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De quoi ?

Avant que l’Acanthe n’explose

Ce que tu vois sur cette photo, c’est une fleur d’Acanthe. Une acanthus mollis parce que ses feuilles sont aussi molles que larges. Ce sont ces feuilles qui ornent les colonnes corinthiennes qui font la joie des amateurs de vestiges romains.
Dans quelques jours, cette fleur, comme un millier d’autres fleurs d’Acanthe, va atteindre sa maturité, exploser, et disperser des graines dans un rayon de 10 mètres dans le Jardin de la Reine.
L’Acanthe, c’est beau, mais ça envahit. Et comme toutes les plantes invasives, elle a besoin d’être jugulée pour ne pas nuire à la biodiversité.
Pour profiter pleinement de la floraison des acanthes, le Jardin de la Reine sera ouvert à toutes et à tous samedi 16 mai. Les bénévoles de l’association ont un gros chantier de nettoyage, et ils accueilleront les visiteurs, comme lors de chacune de ces journées depuis que l’association de sauvegarde s’est vu confier la gestion du Jardin de la Reine par la ville de Montpellier, il y a un peu plus d’un an.
Venez, profitez de ce lieu magique. Et des magnifiques fleurs de l’Acanthe molle, dite aussi acanthe de Montpellier.
Parce qu’ensuite, on coupera beaucoup de fleurs, pour alléger notre travail de l’an prochain.
À samedi. N’hésitez pas à venir avec du ravitaillement pour nos forces vives.

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De quoi ?

À vos casques ! (du glaive, du bouclier, et du danger de l’histoire mal assimilée)

Cher Jean-Christophe,

Il y a longtemps, nous fûmes plutôt plus proches que peuvent l’être un patron et son employé, et je garde de cette période un souvenir marchaisien : globalement positif. Mais comme le dit le proverbe : qui aime bien châtie bien.
Tu viens d’utiliser une métaphore assez étonnante pour expliquer aux béotiens que nous sommes en quoi François Hollande était un bon président, et Manuel Valls un bon premier ministre. Tu as dit :
« François Hollande est un bouclier pour les Français et Manuel Valls est un glaive dans les réformes. Il coupe, il avance »

Le glaive et le bouclier. Ce couple nous vient de loin. Dans l’Antiquité latine, le vaincu déposait glaive et bouclier en signe d’acceptation de la défaite. L’expression est ainsi passée dans les métaphores courantes, et un grand auteur de polar américain en a fait le titre d’un de ses très beaux livres.
Mais tu ne nous parles pas de déposer les armes, ou alors, je n’ai pas compris.
Tu nous parles du bouclier protecteur et du glaive tranchant. Et ceci vient d’ailleurs que des Gaulois et des Romains chers à Uderzo et Goscinny.
Ce à quoi tu fais référence, c’est à la théorie du glaive et du bouclier, une théorie née en 1939, puis ressortie en 1954 pour réhabiliter Pétain. Une théorie qui faisait du couple Pétain – De Gaulle un binôme concerté pour protéger la France et les Français : Pétain était le Bouclier qui, en simulant une politique de collaboration, limitait les effets de la défaite et de l’occupation en attendant que De Gaulle, le Glaive, soit assez fort pour vaincre l’Allemagne nazie.

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Cette théorie vaseuse, infirmée tant par les faits que par les historiens sérieux, est le fruit de Robert Aron1, un intellectuel personnaliste en vogue dans les années 30, qui pensait que la France entrait en crise de civilisation et que seul un renouveau spirituel pourrait la sortir de l’ornière.
Cette théorie du Glaive et du Bouclier prend d’ailleurs racine dans la Chrétienté profonde. Dans le Livre des Rois de l’Ancien Testament, le Glaive, c’est à la fois l’Évangile et la Parole de Dieu, et celui qui la porte : le Christ. Le Bouclier, c’est la Foi. Il manque ici le Casque, qui est l’Espérance, mais j’y reviendrai.
Cette théorie du glaive et du bouclier, celle d’un Pétain qui résistait en secret, et d’un De Gaulle qui était la partie immergée de l’iceberg, a été battue en brèche par De Gaulle, mais également par tous les historiens sérieux de la Seconde Guerre mondiale. Robert O. Paxton est le premier à réfuter la théorie de Robert Aron, parce qu’il a accès à la documentation nazie qui établit les preuves de complaisance de Pétain, et son empressement à satisfaire, et parfois devancer les demandes nazies.

Michel Winnock et Jean-Pierre Azéma, qui ont traduit et prolongé l’œuvre de l’américain Paxton, doivent bien halluciner aujourd’hui de te voir emprunter cette théorie pétainiste pour justifier de ton soutien au couple exécutif.

Car, au fond, qu’es-tu en train de nous dire ? Que le Maréchal François Hollande est le bouclier face à quoi ? Qu’il fait semblant de faire une politique qu’il habille d’un verbe social pendant que le Général Manuel Valls « Le Glaive » mène les vraies réformes libérales ?
Ou le contraire ? Que François le Bouclier fait semblant de collaborer avec la finance mondiale pendant que Manuel le Glaive pourfend le capitalisme de son acier tranchant ?
On y perd son latin. La seule chose que je comprends, c’est que tu te fourvoies totalement dans la reprise de cette métaphore christiano-pétainiste. To-ta-le-ment.
Moi, je vais reprendre mon casque pastèque, parce que je voudrais que l’espérance continue de vivre, pendant que le parti qui a fait la gauche des quarante dernières années continue de mourir à petit feu.

Amitiés, hé !

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Illustration : L’ange au glaive et l’ange au bouclier protègent le Christ de l’Enfer. Tympan de l’abbatiale de Conques (chère à mon cœur). Source.


  1. Histoire de Vichy, Robert Aron et Georgette Elgey, Paris Fayard, 1954 

De quoi ?, Recyclage

Cuisine-fusion dans les régions

À quelle sauce seront mangées les politiques culturelles ?

Tout le monde en parle. De quoi ? De la fusion des régions. 
Ce fut le jeu du printemps dans les gazettes : « Dessine toi-même la nouvelle carte des régions ». Combien ? 15 ? 10? 12 grandes régions ?
Puis vint la proposition du gouvernement : Languedoc-Roussillon fusionnerait avec Midi-Pyrénées. Émoi, effroi, joie, toute la palette des émotions fut mobilisée par les ténors politiques. Pour le grand public, une seule question vaut qu’on s’y intéresse : qu’est-ce que ça va changer ? Et pour ce qui me concerne, qu’est-ce que ça va changer pour la culture ? 
Alors partons à la recherche de la fusion, de ses conséquences possibles, et de ce que fusion veut dire.

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Le calamar au lard de Fabrice Biasolo à Astaffort, le pigeon rôti sauce tamarin d’Heimana-Yi à Montpellier : la cuisine-fusion régionale comme on l’aime.

« Les régions pourront proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, le gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions ».
Voilà ce que déclarait le 1er ministre Manuel Valls en avril dernier. Immédiatement, on a parlé de « big bang territorial ». C’est que la fusion des régions est la pointe émergée de l’iceberg. Derrière se profile la fin des départements, et la « fusion » de leurs compétences actuelles dans celles des régions ou des intercommunalités. Et pour ces dernières, le regroupement ou le renforcement dans des « métropoles », pour ce qui est des espaces urbains, et dans des communautés de communes renforcées pour ce qui est… du reste du territoire. Bref, de la fusion à plusieurs étages.
En amoureux des belles lettres, on est donc allé chercher ce que le trésor de la langue française cachait derrière le mot fusion.

La fusion, ou comment rendre tout plus fluide

Fusion. Substantif féminin. Au sens actif. Opération qui consiste à liquéfier un corps solide sous l’effet de la chaleur.

Société bloquée, millefeuille administratif, simplification, autant de mots forts qui jalonnent la pensée réformatrice depuis plusieurs décennies. « On » n’y comprendrait rien, nous, les citoyens lambda. Et les politiques, à peine plus. Il faut donc simplifier, rendre plus fluide. Fusionner.
Pour fusionner, il faut donc d’abord chauffer, liquéfier, pour que ça se mélange bien et que ça ne fasse plus qu’un une fois refroidit.
Pour ce qui est de l’échauffement, le gouvernement a gagné son premier pari. Ça s’échauffe fort. Entre les régions qui veulent, et celles qui ne veulent pas, les départements qui hurlent, les communes qui craignent l’absorption par les métropoles, le rural qui craint de disparaître derrière la ville, le paysage régional est chaud. Chaud bouillant. On le sait, le défunt président de la région Languedoc-Roussillon s’est dressé vent debout contre l’idée d’une fusion de la région avec Midi-Pyrénées (et avec n’importe quelle autre). Du côté du Capitole, le président de la région Midi-Pyrénées s’est déclaré ouvert à toutes les discussions. Cela a suffi à faire craindre que le « riche » midi-pyrénéen veuille avaler avec gourmandise le « pauvre » languedocien. Résultat : tout le monde en parle, mais personne ne veut en parler. D’un côté comme de l’autre, très peu d’acteurs institutionnels ont accepté de répondre à nos questions sur le devenir de prochaines politiques culturelles régionales. Et ceux qui ont accepté ne l’ont fait que sous la garantie du sacro-saint « off ». Tout est bouillant, mais pour le moment, rien ne coule facilement, surtout pas la parole. Liquéfaction et fluidité ne sont pas à l’ordre du jour.
L’enjeu est pourtant de taille pour les politiques culturelles régionales. Les collectivités locales apportent plus de 80% des financements publics de la culture, lesquels financements publics représentent au bas mot 60% de l’ensemble des budgets artistiques et culturels en région.

Dans cet apport public, les conseils régionaux apportent un quart des fonds territoriaux, les départements un autre quart, et les communes et leurs regroupements (notamment les communautés d’agglomération), la moitié restante. Fusionner les régions, faire disparaître les départements, renforcer les métropoles, tout ça ne sera donc pas sans incidence sur le tissu culturel des territoires.

La fusion, ou concentrer pour être plus fort

Fusion. Économie : Opération juridique consistant à regrouper plusieurs sociétés en une seule. Synon. concentration.

Au chapitre des arguments qui se veulent rassurants, la fusion devra permettre d’avoir des régions plus fortes. À l’instar des länders allemands ou des communautés autonomes espagnoles, nos futures régions atteindront donc cette taille critique qui ferait d’elles les moteurs du pays. Mais de quoi parle-t-on ici ? De surface ? Du côté de Midi-Pyrénées, on a déjà coutume de dire que la région est la plus étendue de France. Avec ses 45 348 km2, Midi-Py est plus vaste que le Danemark (43 000 km2). Fusionnées, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon représenteraient un territoire de 72 724 km2, pour une population de 5,6 millions d’habitants. Plus vaste et plus peuplé que l’Irlande (70 273 km2 pour 4,7 millions d’irlandais). On s’étonne que les élites sudistes du ballon ovale n’aient pas déjà réclamé leur place à part dans un futur tournoi des 7 nations !
 Ou que l’Occitanie du Grand Sud, finalement (et sans que l’on ait apparemment rien demandé à ses ardents défenseurs) se retrouve au centre des débats, et en quelque sorte régénérée après des siècles d’Histoire commune.

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La nouvelle région sera plus grande que l’Irlande. Ses principales villes seront sur le littoral.

Ainsi retaillée, la nouvelle région se positionnerait dans le haut du tableau européen pour la superficie et la population. L’équivalent des communautés autonomes de Madrid ou de Castilla-la-Mancha, des länders de la Hesse ou de la Bavière, plus grande que le Piémont et la Lombardie réunies !
 Mais la comparaison s’arrête là. Fusionnés, les deux budgets des conseils régionaux monteraient péniblement à 3 milliards d’euros annuels, quand la Hesse ou Madrid disposent de plus de 20 milliards par an. Même en intégrant à la future région l’intégralité des budgets des 13 départements appelés à disparaître, « Languedoc-Pyrénées » atteindrait 12 milliards d’euros de budget annuel. La moitié seulement du budget des consœurs européennes citées en exemple et en comparaison. La moitié de leur PIB régional, aussi. 140 milliards de richesses créées contre 210 à 240 dans les régions européennes similaires.
Et un ensemble vaste. 550 km du point le plus au sud-ouest (Cauterêts) au point le plus au nord-est (Pont-Saint Esprit). 5 heures de route pour le traverser de part en part. Trop vaste pour beaucoup d’acteurs de la culture.
« J’ai déjà du mal avec mes missions régionales actuelles », déclare Phillipe Saunier-Borel, codirecteur du Centre National des Arts de la Rue d’Encausse-les-Thermes, en Haute-Garonne. « Ça marche bien avec le réseau Sud. Mais irriguer le nord de la région depuis ma position est déjà plus compliqué. Alors imaginer aller à Perpignan, en Lozère, ou en Camargue, c’est inenvisageable ». Pour le patron de ce lieu labellisé par l’État, hors de question d’agrandir son territoire déjà trop vaste. « Il faudrait de toute façon deux CNAR sur ce territoire ».
On est loin du discours sur les économies qu’une telle fusion générerait. D’ailleurs, aucun expert ne s’accorde sur ces économies possibles. Le seul point dans lequel tout le monde voit bien où l’État gagnerait à une réorganisation, ce sont ses propres services.
Ainsi apprenait-on début juillet que le chantier de la réforme territoriale de l’État était relancé, sous la triple autorité des ministères de l’Intérieur, de la Décentralisation, et du secrétariat à la réforme de l’État. « À l’échelon régional, l’État se concentrera sur son positionnement stratégique. Son organisation coïncidera avec les 14 futures grandes régions », indique le communiqué diffusé à l’issue du conseil des ministres du 2 juillet dernier. 
Pour parler clairement, il n’y aura plus qu’une seule DRAC pour la future grande région. Personne ne sait encore si cela signifie un seul conseiller théâtre au lieu de deux, un seul conseiller cinéma au lieu de deux, etc. Mais chacun suppute que là est le principal champ d’économie d’un État culturel déjà décrit comme fortement malmené.

La fusion, ou le mélange des intimités

Au figuré. Combinaison, mélange intime de plusieurs éléments.

Fusionner implique « un mélange intime de plusieurs éléments ». Rien ne sert de chauffer les corps, de liquéfier les états, de concentrer les essences, si c’est pour se retrouver avec le même point de départ. « La totalité est plus que la somme des parties », nous disait Aristote.
Pour fusionner, il faut donc se connaître l’un l’autre. On n’écartera donc pas complètement l’idée d’une fusion amoureuse, pour s’attarder d’abord sur le fantasme. « Le vrai risque, c’est de se faire avaler par une région plus riche », nous dit Frédéric Michelet, de la fédération LR des arts de la rue. Pourtant, la supposée richesse du géant midi-pyrénéen reste du domaine du fantasme, en tout cas pour l’échelon régional. Les budgets des deux conseils régionaux sont similaires : 1,5 milliard d’euros. Et côté politiques culturelles, on affiche un budget régional de 30 M€ du côté Midi-Pyrénées, contre 40 M€ côté Languedoc-Roussillon. Le plus gros n’est pas celui qu’on croit.
 Le secteur des arts de la rue, depuis longtemps organisé en fédérations régionales pour défendre ses intérêts, veut entamer rapidement sa propre fusion, en construisant une nouvelle fédération. « Être les premiers interlocuteurs pertinents à l’échelle des nouveaux pouvoirs est un enjeu important pour nous » poursuit Frédéric Michelet.

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Pour ce qui est de la fusion des logos, ça ne devrait pas être trop difficile.
Pour les autres secteurs, le chemin sera plus long. Peu sont déjà organisés à l’échelle de leur propre région. Quant aux agences régionales auxquelles État et régions confèrent généralement des délégations, leur paysage est loin d’être unifié. Le secteur littéraire, seul à disposer de structures similaires de part et d’autre des frontières actuelles, commence à discuter à l’échelle des techniciens. Mais le calendrier est encore très flou. Les discussions vont bon train dans la navette entre le Sénat et l’Assemblée Nationale. La date du prochain scrutin régional n’est toujours pas connue avec certitude. Mars 2015 ? Novembre 2015 ? Enfin, la suppression des conseils généraux pourrait obliger à une périlleuse révision constitutionnelle, que l’exécutif redoute.
En région Languedoc-Roussillon, le décès de Christian Bourquin, farouche opposant à la fusion, pourrait changer la donne. Mais il est trop tôt pour le dire. On comprend dès lors que les discussions entre techniciens de la culture ne soient pas toutes urgentes.

D’autant que dans la plupart des secteurs culturels, les structures sont construites sur des bases différentes, et certains domaines culturels n’ont pas d’outils équivalents dans l’une ou l’autre des deux régions. Chacun entend par conséquent pousser son avantage pour s’imposer comme le chef de file du futur territoire. Au risque de la fusion nucléaire. Einstein ne contredisait-il pas Aristote en déclarant que « la masse d’un atome est toujours inférieure à la masse de ses constituants » ?

(Cet article est paru sous une forme équivalente dans le numéro 55 du magazine Let’s Motiv)

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De quoi ?

Reconstruire une passerelle entre l’histoire et le présent

Un lien historique s’est rompu, la passerelle du Jardin de la Reine n’est plus.

Dans la nuit du 15 au 16 juillet, les services de la ville ont fait procéder à l’enlèvement de la passerelle du Faubourg Saint Jaumes, qui reliait historiquement le Jardin des Plantes et le Jardin de la Reine, par le bâtiment de la « Vieille Intendance ».

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Outre l’état délabré et dangereux de la passerelle, cette décision est, paradoxalement, la conséquence de la première victoire de l’association de sauvegarde du Jardin de la Reine et de la vieille Intendance. En faisant racheter le Jardin de la Reine par la ville de Montpellier, la mobilisation citoyenne a conduit l’administration des domaines, en charge de vendre les deux biens de l’État, à scinder ce qui n’était qu’un seul lot, et à imposer à l’acheteur du Jardin l’enlèvement de la passerelle qui les reliait.

Parce que le bâtiment de la vieille Intendance est toujours en vente. L’État n’a pas abandonné l’idée de brader ce patrimoine historique.

Pourtant, ce bâtiment est d’une importance patrimoniale claire pour la ville et l’université. Il est, historiquement, le bâtiment de direction du Jardin des Plantes, le plus ancien jardin botanique de France, le lieu où tant d’innovations médicales et botaniques ont pu voir le jour, et faire de Montpellier une grande ville universitaire, et une grande place de l’histoire de la médecine.

La passerelle symbolisait le lien entre les deux parties de ce qui n’était qu’un même ensemble durant des siècles, en même temps qu’elle reliait deux jardins aux ambitions différentes, le Jardin des Plantes, lieu de recherche médicale et botanique, et le Jardin de la Reine, lieu d’expérimentation pour les fondateurs du Jardin des Plantes. C’est là que Richer de Belleval a conçu sa première « montagne » artificielle, testant la possibilité d’un écosystème équilibré et productif, fondant les principes de ce que l’on appellera des siècles plus tard l’agroécologie, l’agroforesterie, la permaculture, disciplines redécouvertes notamment dans le pôle agronomique montpelliérain, l’un des plus importants pôles de recherche mondiaux en agronomie, l’un des fers de lance de l’économie montpelliéraine actuelle.

La passerelle, lien symbolique, était aussi un pont entre l’histoire de la recherche montpelliéraine, son présent, et son avenir.

L’association de sauvegarde du Jardin de la Reine mettra tout en œuvre pour que le bâtiment de la Vieille Intendance ne soit pas vendu à des investisseurs privés, mais reste dans le giron public. Elle travaille à convaincre les collectivités et les universités de la pertinence d’un projet de réhabilitation qui conserve le périmètre historique du Jardin des Plantes, et qui soit le lieu où s’articule la recherche, la pédagogie, et la sensibilisation du public le plus large sur le colossal patrimoine montpelliérain en matière de recherche botanique et médicale, et son importance capitale pour l’avenir de la ville comme de la science. Ce bâtiment est au cœur de l’histoire de la Ville et de son identité.

L’association lancera en septembre une initiative citoyenne pour sauver la « Vieille Intendance ». Et lorsque nous aurons gagné ce combat, nous ferons reconstruire la passerelle. Promis.

La passerelle avant et après

 Rue du Faubourg Saint Jaumes, avant et après l’enlèvement de la passerelle.

Ça s'écoute, De quoi ?

On peut vous faire de la place si vous voulez nous rejoindre

Quatrième volet de ces petites mémoires sonores consacrées au mouvement des intermittents. Et dernier concernant Montpellier Danse. Je verrais ce que je fais avec Radio France…
Un machin sonore, ça s’écoute. Donc, clique :

Dimanche, 6 juillet. Encore une fois, les intermittents en lutte se retrouvent devant Montpellier Danse. Une semaine vient de s’écouler, chargée de grève, et de déplacements en Avignon. L’œil des médias s’est tourné vers la cité des papes. Le cœur de la lutte s’est déplacé, et ici, à Montpellier, le mouvement se cherche un nouveau souffle. Et de nouvelles formes d’intervention.

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Extraits sonores : The Revolution will not be televised. Cover de l’intemporel Gil Scott-Heron par Dana Bryant, Giant Steps Volume One, 1993.

Retrouver les autres volets :

La violence du silence par intermittence

L’Agora hors les murs

Salle pleine, rien ne se vide

Ça s'écoute, De quoi ?

Salle pleine, rien ne se vide

Mercredi 25 juin. Ce soir, Montpellier danse. Les personnels hier en grève ont décidé de laisser jouer Empty Moves, la pièce d’Anjelin Prejlocaj, tout comme le mouvement unitaire des intermittents. Ils sont là, pour autant, les artistes et techniciens en lutte. Sur le parvis du Couvent des Ursulines, ils discutent, distribuent des tracts, proposent au public présent de s’afficher comme spectateurs solidaires.

Pause avant la tempête. La salle se remplit, le mouvement se ressource. Après La violence du silence par intermittence, et l’agora hors les murs, troisième volet de cette restitution sonore du conflit des intermittents. Ça s’écoute, donc.

Clique :

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Extraits sonores : Empty Page, Sonic Youth, Murray Street. Empty Words Part 3, John Cage.

Ça s'écoute, De quoi ?

L’Agora hors les murs

Après deux jours d’actions dures, parfois confuses, de blocage partiel des spectacles, les grilles du festival sont closes. Ce soir, Montpellier Danse ne joue pas. Une partie du personnel est en grève, le spectacle ne peut avoir lieu. Chez les intermittents en lutte, l’heure est au soulagement. Les soirées de blocage ont été éprouvantes, et menaçaient de s’envenimer. Le mouvement se radicalise, et nombreux sont ceux qui redoutent désormais les débordements. Tandis que quelques autres les espèrent. Ce soir, l’heure n’est donc plus au silence, mais au dialogue avec le public.

Colères, doutes, radicalisation, dialogue. Après La violence du Silence par intermittence, deuxième volet de cette restitution sonore du conflit des intermittents. Ça s’écoute, donc.
Clique : 

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Crédits photo : CIP-LR.

Extraits sonores : Talk To Me, Tricky, Angels with Dirty Faces, 1988.

Ça s'écoute, De quoi ?

La violence du silence par intermittence

Le conflit des intermittents est un conflit très fort. Et très illustratif de la profonde crise dans laquelle nous avons plongé.
C’est un conflit difficile, car il met en jeu du sens, au delà d’une lutte que peu de gens comprennent, finalement. Et qui pose de constantes questions sur les modalités de la lutte, pour celles et ceux-mêmes qui y sont engagées. Retour sonore sur une action silencieuse. (Ça s’écoute, donc).

Alors clique :

 La suite de cette chronique sonore : L’Agora hors les murs

Montpellier, dimanche 22 juin. Depuis plusieurs semaines, la ville est l’un des principaux foyers du conflit entre les intermittents et le gouvernement. C’est que Montpellier compte de nombreux festivals, dont certains démarrent la saison nationale ou européenne. C’est le cas du Printemps des comédiens, en grève depuis début juin. Mais ce dimanche 22 juin démarre Montpellier Danse, l’un des plus importants festivals de danse européens. Et depuis les déclarations du premier ministre de jeudi dernier, annonçant l’agrément de l’accord et la mise en différé de son application pour ce qui est des articles organisant l’intermittence, le mouvement glisse vers une radicalisation. Et la plupart des intermittents mobilisés considèrent Montpellier Danse comme une très importante caisse de résonance…

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(photo ciplr)

Après l’action silencieuse, la parole se libère dans l’AG improvisée, place Candolle.

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Extraits sonores : Enjoy the silence, Tori Amos, Strange Little Girls, 2001, Silence, Portishead, Third, 2008.

De qui ?, De quoi ?

Les ritals

J’ai grandi en partie dans les Alpes, au cœur de ce qui fut le royaume de Savoie. L’Italie, quoi.
Ma Savoie à moi, elle n’était plus du tout italienne. Elle était grise, pleine d’usines qui fument et qui puent. Et elle était pleine de ritals. Des ritals de longue lignée, devenus « savoyards », avec des noms qui finissaient en « z », parce qu’ils avaient enlevé les deux dernières lettres pour se franciser. Carraz, s’appelait ma grand-mère. Carrazzi, s’appelait son grand-père.
Et à côté de ces italiens francisés depuis plus d’un siècle, il y avait les autres italiens, immigrés de la première ou de la deuxième génération, qui avaient passés la frontière du Mont-Cenis pour chercher du boulot. Les « ritals », les « vrais », qui avaient gardé leur nom en « i » ou en « o ». Les savoyards les appelaient « ritals ». Parfois même « macaronis ». C’était un étrange racisme, puisqu’il ne s’adressait pas à l’autre, mais au « même ». C’est avec la montée du fascisme et la guerre que les « ritals » sont devenus « autres » pour les savoyards. C’était, paradoxalement, une manifestation de l’intégration républicaine des savoyards. Et en Maurienne, où les maquis résistants furent avant tout communistes, l’opposition entre les italiens « fascistes » et les mauriennais « communistes » fut parfois forte. On lisait ainsi dans les années trente, dans la Croix de Savoie, ce genre de sentence :

L’italien est un « mauvais client, un voisin désagréable, et un véritable pillard. L’Italien ne travaille que quelques jours par semaine puis il s’enivre. Des immondices jonchent le sol devant leurs maisons. L’ouvrier italien souille de sang notre ville en utilisant son couteau, il est illettré et sa vie se rapproche de la vie animale. »1.

Quand j’étais ado,les plus racistes, c’étaient souvent les ritals. Ils avaient pour beaucoup quitté les usines de la vallée. Ils étaient artisans, perchman, moniteurs de ski. Ils pensaient surtout à virer les « bougnoules » qui venaient de Chambéry « piquer le boulot » qu’ils ne voulaient plus faire. Et moi, je les trouvais cons, ces « ritals ». Et puis un jour, j’avais douze ou treize ans, j’ai lu l’un des plus grands livres de littérature populaire qu’il m’ait été donné d’ouvrir, et j’ai compris qui ils étaient, ces « ritals ». Et d’où venait une partie de mes racines. C’était le livre de François Cavanna, Les ritals. Extrait :

«Mon cousin Silvio, Silvio Nardelli – avoir un cousin de plus de quarante ans, ça me fait drôle -, qui a travaillé en Angleterre, même que les maçons, là-bas, ça l’a soufflé, ils travaillent en chapeau melon, avec le col dur et la cravate, pour le reste ils sont habillés en maçons, grande blouse blanche, pantalon de velours serré aux chevilles et ceinture rouge, mais chapeau melon sur la tête et cravate, il en est pas encore revenu, Silvio, et attention, faut pas les bousculer, qu’il dit, ils aiment pas travailler avec des Ritals parce que les Ritals foncent comme des dingues, ils sont payés à la tâche, alors, fais-leur confiance, à chaque truellée de plâtre qu’il écrase sur le mur le Rital entend tomber les centimes dans le bocal au fond de l’armoire, mais les Anglais, impassibles, pas un geste plus vite que l’autre, le syndicat permettrait pas. Oui, Silvio raconte, quand tu arrives en Angleterre, que tu te présentes au bureau pour la carte de travail, le fonctionnaire te demande : « Italian ? » « Yes. » « De quelle région ? » Tu dis de quelle région. Au milieu de la carte, juste à la hauteur de Florence, il y a un gros trait rouge rajouté à  la main, un gros trait qui coupe l’Italie en deux, en bas il y a le Sud, le pied de la botte, en haut il y a le Nord. Le fonctionnaire cherche ton patelin sur la carte. Il met le doigt dessus. Si c’est plus haut que le trait rouge, ça va, il te fait ta carte de travail. Si ça tombe en dessous du trait, il te dit « sorry, sir, nous avons atteint le quota, pas de carte de travail, il faut return to Italy ». Silvio est tout fier de raconter ça, et les autres sont contents aussi, ils se marrent. Il y en a toujours un pour dire sentencieusement : « L’Italien del Norde, il vient en Franche fare le machon. L’Italien del Soud, il va en Amérique fare le ganchetère. Ecco. » Le Sud, c’est pas l’Italie, Rome, à la rigueur, bon, il y a le pape, il y a le roi… Quoique, ces deux-là, ils auraient pu se donner la peine de monter un poil plus haut, jusqu’à Milan, par exemple. Mais encore plus bas, c’est chez les Marocains. Les Ritals crachent de mépris tout en jetant un oeil par-dessus l’épaule, des fois qu’un Napolitain serait là, juste derrière, avec son couteau. « Si que zé sarais oun Napolitain, z’arais tellement vonte que zé sortirais zamais dans la roue, zamais ! »»

De ce jour, j’ai arrêté de les trouver cons par principe, les « ritals ». Et c’était un pas vers moins de connerie pour moi, et pour tous. Non seulement l’œuvre de Cavanna est belle, non seulement il est un grand écrivain, mais il a beaucoup fait pour faire reculer la connerie.

Ciao, Cesco. Je suis content que tu te sois délivré de cette « saloperie infâme »2

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  1. Cité par François Forray, dans son discours d’entrée à l’académie de Savoie 

  2. lire ici la belle interview de François Cavanna pour Libération, en 2011   

De quoi ?

Les arbres invisibles du Parc Emmanuel Roblès

Au bout de la rue de la République, juste avant d’arriver à la gare, à gauche en descendant, il y a un parc.
Pour de nombreux montpelliérains, à cet endroit là, il n’y a eu longtemps qu’une grande barrière de chantier en tôle, derrière laquelle on devine des cimes d’arbres. Depuis peu, la barrière de chantier a été remplacée par des palissades peintes aux couleurs du futur lieu d’art contemporain montpelliérain, le MoCo.

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De l’autre côté de cette barrière, il y a un parc public inauguré en mars 2004, voulu par les écologistes membres de la majorité municipale de l’époque. Il est baptisé du nom d’Emmanuel Roblès, ce romancier qui a longuement décrit les jardins d’Alger. Et il n’est pas que baptisé, il est aussi une évocation du Jardin d’Essai, l’un des plus beaux jardins algérois.
Depuis 2009, la Ville a fermé le parc Emmanuel Roblès au public pour permettre à l’Agglomération de Montpellier d’entreprendre les travaux d’installation de ce qui devait être le Musée de l’histoire de la France en Algérie, dans l’Hôtel Montcalm, situé au fond du jardin. Depuis, ce projet de musée est passé aux oubliettes, et le bâtiment accueillera donc le MoCo. Mais entretemps, le Parc Roblès n’a pas réouvert. L’agglomération, devenue propriétaire des 3300 m2 de verdure, a d’abord plaidé l’absence de sécurisation du bâtiment en travaux, alors que je les avais interpellé publiquement fin 2013.
Depuis, silence radio. Et l’on imagine sans peine que, depuis, le bâtiment a largement eu le temps d’être sécurisé.
Les arbres du Parc Roblès, ces arbres invisibles depuis presque 10 ans, poussent, et se déploient dans leur magnificence. Mais ils n’ont pas été plantés pour être cachés. Ni pour servir de cadre à des réceptions privatisées, comme cela a déjà été le cas ces dernières années.
Alors, qu’attend désormais la métropole pour rendre, sans plus attendre, ce magnifique parc aux Montpelliérains ?

RoblesIn

L’arbre invisible est le titre d’un (très beau) livre d’Emmanuel Robles.

Ce billet est la version réactualisée de celui paru le 13 décembre 2013.