutin régional n’est toujours pas connue avec certitude. Mars 2015 ? Novembre 2015 ? Enfin, la suppression des conseils généraux pourrait obliger à une périlleuse révision constitutionnelle, que l’exécutif redoute.
En région Languedoc-Roussillon, le décès de Christian Bourquin, farouche opposant à la fusion, pourrait changer la donne. Mais il est trop tôt pour le dire. On comprend dès lors que les discussions entre techniciens de la culture ne soient pas toutes urgentes.

D’autant que dans la plupart des secteurs culturels, les structures sont construites sur des bases différentes, et certains domaines culturels n’ont pas d’outils équivalents dans l’une ou l’autre des deux régions. Chacun entend par conséquent pousser son avantage pour s’imposer comme le chef de file du futur territoire. Au risque de la fusion nucléaire. Einstein ne contredisait-il pas Aristote en déclarant que « la masse d’un atome est toujours inférieure à la masse de ses constituants » ?

(Cet article est paru sous une forme équivalente dans le numéro 55 du magazine Let’s Motiv)

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De quoi ?

Reconstruire une passerelle entre l’histoire et le présent

Un lien historique s’est rompu, la passerelle du Jardin de la Reine n’est plus.

Dans la nuit du 15 au 16 juillet, les services de la ville ont fait procéder à l’enlèvement de la passerelle du Faubourg Saint Jaumes, qui reliait historiquement le Jardin des Plantes et le Jardin de la Reine, par le bâtiment de la « Vieille Intendance ».

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Outre l’état délabré et dangereux de la passerelle, cette décision est, paradoxalement, la conséquence de la première victoire de l’association de sauvegarde du Jardin de la Reine et de la vieille Intendance. En faisant racheter le Jardin de la Reine par la ville de Montpellier, la mobilisation citoyenne a conduit l’administration des domaines, en charge de vendre les deux biens de l’État, à scinder ce qui n’était qu’un seul lot, et à imposer à l’acheteur du Jardin l’enlèvement de la passerelle qui les reliait.

Parce que le bâtiment de la vieille Intendance est toujours en vente. L’État n’a pas abandonné l’idée de brader ce patrimoine historique.

Pourtant, ce bâtiment est d’une importance patrimoniale claire pour la ville et l’université. Il est, historiquement, le bâtiment de direction du Jardin des Plantes, le plus ancien jardin botanique de France, le lieu où tant d’innovations médicales et botaniques ont pu voir le jour, et faire de Montpellier une grande ville universitaire, et une grande place de l’histoire de la médecine.

La passerelle symbolisait le lien entre les deux parties de ce qui n’était qu’un même ensemble durant des siècles, en même temps qu’elle reliait deux jardins aux ambitions différentes, le Jardin des Plantes, lieu de recherche médicale et botanique, et le Jardin de la Reine, lieu d’expérimentation pour les fondateurs du Jardin des Plantes. C’est là que Richer de Belleval a conçu sa première « montagne » artificielle, testant la possibilité d’un écosystème équilibré et productif, fondant les principes de ce que l’on appellera des siècles plus tard l’agroécologie, l’agroforesterie, la permaculture, disciplines redécouvertes notamment dans le pôle agronomique montpelliérain, l’un des plus importants pôles de recherche mondiaux en agronomie, l’un des fers de lance de l’économie montpelliéraine actuelle.

La passerelle, lien symbolique, était aussi un pont entre l’histoire de la recherche montpelliéraine, son présent, et son avenir.

L’association de sauvegarde du Jardin de la Reine mettra tout en œuvre pour que le bâtiment de la Vieille Intendance ne soit pas vendu à des investisseurs privés, mais reste dans le giron public. Elle travaille à convaincre les collectivités et les universités de la pertinence d’un projet de réhabilitation qui conserve le périmètre historique du Jardin des Plantes, et qui soit le lieu où s’articule la recherche, la pédagogie, et la sensibilisation du public le plus large sur le colossal patrimoine montpelliérain en matière de recherche botanique et médicale, et son importance capitale pour l’avenir de la ville comme de la science. Ce bâtiment est au cœur de l’histoire de la Ville et de son identité.

L’association lancera en septembre une initiative citoyenne pour sauver la « Vieille Intendance ». Et lorsque nous aurons gagné ce combat, nous ferons reconstruire la passerelle. Promis.

La passerelle avant et après

 Rue du Faubourg Saint Jaumes, avant et après l’enlèvement de la passerelle.

Ça s'écoute, De quoi ?

On peut vous faire de la place si vous voulez nous rejoindre

Quatrième volet de ces petites mémoires sonores consacrées au mouvement des intermittents. Et dernier concernant Montpellier Danse. Je verrais ce que je fais avec Radio France…
Un machin sonore, ça s’écoute. Donc, clique :

Dimanche, 6 juillet. Encore une fois, les intermittents en lutte se retrouvent devant Montpellier Danse. Une semaine vient de s’écouler, chargée de grève, et de déplacements en Avignon. L’œil des médias s’est tourné vers la cité des papes. Le cœur de la lutte s’est déplacé, et ici, à Montpellier, le mouvement se cherche un nouveau souffle. Et de nouvelles formes d’intervention.

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Extraits sonores : The Revolution will not be televised. Cover de l’intemporel Gil Scott-Heron par Dana Bryant, Giant Steps Volume One, 1993.

Retrouver les autres volets :

La violence du silence par intermittence

L’Agora hors les murs

Salle pleine, rien ne se vide

Ça s'écoute, De quoi ?

Salle pleine, rien ne se vide

Mercredi 25 juin. Ce soir, Montpellier danse. Les personnels hier en grève ont décidé de laisser jouer Empty Moves, la pièce d’Anjelin Prejlocaj, tout comme le mouvement unitaire des intermittents. Ils sont là, pour autant, les artistes et techniciens en lutte. Sur le parvis du Couvent des Ursulines, ils discutent, distribuent des tracts, proposent au public présent de s’afficher comme spectateurs solidaires.

Pause avant la tempête. La salle se remplit, le mouvement se ressource. Après La violence du silence par intermittence, et l’agora hors les murs, troisième volet de cette restitution sonore du conflit des intermittents. Ça s’écoute, donc.

Clique :

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Extraits sonores : Empty Page, Sonic Youth, Murray Street. Empty Words Part 3, John Cage.

Ça s'écoute, De quoi ?

L’Agora hors les murs

Après deux jours d’actions dures, parfois confuses, de blocage partiel des spectacles, les grilles du festival sont closes. Ce soir, Montpellier Danse ne joue pas. Une partie du personnel est en grève, le spectacle ne peut avoir lieu. Chez les intermittents en lutte, l’heure est au soulagement. Les soirées de blocage ont été éprouvantes, et menaçaient de s’envenimer. Le mouvement se radicalise, et nombreux sont ceux qui redoutent désormais les débordements. Tandis que quelques autres les espèrent. Ce soir, l’heure n’est donc plus au silence, mais au dialogue avec le public.

Colères, doutes, radicalisation, dialogue. Après La violence du Silence par intermittence, deuxième volet de cette restitution sonore du conflit des intermittents. Ça s’écoute, donc.
Clique : 

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Crédits photo : CIP-LR.

Extraits sonores : Talk To Me, Tricky, Angels with Dirty Faces, 1988.

Ça s'écoute, De quoi ?

La violence du silence par intermittence

Le conflit des intermittents est un conflit très fort. Et très illustratif de la profonde crise dans laquelle nous avons plongé.
C’est un conflit difficile, car il met en jeu du sens, au delà d’une lutte que peu de gens comprennent, finalement. Et qui pose de constantes questions sur les modalités de la lutte, pour celles et ceux-mêmes qui y sont engagées. Retour sonore sur une action silencieuse. (Ça s’écoute, donc).

Alors clique :

 La suite de cette chronique sonore : L’Agora hors les murs

Montpellier, dimanche 22 juin. Depuis plusieurs semaines, la ville est l’un des principaux foyers du conflit entre les intermittents et le gouvernement. C’est que Montpellier compte de nombreux festivals, dont certains démarrent la saison nationale ou européenne. C’est le cas du Printemps des comédiens, en grève depuis début juin. Mais ce dimanche 22 juin démarre Montpellier Danse, l’un des plus importants festivals de danse européens. Et depuis les déclarations du premier ministre de jeudi dernier, annonçant l’agrément de l’accord et la mise en différé de son application pour ce qui est des articles organisant l’intermittence, le mouvement glisse vers une radicalisation. Et la plupart des intermittents mobilisés considèrent Montpellier Danse comme une très importante caisse de résonance…

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(photo ciplr)

Après l’action silencieuse, la parole se libère dans l’AG improvisée, place Candolle.

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Extraits sonores : Enjoy the silence, Tori Amos, Strange Little Girls, 2001, Silence, Portishead, Third, 2008.

De qui ?, De quoi ?

Les ritals

J’ai grandi en partie dans les Alpes, au cœur de ce qui fut le royaume de Savoie. L’Italie, quoi.
Ma Savoie à moi, elle n’était plus du tout italienne. Elle était grise, pleine d’usines qui fument et qui puent. Et elle était pleine de ritals. Des ritals de longue lignée, devenus « savoyards », avec des noms qui finissaient en « z », parce qu’ils avaient enlevé les deux dernières lettres pour se franciser. Carraz, s’appelait ma grand-mère. Carrazzi, s’appelait son grand-père.
Et à côté de ces italiens francisés depuis plus d’un siècle, il y avait les autres italiens, immigrés de la première ou de la deuxième génération, qui avaient passés la frontière du Mont-Cenis pour chercher du boulot. Les « ritals », les « vrais », qui avaient gardé leur nom en « i » ou en « o ». Les savoyards les appelaient « ritals ». Parfois même « macaronis ». C’était un étrange racisme, puisqu’il ne s’adressait pas à l’autre, mais au « même ». C’est avec la montée du fascisme et la guerre que les « ritals » sont devenus « autres » pour les savoyards. C’était, paradoxalement, une manifestation de l’intégration républicaine des savoyards. Et en Maurienne, où les maquis résistants furent avant tout communistes, l’opposition entre les italiens « fascistes » et les mauriennais « communistes » fut parfois forte. On lisait ainsi dans les années trente, dans la Croix de Savoie, ce genre de sentence :

L’italien est un « mauvais client, un voisin désagréable, et un véritable pillard. L’Italien ne travaille que quelques jours par semaine puis il s’enivre. Des immondices jonchent le sol devant leurs maisons. L’ouvrier italien souille de sang notre ville en utilisant son couteau, il est illettré et sa vie se rapproche de la vie animale. »1.

Quand j’étais ado,les plus racistes, c’étaient souvent les ritals. Ils avaient pour beaucoup quitté les usines de la vallée. Ils étaient artisans, perchman, moniteurs de ski. Ils pensaient surtout à virer les « bougnoules » qui venaient de Chambéry « piquer le boulot » qu’ils ne voulaient plus faire. Et moi, je les trouvais cons, ces « ritals ». Et puis un jour, j’avais douze ou treize ans, j’ai lu l’un des plus grands livres de littérature populaire qu’il m’ait été donné d’ouvrir, et j’ai compris qui ils étaient, ces « ritals ». Et d’où venait une partie de mes racines. C’était le livre de François Cavanna, Les ritals. Extrait :

«Mon cousin Silvio, Silvio Nardelli – avoir un cousin de plus de quarante ans, ça me fait drôle -, qui a travaillé en Angleterre, même que les maçons, là-bas, ça l’a soufflé, ils travaillent en chapeau melon, avec le col dur et la cravate, pour le reste ils sont habillés en maçons, grande blouse blanche, pantalon de velours serré aux chevilles et ceinture rouge, mais chapeau melon sur la tête et cravate, il en est pas encore revenu, Silvio, et attention, faut pas les bousculer, qu’il dit, ils aiment pas travailler avec des Ritals parce que les Ritals foncent comme des dingues, ils sont payés à la tâche, alors, fais-leur confiance, à chaque truellée de plâtre qu’il écrase sur le mur le Rital entend tomber les centimes dans le bocal au fond de l’armoire, mais les Anglais, impassibles, pas un geste plus vite que l’autre, le syndicat permettrait pas. Oui, Silvio raconte, quand tu arrives en Angleterre, que tu te présentes au bureau pour la carte de travail, le fonctionnaire te demande : « Italian ? » « Yes. » « De quelle région ? » Tu dis de quelle région. Au milieu de la carte, juste à la hauteur de Florence, il y a un gros trait rouge rajouté à  la main, un gros trait qui coupe l’Italie en deux, en bas il y a le Sud, le pied de la botte, en haut il y a le Nord. Le fonctionnaire cherche ton patelin sur la carte. Il met le doigt dessus. Si c’est plus haut que le trait rouge, ça va, il te fait ta carte de travail. Si ça tombe en dessous du trait, il te dit « sorry, sir, nous avons atteint le quota, pas de carte de travail, il faut return to Italy ». Silvio est tout fier de raconter ça, et les autres sont contents aussi, ils se marrent. Il y en a toujours un pour dire sentencieusement : « L’Italien del Norde, il vient en Franche fare le machon. L’Italien del Soud, il va en Amérique fare le ganchetère. Ecco. » Le Sud, c’est pas l’Italie, Rome, à la rigueur, bon, il y a le pape, il y a le roi… Quoique, ces deux-là, ils auraient pu se donner la peine de monter un poil plus haut, jusqu’à Milan, par exemple. Mais encore plus bas, c’est chez les Marocains. Les Ritals crachent de mépris tout en jetant un oeil par-dessus l’épaule, des fois qu’un Napolitain serait là, juste derrière, avec son couteau. « Si que zé sarais oun Napolitain, z’arais tellement vonte que zé sortirais zamais dans la roue, zamais ! »»

De ce jour, j’ai arrêté de les trouver cons par principe, les « ritals ». Et c’était un pas vers moins de connerie pour moi, et pour tous. Non seulement l’œuvre de Cavanna est belle, non seulement il est un grand écrivain, mais il a beaucoup fait pour faire reculer la connerie.

Ciao, Cesco. Je suis content que tu te sois délivré de cette « saloperie infâme »2

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  1. Cité par François Forray, dans son discours d’entrée à l’académie de Savoie 

  2. lire ici la belle interview de François Cavanna pour Libération, en 2011   

De quoi ?

Les arbres invisibles du Parc Emmanuel Roblès

Au bout de la rue de la République, juste avant d’arriver à la gare, à gauche en descendant, il y a un parc.
Pour de nombreux montpelliérains, à cet endroit là, il n’y a eu longtemps qu’une grande barrière de chantier en tôle, derrière laquelle on devine des cimes d’arbres. Depuis peu, la barrière de chantier a été remplacée par des palissades peintes aux couleurs du futur lieu d’art contemporain montpelliérain, le MoCo.

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De l’autre côté de cette barrière, il y a un parc public inauguré en mars 2004, voulu par les écologistes membres de la majorité municipale de l’époque. Il est baptisé du nom d’Emmanuel Roblès, ce romancier qui a longuement décrit les jardins d’Alger. Et il n’est pas que baptisé, il est aussi une évocation du Jardin d’Essai, l’un des plus beaux jardins algérois.
Depuis 2009, la Ville a fermé le parc Emmanuel Roblès au public pour permettre à l’Agglomération de Montpellier d’entreprendre les travaux d’installation de ce qui devait être le Musée de l’histoire de la France en Algérie, dans l’Hôtel Montcalm, situé au fond du jardin. Depuis, ce projet de musée est passé aux oubliettes, et le bâtiment accueillera donc le MoCo. Mais entretemps, le Parc Roblès n’a pas réouvert. L’agglomération, devenue propriétaire des 3300 m2 de verdure, a d’abord plaidé l’absence de sécurisation du bâtiment en travaux, alors que je les avais interpellé publiquement fin 2013.
Depuis, silence radio. Et l’on imagine sans peine que, depuis, le bâtiment a largement eu le temps d’être sécurisé.
Les arbres du Parc Roblès, ces arbres invisibles depuis presque 10 ans, poussent, et se déploient dans leur magnificence. Mais ils n’ont pas été plantés pour être cachés. Ni pour servir de cadre à des réceptions privatisées, comme cela a déjà été le cas ces dernières années.
Alors, qu’attend désormais la métropole pour rendre, sans plus attendre, ce magnifique parc aux Montpelliérains ?

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L’arbre invisible est le titre d’un (très beau) livre d’Emmanuel Robles.

Ce billet est la version réactualisée de celui paru le 13 décembre 2013.

De quoi ?

Combien faut-il maîtriser d’électeurs pour remporter Montpellier ?

L’héritage Frêche. (épisode 2)

Combien faut-il maîtriser d’électeurs pour remporter Montpellier ? Je me suis posé la première fois cette question après les municipales de 1995, dans une tentative d’objectiver le système clientéliste que je découvrais en arrivant à Montpellier.

Ce qui m’avait mis la puce à l’oreille en 1995, c’était que Frêche avait réuni au premier tour 31 856 voix. C’était là son électorat « maîtrisé ». A l’époque, la population de Montpellier était de l’ordre de 220 000 hab. Et il y avait 116 449 électeurs inscrits.

J’avais fait en 1992 un DEA sur la socialisation politique des étudiants, en traitant notamment la question de leur inscription sur les listes électorales. À peine 1/3 étaient inscrits à Montpellier. Une partie n’était pas inscrite, et la majorité votait dans leur commune d’origine. Or, je savais que la mairie faisait un gros boulot en préparation du recensement pour que les étudiants soient majoritairement recensés à Montpellier. Se jouait là une concurrence entre grandes villes, et Frêche voulait grimper d’un ou deux rangs dans la hiérarchie (à l’époque, il pensait même que Montpellier allait dépasser Nantes).

Donc je m’étais interrogé sur ce fait : 51% de la population de la ville était électrice. Je savais que certaines grandes villes avaient des ratios très bas, et d’autres des ratios très hauts. Plus la ville était « jeune », plus le ratio était bas. Plus c’était une grande ville universitaire, plus le ratio était bas.

En 1995, sur les 20 plus grandes villes de France, deux avaient un ratio électeurs/population en dessous de 50% : Lyon et Strasbourg (49,5% et 49,9%). Montpellier arrivait juste après, avec 52,6%, comme Lille (ville où les questions sont d’ailleurs les mêmes,  Mauroy était élu avec une toute petite fraction de la population). Ensuite, ça montait très vite. 54,4% pour Toulouse, Bordeaux, Marseille, Grenoble, 58% pour Rennes, 62% pour Nantes, 67% pour Nice.

Ça pouvait se comprendre. Montpellier était une ville jeune et universitaire, avec, en sus, une très grosse mobilité géographique. Je me suis donc intéressé au fichier électoral. En présidant des bureaux de votes, je m’étais étonné du nombre de cartes électorales qui revenaient en NPAI. J’ai interrogé le service des élections, qui m’a confirmé ce que je pensais : sur 116 000 inscrits, plus de 15 000 cartes revenaient pour mauvaise adresse, et n’étaient pas distribuées le jour des scrutins. C’était une estimation volumétrique, ils ne comptaient pas vraiment. Mais il y avait des petits tas de 100 à 150 cartes NPAI pour chacun des 115 bureaux de vote de l’époque.

C’était certainement un effet des flux de populations. Au début des années 2000, les flux à l’intérieur de l’agglomération étaient tels, que l’INSEE calculait qu’entre 2001 et 2006, sur une population de 350 000 habitants, il y avait eu 75 000 arrivées et 71 000 départs. Soit un mouvement global de plus de 140 000 personnes sur l’agglo, dont la moitié affectant la ville centre. En d’autres termes, tous les 5 ans, la ville voyait sa population renouvelée à hauteur de 60 000 personnes, soit 1/4 de la population. Rien d’étonnant donc que le fichier électoral soit en constant bouleversement.

Mais ça voulait également dire, pour moi, que sur les 116 000 électeurs officiels, il n’y avait en réalité que 100 000 électeurs réels. Soit un ratio électeurs/population de moins de 45%. Ce qui expliquait également une abstention plutôt forte à Montpellier, avec une participation aux municipales en dessous de 60% du corps électoral.

Il en résultait qu’en 1995, en réunissant 31 856 voix au 1er tour des élections municipales, Frêche était assuré de sa réélection au second tour. Qu’il lui suffisait donc de maitriser 14% de la population de la ville pour assurer sa domination sur la ville ET l’agglo.

Je me suis donc intéressé aux modalités de cette maîtrise. Je n’ai là que des hypothèses, je n’ai jamais pu travailler à grande échelle. Mais je sais que :

  • Freche était tout a fait conscient de cela. Il ne cherchait pas à élargir sa base électorale. Fort de ce même calcul, il pouvait travailler à l’économie de moyens.
  • Maitriser 30 à 35 000 personnes était assez simple.

– Par l’emploi, d’abord. Qui n’a jamais vu Frêche en visite sur le territoire se faire alpaguer pour demander un emploi dans une des multiples officines du « pool mairie de Montpellier », comme il appelait alors l’ensemble des institutions sur lesquelles il avait un pouvoir direct ? Il employait directement ou indirectement à l’époque plusieurs milliers de personnes. La Ville et le district comptaient à eux deux 4 000 agents. Le CHU, qu’il présidait depuis plusieurs années, 8 500 agents non-médicaux dont 3 000 personnels administratifs et techniques. Ajoutons à ça les satellites : SERM, Enjoy, ACM, 600 personnes, et les gros prestataires (SMN Nicollin, 1000 personnes). Il pouvait donc influer assez directement sur l’emploi de 10 000 personnes.
– Le logement, ensuite. 30 000 personnes vivaient dans les 15 000 logements d’ACM à l’époque. À travers ACM, il pouvait fidéliser plusieurs milliers de familles,
– Les subventions, enfin. Dès 1987, il crée la commission Montpellier au Quotidien, qui réunit associations de quartiers, communautaires, etc. Plus de 300 associations en ligne directe avec la mairie, pour s’occuper des problèmes de voiries, de poubelles, de parcs et jardins, de locaux mis à dispositions, etc.

A travers ces 3 dispositifs, il était donc très simple de s’assurer que 35 000 personnes allaient bien aller voter le jour J. Ce qui est même étonnant, c’était qu’il n’y en ait pas plus.

Est-ce que les choses ont changé ensuite ?

En 2001, non. Le ratio électeur/habitant était descendu en dessous de 50%, à 49,6%. Au Municipales de 2001, les inscrits avaient baissé, passant de 117 000 à 111000, suite aux nouvelles procédures de révision et d’apurement des listes électorales. Le phénomène est sensible dans toutes les grandes villes, avec une chute de 0 à 4 points sur le ratio. Montpellier passe donc en dessous des 50%, elle est toujours 3° en partant de la fin devant Strasbourg et Lyon.

Le nombre de votants, lui, est également en diminution. 69 000 en 1995, 63000 en 2001. Au 1er tour, Frêche réunit 33 028 électeurs, contre 31 856 en 1995. En 6 ans, il a gagné 1 150 électeurs. La ville, elle, a gagné 10 000 habitants. Frêche maitrise toujours 14,5% de la population au 1er tour.

En 2004, une autre réforme intervient, c’est l’inscription automatique des jeunes de 18 ans après leur recensement en vue de la Journée Défense et Citoyenneté. Les listes de 2008 sont encore modifiées. Montpellier remonte dans la moyenne (basse) des grandes villes, avec 54,5% d’électeurs dans la population totale. La liste électorale fait un bon de 20 000 électeurs, pour se fixer à 137 182.  Au 1er tour des municipales de 2008, 72 000 électeurs se rendent aux urnes. Soit 28,6% de la population. C’est encore un peu bas pour une grande ville, leur moyenne tournant plutôt à 35%.

Et Hélène Mandroux est élue avec 36 343 voix au second tour. Soit… 14,4% de la population. Une stabilité non-démentie sur 15 ans.

Jusqu’en 2008, le système n’a pas changé. La vraie question est de savoir, maintenant, qui a gardé quoi dans l’héritage ?

L’héritage lui même a changé.

La maitrise de l’emploi, d’abord : 8600 personnels non médicaux au CHU, dont 2300 technico-administratifs. L’agglo a désormais un effectif de 1400 agents. La ville de 3000. TAM : 1000. Serm, ACM, Enjoy, et autres satellites : 600. Nicollin : toujours 1000. A ça s’ajoute, depuis la reprise du CG par Vezinhet, une partie des 5500 agents du CG34, ainsi qu’une partie des agents du Conseil régional et satellites : 3 500 agents. On a donc un volant d’emplois de l’ordre de 13 à 15 000. Tous ne se sentent pas redevables au leader, et certains n’ont pas besoin de ça pour être ses électeurs, la conviction leur suffit.

Les logements : ACM : 20 000 logements, 50 000 occupants. Les leviers se sont donc plutôt accrus, d’autant que, par rapport à 1995, il y a désormais les 4 émetteurs de subventions, Mairie, Agglomération, Conseil Général, Conseil Régional.

La liste électorale a continué de croitre.  141 542 électeurs aux dernières élections.François Hollande a fait 37 787 voix au 1er tour, avec seulement 22% d’abstentions et 109 000 votants, record historique. Lors des primaires du PS, 13528 personnes étaient venues voter à Montpellier. Au 1er tour des législatives, les candidats étiquettés PS ont réunis 28 932 voix sur la ville.

On reste, peu ou prou, dans la fourchette des 30 à 35 000 maitrisés par le système municipal, alors même que le corps électoral a considérablement changé, (pour rappel, 110 000 électeurs en 2001, 141000 en 2012, soit 27% d’augmentation).

J’ai du perdre une partie des lecteurs dans les chiffres. J’en suis conscient.

Et pourtant, toute la zone d’incertitude politique montpelliéraine est là, glissée dans ces nombres.

Qui, parmi ceux qui revendiquent l’héritage de Frêche, maîtrisent encore les réseaux ? Cela explique-t-il les dissidences, ou seulement les volontés parfois affichées de « sortir du système » ? Au sein de ces réseaux, quelles sont les proportions restantes de soutiens convaincus, de liens de loyauté toujours actifs et de fidélités caduques ?

Que feront les nouveaux électeurs ? Ceux qui ne sont pas encore insérés dans les réseaux locaux, dans la société locale ? Voteront-ils ? À quelle proportion ? Selon quelle logique ?

La fin de l’empire est toujours une période incertaine.

De quoi ?

Les cartes rebattues, ou la grande zone d’incertitude montpelliéraine

L’héritage Frêche 1/6

En ces temps de compétition interne au Parti Socialiste montpelliérain, la question de l’ « héritage » ne cesse d’être invoquée par les candidats, qu’ils soient en compétition dans la primaire interne ou dans une phase ultérieure. Et cette rhétorique n’est limitée ni aux frontières montpelliéraines, ni aux frontières partisanes. Qu’il soit revendiqué ou agité en épouvantail, invoqué pour s’en inspirer ou s’en départir, l’héritage reste omniprésent.

Mais de quoi parle-t-on ? La plupart du temps, il s’agit en réalité de ne pas invoquer l’héritage réel, mais son inspiration. Une supposée vision, un leadership, une capacité à faire ou à défaire, à batailler ou à tailler.

Pourtant ce qui se joue depuis des mois, et pour encore des mois, est tout autre. L’héritage dont il est question, mais dont on ne parle pas, n’est pas celui des idées ou des inspirations. C’est de l’héritage d’un système de pouvoir, dont on feint de ne pas parler.

Georges Frêche a construit sa domination politique et territoriale sur un système électoral, système dont la ville de Montpellier constitue le pilier sans lequel rien n’était possible.

Pour l’avoir observé, analysé, combattu durant de – très – longues années, je pense qu’il est plus que temps d’en faire le récit. De déconstruire le système, pour accéder ainsi à l’inventaire politique sans lequel rien ne changera.

Le parti, clé de voute du système

Pour asseoir sa domination sur la ville, G.F. a construit un système dont le parti socialiste est la pierre angulaire. Lieu de sélection, de filtrage, relais avec les autres systèmes de représentation.

Le parti socialiste montpelliérain n’est lui-même qu’un reflet de l’organisation sociale construite par Georges Frêche pour s’assurer la permanence du pouvoir sur la ville.

Mais sa maîtrise fut une nécessité dès le début du règne frêchiste. Dès le « coup d’État » raté de son premier adjoint Jean-Pierre Vignau, en 19791. Frêche va alors placer ses fidèles à la tête des sections montpelliéraines. Autant de sections que de cantons. Cette organisation cantonale n’a jamais été le reflet d’une priorité sur les objectifs départementaux. Des compétences départementales en milieu urbain, la plupart des militants n’en ont cure. Non, elle avait 3 grandes vertus. D’abord, empêcher toute discussion globale sur les politiques municipales. La section cantonale s’occupe de proximité. Le reste, c’est Frêche qui le gère, et il n’en discutait pas avec cette plèbe militante qu’il aimait tant caresser dans le sens du poil.  Jamais de réunions politiques qui les rassemblent pour évoquer des enjeux locaux, encore moins une coordination des sections montpelliéraines, ne serait-ce qu’une fois tous les 6 ans. Chacun vit et vote dans sa section. Cela permet une mise en concurrence sur les scores que chaque secrétaire de section amène à la fédération. « Combien tu pèses ? », c’est la grande question qui taraude le vassal à l’heure des comptes. Même lorsque Frêche était le seul candidat en lice à l’investiture, chacun avait à cœur de faire voter ses ouailles. Et de voter à leur place, s’il le fallait2. Enfin, dernière vertu de l’organisation cantonale, elle permit de rendre efficace une machine électorale aux visées annexes : faire élire un maximum de conseillers généraux urbains et frêchistes, de façon à « épurer » le Conseil général, bastion d’une résistance interne au PS.

Les sections montpelliéraines se sont donc développées, sous la houlette caporalisante de Robert Navarro. En 2008, le PS comptait ainsi 2355 adhérents avant le congrès national du PS (congrès de Reims). Et il y eut, lors de ce congrès, 1639 votants dans les sections montpelliéraines. Montpellier pèse alors à elle toute seule 1,25% du congrès national. Largement suffisant pour faire basculer une majorité nationale jusqu’au bout incertaine3. Et les militants PS représentent 1,7% de la population électorale montpelliéraine. Ce qui est proprement extraordinaire, quand la proportion nationale est de 0,5%4.

Parmi ces 2300 adhérents de 2008, beaucoup ont des liens directs avec le « pool » mairie de Montpellier. Le « pool », c’est l’ensemble des services directement sous l’emprise de Georges Frêche. Ce n’est pas seulement une facilité de langage, c’est une réalité, un ensemble coordonné par des réunions hebdomadaires de ses dirigeants. Un noyau dur constitué des DGS et directeurs de cabinet de la Ville et de l’intercommunalité, des DG de la SERM, de l’ex-OPAC aujourd’hui ACM, d’Enjoy. Et le cas échéant d’autres satellites. À ces emplois directs s’agrègent des dirigeants associatifs subventionnés, d’autres qui souhaitent intégrer l’un ou l’autre des cercles précédents, et, bien entendu, des véritables et sincères militants.

L’allégeance, le ressort de l’adhésion

À quelques très rares exceptions près, tout ce petit monde a prêté à un moment où un autre, allégeance à Georges Frêche. « À de très rares exceptions près », parce qu’effectivement rares ont été les individualités qui ont exprimé en interne d’autres horizons. Et encore moins qui soient allés à la bataille lors d’investitures aux élections. Ainsi, en 2007, une primaire interne fut organisée sur la 1ere circonscription de l’Hérault. C’était une première depuis de nombreuses années, à tel point qu’il fallut imposer un minimum de règles. Les autres circonscriptions montpelliéraines n’eurent, comme d’habitude, qu’à enregistrer pour la forme une candidature unique. Non qu’il n’y eut jamais plusieurs velléités avant chaque scrutin, mais elles se réglaient hors des débats des militants.

Mais 2007, c’est déjà la fin qui pointe. Le président du Conseil général a pris son autonomie, et certains conseillers généraux de Montpellier se rangent derrière lui plutôt que derrière Frêche. Ce dernier n’est plus maire, et même s’il règne encore numériquement sur le conseil municipal, certains anticipent l’émancipation d’Hélène Mandroux.

Et puis il y a le verbe. L’arme de Georges Frêche. Le verbe qui roule, captive, assassine et bannit. Le verbe qui s’émancipe de son locuteur, le verbe qui dérape. Le doute s’insinue chez les supporters. La peur que Frêche devienne sa propre machine à perdre. Et que toutes et tous finissent par perdre.

Six ans plus tard, la loyauté à la mémoire frêchiste n’est plus qu’une rhétorique. Hormis dans les phases de congrès, et leurs motions à géométrie variable, il n’y a jamais eu de véritables débats internes dans cette fédération. Et le clientélisme a été la règle. « Quand vous avez des pratiques vieilles de vingt ans, ce ne sont pas deux ans de mise sous tutelle qui vont tout changer », dit l’actuel 1er fédéral.

Vers qui vont aujourd’hui les anciennes fidélités ? Comment les militants fonctionnaires territoriaux se repositionnent-ils ? Et les anciennes clientèles ? Qui maîtrisent encore les cartes ? Quels sont les adhérents qui sont rescapés des très opaques toilettages de fichiers ? Pour la première fois depuis trente ans, le parti socialiste montpelliérain vit dans une zone d’incertitude élargie, une « conjoncture fluide », dans laquelle les repères s’effacent. Et dans cette conjoncture fluide, le Parti Socialiste n’est pas le seul touché. Toutes les forces politiques montpelliéraines sont affectées par cette perte des « contraintes habituelles », par cette « période d’interdépendance tactique élargie »5.

Et cette crise politique n’en est qu’à son début. La compétition interne au Parti socialiste, même élargie aux candidats ne participant pas à la primaire, ne mettra pas fin à cette période d’incertitude. L’électorat lui-même en sera le prochain théâtre. (suite au prochain numéro, donc).

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Illustration : une image du très beau film d’Yves Jeuland, Le Président. ©2010, la Générale de Production

 


  1. Celles et ceux que cette histoire intéresse au point de la creuser pourront se reporter en premier lieu sur les travaux d’Olivier Dedieu, notamment Les notables en Campagne : luttes et pouvoirs dans la fédération socialiste de l’Hérault  

  2. Un secrétaire de section m’a ainsi un jour avoué qu’il avait voté à ma place pour ne pas qu’on voit que je m’étais abstenu de voter pour l’unique candidat à l’investiture. 

  3. L’élection de la première secrétaire nationale se jouera cette année-là à 110 voix près 

  4. 233000 adhérents en 2008, pour 44 millions d’électeurs. 

  5. Une conjoncture fluide, pour reprendre les mots de Michel Dobry : Sociologie des crises politiquesUn aperçu de cette littérature que j’admets être aride.