francois

De qui ?, De quoi ?

Les ritals

J’ai grandi en partie dans les Alpes, au cœur de ce qui fut le royaume de Savoie. L’Italie, quoi.
Ma Savoie à moi, elle n’était plus du tout italienne. Elle était grise, pleine d’usines qui fument et qui puent. Et elle était pleine de ritals. Des ritals de longue lignée, devenus « savoyards », avec des noms qui finissaient en « z », parce qu’ils avaient enlevé les deux dernières lettres pour se franciser. Carraz, s’appelait ma grand-mère. Carrazzi, s’appelait son grand-père.
Et à côté de ces italiens francisés depuis plus d’un siècle, il y avait les autres italiens, immigrés de la première ou de la deuxième génération, qui avaient passés la frontière du Mont-Cenis pour chercher du boulot. Les « ritals », les « vrais », qui avaient gardé leur nom en « i » ou en « o ». Les savoyards les appelaient « ritals ». Parfois même « macaronis ». C’était un étrange racisme, puisqu’il ne s’adressait pas à l’autre, mais au « même ». C’est avec la montée du fascisme et la guerre que les « ritals » sont devenus « autres » pour les savoyards. C’était, paradoxalement, une manifestation de l’intégration républicaine des savoyards. Et en Maurienne, où les maquis résistants furent avant tout communistes, l’opposition entre les italiens « fascistes » et les mauriennais « communistes » fut parfois forte. On lisait ainsi dans les années trente, dans la Croix de Savoie, ce genre de sentence :

L’italien est un « mauvais client, un voisin désagréable, et un véritable pillard. L’Italien ne travaille que quelques jours par semaine puis il s’enivre. Des immondices jonchent le sol devant leurs maisons. L’ouvrier italien souille de sang notre ville en utilisant son couteau, il est illettré et sa vie se rapproche de la vie animale. »1.

Quand j’étais ado,les plus racistes, c’étaient souvent les ritals. Ils avaient pour beaucoup quitté les usines de la vallée. Ils étaient artisans, perchman, moniteurs de ski. Ils pensaient surtout à virer les « bougnoules » qui venaient de Chambéry « piquer le boulot » qu’ils ne voulaient plus faire. Et moi, je les trouvais cons, ces « ritals ». Et puis un jour, j’avais douze ou treize ans, j’ai lu l’un des plus grands livres de littérature populaire qu’il m’ait été donné d’ouvrir, et j’ai compris qui ils étaient, ces « ritals ». Et d’où venait une partie de mes racines. C’était le livre de François Cavanna, Les ritals. Extrait :

«Mon cousin Silvio, Silvio Nardelli – avoir un cousin de plus de quarante ans, ça me fait drôle -, qui a travaillé en Angleterre, même que les maçons, là-bas, ça l’a soufflé, ils travaillent en chapeau melon, avec le col dur et la cravate, pour le reste ils sont habillés en maçons, grande blouse blanche, pantalon de velours serré aux chevilles et ceinture rouge, mais chapeau melon sur la tête et cravate, il en est pas encore revenu, Silvio, et attention, faut pas les bousculer, qu’il dit, ils aiment pas travailler avec des Ritals parce que les Ritals foncent comme des dingues, ils sont payés à la tâche, alors, fais-leur confiance, à chaque truellée de plâtre qu’il écrase sur le mur le Rital entend tomber les centimes dans le bocal au fond de l’armoire, mais les Anglais, impassibles, pas un geste plus vite que l’autre, le syndicat permettrait pas. Oui, Silvio raconte, quand tu arrives en Angleterre, que tu te présentes au bureau pour la carte de travail, le fonctionnaire te demande : « Italian ? » « Yes. » « De quelle région ? » Tu dis de quelle région. Au milieu de la carte, juste à la hauteur de Florence, il y a un gros trait rouge rajouté à  la main, un gros trait qui coupe l’Italie en deux, en bas il y a le Sud, le pied de la botte, en haut il y a le Nord. Le fonctionnaire cherche ton patelin sur la carte. Il met le doigt dessus. Si c’est plus haut que le trait rouge, ça va, il te fait ta carte de travail. Si ça tombe en dessous du trait, il te dit « sorry, sir, nous avons atteint le quota, pas de carte de travail, il faut return to Italy ». Silvio est tout fier de raconter ça, et les autres sont contents aussi, ils se marrent. Il y en a toujours un pour dire sentencieusement : « L’Italien del Norde, il vient en Franche fare le machon. L’Italien del Soud, il va en Amérique fare le ganchetère. Ecco. » Le Sud, c’est pas l’Italie, Rome, à la rigueur, bon, il y a le pape, il y a le roi… Quoique, ces deux-là, ils auraient pu se donner la peine de monter un poil plus haut, jusqu’à Milan, par exemple. Mais encore plus bas, c’est chez les Marocains. Les Ritals crachent de mépris tout en jetant un oeil par-dessus l’épaule, des fois qu’un Napolitain serait là, juste derrière, avec son couteau. « Si que zé sarais oun Napolitain, z’arais tellement vonte que zé sortirais zamais dans la roue, zamais ! »»

De ce jour, j’ai arrêté de les trouver cons par principe, les « ritals ». Et c’était un pas vers moins de connerie pour moi, et pour tous. Non seulement l’œuvre de Cavanna est belle, non seulement il est un grand écrivain, mais il a beaucoup fait pour faire reculer la connerie.

Ciao, Cesco. Je suis content que tu te sois délivré de cette « saloperie infâme »2

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  1. Cité par François Forray, dans son discours d’entrée à l’académie de Savoie 

  2. lire ici la belle interview de François Cavanna pour Libération, en 2011   

De quoi ?

Les arbres invisibles du Parc Emmanuel Roblès

Au bout de la rue de la République, juste avant d’arriver à la gare, à gauche en descendant, il y a un parc.
Pour de nombreux montpelliérains, à cet endroit là, il n’y a eu longtemps qu’une grande barrière de chantier en tôle, derrière laquelle on devine des cimes d’arbres. Depuis peu, la barrière de chantier a été remplacée par des palissades peintes aux couleurs du futur lieu d’art contemporain montpelliérain, le MoCo.

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De l’autre côté de cette barrière, il y a un parc public inauguré en mars 2004, voulu par les écologistes membres de la majorité municipale de l’époque. Il est baptisé du nom d’Emmanuel Roblès, ce romancier qui a longuement décrit les jardins d’Alger. Et il n’est pas que baptisé, il est aussi une évocation du Jardin d’Essai, l’un des plus beaux jardins algérois.
Depuis 2009, la Ville a fermé le parc Emmanuel Roblès au public pour permettre à l’Agglomération de Montpellier d’entreprendre les travaux d’installation de ce qui devait être le Musée de l’histoire de la France en Algérie, dans l’Hôtel Montcalm, situé au fond du jardin. Depuis, ce projet de musée est passé aux oubliettes, et le bâtiment accueillera donc le MoCo. Mais entretemps, le Parc Roblès n’a pas réouvert. L’agglomération, devenue propriétaire des 3300 m2 de verdure, a d’abord plaidé l’absence de sécurisation du bâtiment en travaux, alors que je les avais interpellé publiquement fin 2013.
Depuis, silence radio. Et l’on imagine sans peine que, depuis, le bâtiment a largement eu le temps d’être sécurisé.
Les arbres du Parc Roblès, ces arbres invisibles depuis presque 10 ans, poussent, et se déploient dans leur magnificence. Mais ils n’ont pas été plantés pour être cachés. Ni pour servir de cadre à des réceptions privatisées, comme cela a déjà été le cas ces dernières années.
Alors, qu’attend désormais la métropole pour rendre, sans plus attendre, ce magnifique parc aux Montpelliérains ?

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L’arbre invisible est le titre d’un (très beau) livre d’Emmanuel Robles.

Ce billet est la version réactualisée de celui paru le 13 décembre 2013.

De quoi ?

Combien faut-il maîtriser d’électeurs pour remporter Montpellier ?

L’héritage Frêche. (épisode 2)

Combien faut-il maîtriser d’électeurs pour remporter Montpellier ? Je me suis posé la première fois cette question après les municipales de 1995, dans une tentative d’objectiver le système clientéliste que je découvrais en arrivant à Montpellier.

Ce qui m’avait mis la puce à l’oreille en 1995, c’était que Frêche avait réuni au premier tour 31 856 voix. C’était là son électorat « maîtrisé ». A l’époque, la population de Montpellier était de l’ordre de 220 000 hab. Et il y avait 116 449 électeurs inscrits.

J’avais fait en 1992 un DEA sur la socialisation politique des étudiants, en traitant notamment la question de leur inscription sur les listes électorales. À peine 1/3 étaient inscrits à Montpellier. Une partie n’était pas inscrite, et la majorité votait dans leur commune d’origine. Or, je savais que la mairie faisait un gros boulot en préparation du recensement pour que les étudiants soient majoritairement recensés à Montpellier. Se jouait là une concurrence entre grandes villes, et Frêche voulait grimper d’un ou deux rangs dans la hiérarchie (à l’époque, il pensait même que Montpellier allait dépasser Nantes).

Donc je m’étais interrogé sur ce fait : 51% de la population de la ville était électrice. Je savais que certaines grandes villes avaient des ratios très bas, et d’autres des ratios très hauts. Plus la ville était « jeune », plus le ratio était bas. Plus c’était une grande ville universitaire, plus le ratio était bas.

En 1995, sur les 20 plus grandes villes de France, deux avaient un ratio électeurs/population en dessous de 50% : Lyon et Strasbourg (49,5% et 49,9%). Montpellier arrivait juste après, avec 52,6%, comme Lille (ville où les questions sont d’ailleurs les mêmes,  Mauroy était élu avec une toute petite fraction de la population). Ensuite, ça montait très vite. 54,4% pour Toulouse, Bordeaux, Marseille, Grenoble, 58% pour Rennes, 62% pour Nantes, 67% pour Nice.

Ça pouvait se comprendre. Montpellier était une ville jeune et universitaire, avec, en sus, une très grosse mobilité géographique. Je me suis donc intéressé au fichier électoral. En présidant des bureaux de votes, je m’étais étonné du nombre de cartes électorales qui revenaient en NPAI. J’ai interrogé le service des élections, qui m’a confirmé ce que je pensais : sur 116 000 inscrits, plus de 15 000 cartes revenaient pour mauvaise adresse, et n’étaient pas distribuées le jour des scrutins. C’était une estimation volumétrique, ils ne comptaient pas vraiment. Mais il y avait des petits tas de 100 à 150 cartes NPAI pour chacun des 115 bureaux de vote de l’époque.

C’était certainement un effet des flux de populations. Au début des années 2000, les flux à l’intérieur de l’agglomération étaient tels, que l’INSEE calculait qu’entre 2001 et 2006, sur une population de 350 000 habitants, il y avait eu 75 000 arrivées et 71 000 départs. Soit un mouvement global de plus de 140 000 personnes sur l’agglo, dont la moitié affectant la ville centre. En d’autres termes, tous les 5 ans, la ville voyait sa population renouvelée à hauteur de 60 000 personnes, soit 1/4 de la population. Rien d’étonnant donc que le fichier électoral soit en constant bouleversement.

Mais ça voulait également dire, pour moi, que sur les 116 000 électeurs officiels, il n’y avait en réalité que 100 000 électeurs réels. Soit un ratio électeurs/population de moins de 45%. Ce qui expliquait également une abstention plutôt forte à Montpellier, avec une participation aux municipales en dessous de 60% du corps électoral.

Il en résultait qu’en 1995, en réunissant 31 856 voix au 1er tour des élections municipales, Frêche était assuré de sa réélection au second tour. Qu’il lui suffisait donc de maitriser 14% de la population de la ville pour assurer sa domination sur la ville ET l’agglo.

Je me suis donc intéressé aux modalités de cette maîtrise. Je n’ai là que des hypothèses, je n’ai jamais pu travailler à grande échelle. Mais je sais que :

  • Freche était tout a fait conscient de cela. Il ne cherchait pas à élargir sa base électorale. Fort de ce même calcul, il pouvait travailler à l’économie de moyens.
  • Maitriser 30 à 35 000 personnes était assez simple.

– Par l’emploi, d’abord. Qui n’a jamais vu Frêche en visite sur le territoire se faire alpaguer pour demander un emploi dans une des multiples officines du « pool mairie de Montpellier », comme il appelait alors l’ensemble des institutions sur lesquelles il avait un pouvoir direct ? Il employait directement ou indirectement à l’époque plusieurs milliers de personnes. La Ville et le district comptaient à eux deux 4 000 agents. Le CHU, qu’il présidait depuis plusieurs années, 8 500 agents non-médicaux dont 3 000 personnels administratifs et techniques. Ajoutons à ça les satellites : SERM, Enjoy, ACM, 600 personnes, et les gros prestataires (SMN Nicollin, 1000 personnes). Il pouvait donc influer assez directement sur l’emploi de 10 000 personnes.
– Le logement, ensuite. 30 000 personnes vivaient dans les 15 000 logements d’ACM à l’époque. À travers ACM, il pouvait fidéliser plusieurs milliers de familles,
– Les subventions, enfin. Dès 1987, il crée la commission Montpellier au Quotidien, qui réunit associations de quartiers, communautaires, etc. Plus de 300 associations en ligne directe avec la mairie, pour s’occuper des problèmes de voiries, de poubelles, de parcs et jardins, de locaux mis à dispositions, etc.

A travers ces 3 dispositifs, il était donc très simple de s’assurer que 35 000 personnes allaient bien aller voter le jour J. Ce qui est même étonnant, c’était qu’il n’y en ait pas plus.

Est-ce que les choses ont changé ensuite ?

En 2001, non. Le ratio électeur/habitant était descendu en dessous de 50%, à 49,6%. Au Municipales de 2001, les inscrits avaient baissé, passant de 117 000 à 111000, suite aux nouvelles procédures de révision et d’apurement des listes électorales. Le phénomène est sensible dans toutes les grandes villes, avec une chute de 0 à 4 points sur le ratio. Montpellier passe donc en dessous des 50%, elle est toujours 3° en partant de la fin devant Strasbourg et Lyon.

Le nombre de votants, lui, est également en diminution. 69 000 en 1995, 63000 en 2001. Au 1er tour, Frêche réunit 33 028 électeurs, contre 31 856 en 1995. En 6 ans, il a gagné 1 150 électeurs. La ville, elle, a gagné 10 000 habitants. Frêche maitrise toujours 14,5% de la population au 1er tour.

En 2004, une autre réforme intervient, c’est l’inscription automatique des jeunes de 18 ans après leur recensement en vue de la Journée Défense et Citoyenneté. Les listes de 2008 sont encore modifiées. Montpellier remonte dans la moyenne (basse) des grandes villes, avec 54,5% d’électeurs dans la population totale. La liste électorale fait un bon de 20 000 électeurs, pour se fixer à 137 182.  Au 1er tour des municipales de 2008, 72 000 électeurs se rendent aux urnes. Soit 28,6% de la population. C’est encore un peu bas pour une grande ville, leur moyenne tournant plutôt à 35%.

Et Hélène Mandroux est élue avec 36 343 voix au second tour. Soit… 14,4% de la population. Une stabilité non-démentie sur 15 ans.

Jusqu’en 2008, le système n’a pas changé. La vraie question est de savoir, maintenant, qui a gardé quoi dans l’héritage ?

L’héritage lui même a changé.

La maitrise de l’emploi, d’abord : 8600 personnels non médicaux au CHU, dont 2300 technico-administratifs. L’agglo a désormais un effectif de 1400 agents. La ville de 3000. TAM : 1000. Serm, ACM, Enjoy, et autres satellites : 600. Nicollin : toujours 1000. A ça s’ajoute, depuis la reprise du CG par Vezinhet, une partie des 5500 agents du CG34, ainsi qu’une partie des agents du Conseil régional et satellites : 3 500 agents. On a donc un volant d’emplois de l’ordre de 13 à 15 000. Tous ne se sentent pas redevables au leader, et certains n’ont pas besoin de ça pour être ses électeurs, la conviction leur suffit.

Les logements : ACM : 20 000 logements, 50 000 occupants. Les leviers se sont donc plutôt accrus, d’autant que, par rapport à 1995, il y a désormais les 4 émetteurs de subventions, Mairie, Agglomération, Conseil Général, Conseil Régional.

La liste électorale a continué de croitre.  141 542 électeurs aux dernières élections.François Hollande a fait 37 787 voix au 1er tour, avec seulement 22% d’abstentions et 109 000 votants, record historique. Lors des primaires du PS, 13528 personnes étaient venues voter à Montpellier. Au 1er tour des législatives, les candidats étiquettés PS ont réunis 28 932 voix sur la ville.

On reste, peu ou prou, dans la fourchette des 30 à 35 000 maitrisés par le système municipal, alors même que le corps électoral a considérablement changé, (pour rappel, 110 000 électeurs en 2001, 141000 en 2012, soit 27% d’augmentation).

J’ai du perdre une partie des lecteurs dans les chiffres. J’en suis conscient.

Et pourtant, toute la zone d’incertitude politique montpelliéraine est là, glissée dans ces nombres.

Qui, parmi ceux qui revendiquent l’héritage de Frêche, maîtrisent encore les réseaux ? Cela explique-t-il les dissidences, ou seulement les volontés parfois affichées de « sortir du système » ? Au sein de ces réseaux, quelles sont les proportions restantes de soutiens convaincus, de liens de loyauté toujours actifs et de fidélités caduques ?

Que feront les nouveaux électeurs ? Ceux qui ne sont pas encore insérés dans les réseaux locaux, dans la société locale ? Voteront-ils ? À quelle proportion ? Selon quelle logique ?

La fin de l’empire est toujours une période incertaine.

On peut en rire

Portée par l’allégorie, Ségo s’emmêle les pinceaux dans la pucelle

SRParisienMag

Dans le numéro du 25 octobre du Parisien Magazine,  Ségolène Royal pose en liberté guidant le peuple, et elle « entend déjà dire qu’elle se prend pour Jeanne d’Arc ». C’est ce que nous rapporte Le Lab E1.

Aïe. Ségolène entend déjà des voix, mais comment lui dire  ? « La liberté guidant le peuple », ce n’est pas précisément Jeanne d’Arc. Lorsque Delacroix a peint son célèbre tableau, ce n’est pas à la pucelle d’Orléans qu’il pensait. Il évoquait une toute autre femme, une figure féministe de la révolution française, Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt.

« Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage, / Excitant à l’assaut un peuple sans souliers, / La joue et l’œil en feu, jouant son personnage, / Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ? »

Je ne sais si vous connaissez Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. Une icone. La 1ère figure de Marianne. Celle-là, donc, à qui Baudelaire dédiait ces magnifiques vers, dans une fleur du mal intitulée Sisina.

La fraternelle du Poitou se prend donc pour Théroigne de Méricourt. Pour la première Marianne. Ségo se voit en allégorie.

Ségo, faut que je te le dise. Se prendre pour Théroigne de Méricourt, c’est dangereux.

Parce qu’avant et après la séquence icono-révolutionnaire, Anne-Josèphe, c’est un numéro.
Avant que la révolution n’éclate, Théroigne de Méricourt est connue pour ses mœurs libres, et ses revendications libertines, au point qu’elle prête son nom au « Catéchisme libertin à l’usage des filles de joie et des jeunes demoiselles qui se décident à embrasser cette profession ». Un ouvrage inspiré, que les curieuses et les curieux trouveront en accès libre sur la toile.

Mais c’est après les barricades que tout se gâte. « La belle liégeoise » devient « la furie girondine », tant et si bien qu’un soir de 1793, elle est prise à partie par des jacobines qui la rossent, la dénudent et la fouettent en public. Théroigne, que l’on dit déjà fragilisée par la culpabilité d’avoir fait massacrer Suleau un an auparavant, plonge dans la mélancolie, et son frère la fait interner à la Salpétrière. Ce qui la sauvera de la guillotine, mais pas de la folie. Elle vivra recluse 23 longues années, le plus souvent nue, s’aspergeant d’eau glacée pour se purifier.

Allez, bonne journée et toute ma fraternitude.

Ah oui, juste un dernier mot. Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt a eu beau finir folle, ce n’est pas à sa détresse que la Folie-Méricourt doit son nom. Na.

De quoi ?

Les cartes rebattues, ou la grande zone d’incertitude montpelliéraine

L’héritage Frêche 1/6

En ces temps de compétition interne au Parti Socialiste montpelliérain, la question de l’ « héritage » ne cesse d’être invoquée par les candidats, qu’ils soient en compétition dans la primaire interne ou dans une phase ultérieure. Et cette rhétorique n’est limitée ni aux frontières montpelliéraines, ni aux frontières partisanes. Qu’il soit revendiqué ou agité en épouvantail, invoqué pour s’en inspirer ou s’en départir, l’héritage reste omniprésent.

Mais de quoi parle-t-on ? La plupart du temps, il s’agit en réalité de ne pas invoquer l’héritage réel, mais son inspiration. Une supposée vision, un leadership, une capacité à faire ou à défaire, à batailler ou à tailler.

Pourtant ce qui se joue depuis des mois, et pour encore des mois, est tout autre. L’héritage dont il est question, mais dont on ne parle pas, n’est pas celui des idées ou des inspirations. C’est de l’héritage d’un système de pouvoir, dont on feint de ne pas parler.

Georges Frêche a construit sa domination politique et territoriale sur un système électoral, système dont la ville de Montpellier constitue le pilier sans lequel rien n’était possible.

Pour l’avoir observé, analysé, combattu durant de – très – longues années, je pense qu’il est plus que temps d’en faire le récit. De déconstruire le système, pour accéder ainsi à l’inventaire politique sans lequel rien ne changera.

Le parti, clé de voute du système

Pour asseoir sa domination sur la ville, G.F. a construit un système dont le parti socialiste est la pierre angulaire. Lieu de sélection, de filtrage, relais avec les autres systèmes de représentation.

Le parti socialiste montpelliérain n’est lui-même qu’un reflet de l’organisation sociale construite par Georges Frêche pour s’assurer la permanence du pouvoir sur la ville.

Mais sa maîtrise fut une nécessité dès le début du règne frêchiste. Dès le « coup d’État » raté de son premier adjoint Jean-Pierre Vignau, en 19791. Frêche va alors placer ses fidèles à la tête des sections montpelliéraines. Autant de sections que de cantons. Cette organisation cantonale n’a jamais été le reflet d’une priorité sur les objectifs départementaux. Des compétences départementales en milieu urbain, la plupart des militants n’en ont cure. Non, elle avait 3 grandes vertus. D’abord, empêcher toute discussion globale sur les politiques municipales. La section cantonale s’occupe de proximité. Le reste, c’est Frêche qui le gère, et il n’en discutait pas avec cette plèbe militante qu’il aimait tant caresser dans le sens du poil.  Jamais de réunions politiques qui les rassemblent pour évoquer des enjeux locaux, encore moins une coordination des sections montpelliéraines, ne serait-ce qu’une fois tous les 6 ans. Chacun vit et vote dans sa section. Cela permet une mise en concurrence sur les scores que chaque secrétaire de section amène à la fédération. « Combien tu pèses ? », c’est la grande question qui taraude le vassal à l’heure des comptes. Même lorsque Frêche était le seul candidat en lice à l’investiture, chacun avait à cœur de faire voter ses ouailles. Et de voter à leur place, s’il le fallait2. Enfin, dernière vertu de l’organisation cantonale, elle permit de rendre efficace une machine électorale aux visées annexes : faire élire un maximum de conseillers généraux urbains et frêchistes, de façon à « épurer » le Conseil général, bastion d’une résistance interne au PS.

Les sections montpelliéraines se sont donc développées, sous la houlette caporalisante de Robert Navarro. En 2008, le PS comptait ainsi 2355 adhérents avant le congrès national du PS (congrès de Reims). Et il y eut, lors de ce congrès, 1639 votants dans les sections montpelliéraines. Montpellier pèse alors à elle toute seule 1,25% du congrès national. Largement suffisant pour faire basculer une majorité nationale jusqu’au bout incertaine3. Et les militants PS représentent 1,7% de la population électorale montpelliéraine. Ce qui est proprement extraordinaire, quand la proportion nationale est de 0,5%4.

Parmi ces 2300 adhérents de 2008, beaucoup ont des liens directs avec le « pool » mairie de Montpellier. Le « pool », c’est l’ensemble des services directement sous l’emprise de Georges Frêche. Ce n’est pas seulement une facilité de langage, c’est une réalité, un ensemble coordonné par des réunions hebdomadaires de ses dirigeants. Un noyau dur constitué des DGS et directeurs de cabinet de la Ville et de l’intercommunalité, des DG de la SERM, de l’ex-OPAC aujourd’hui ACM, d’Enjoy. Et le cas échéant d’autres satellites. À ces emplois directs s’agrègent des dirigeants associatifs subventionnés, d’autres qui souhaitent intégrer l’un ou l’autre des cercles précédents, et, bien entendu, des véritables et sincères militants.

L’allégeance, le ressort de l’adhésion

À quelques très rares exceptions près, tout ce petit monde a prêté à un moment où un autre, allégeance à Georges Frêche. « À de très rares exceptions près », parce qu’effectivement rares ont été les individualités qui ont exprimé en interne d’autres horizons. Et encore moins qui soient allés à la bataille lors d’investitures aux élections. Ainsi, en 2007, une primaire interne fut organisée sur la 1ere circonscription de l’Hérault. C’était une première depuis de nombreuses années, à tel point qu’il fallut imposer un minimum de règles. Les autres circonscriptions montpelliéraines n’eurent, comme d’habitude, qu’à enregistrer pour la forme une candidature unique. Non qu’il n’y eut jamais plusieurs velléités avant chaque scrutin, mais elles se réglaient hors des débats des militants.

Mais 2007, c’est déjà la fin qui pointe. Le président du Conseil général a pris son autonomie, et certains conseillers généraux de Montpellier se rangent derrière lui plutôt que derrière Frêche. Ce dernier n’est plus maire, et même s’il règne encore numériquement sur le conseil municipal, certains anticipent l’émancipation d’Hélène Mandroux.

Et puis il y a le verbe. L’arme de Georges Frêche. Le verbe qui roule, captive, assassine et bannit. Le verbe qui s’émancipe de son locuteur, le verbe qui dérape. Le doute s’insinue chez les supporters. La peur que Frêche devienne sa propre machine à perdre. Et que toutes et tous finissent par perdre.

Six ans plus tard, la loyauté à la mémoire frêchiste n’est plus qu’une rhétorique. Hormis dans les phases de congrès, et leurs motions à géométrie variable, il n’y a jamais eu de véritables débats internes dans cette fédération. Et le clientélisme a été la règle. « Quand vous avez des pratiques vieilles de vingt ans, ce ne sont pas deux ans de mise sous tutelle qui vont tout changer », dit l’actuel 1er fédéral.

Vers qui vont aujourd’hui les anciennes fidélités ? Comment les militants fonctionnaires territoriaux se repositionnent-ils ? Et les anciennes clientèles ? Qui maîtrisent encore les cartes ? Quels sont les adhérents qui sont rescapés des très opaques toilettages de fichiers ? Pour la première fois depuis trente ans, le parti socialiste montpelliérain vit dans une zone d’incertitude élargie, une « conjoncture fluide », dans laquelle les repères s’effacent. Et dans cette conjoncture fluide, le Parti Socialiste n’est pas le seul touché. Toutes les forces politiques montpelliéraines sont affectées par cette perte des « contraintes habituelles », par cette « période d’interdépendance tactique élargie »5.

Et cette crise politique n’en est qu’à son début. La compétition interne au Parti socialiste, même élargie aux candidats ne participant pas à la primaire, ne mettra pas fin à cette période d’incertitude. L’électorat lui-même en sera le prochain théâtre. (suite au prochain numéro, donc).

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Illustration : une image du très beau film d’Yves Jeuland, Le Président. ©2010, la Générale de Production

 


  1. Celles et ceux que cette histoire intéresse au point de la creuser pourront se reporter en premier lieu sur les travaux d’Olivier Dedieu, notamment Les notables en Campagne : luttes et pouvoirs dans la fédération socialiste de l’Hérault  

  2. Un secrétaire de section m’a ainsi un jour avoué qu’il avait voté à ma place pour ne pas qu’on voit que je m’étais abstenu de voter pour l’unique candidat à l’investiture. 

  3. L’élection de la première secrétaire nationale se jouera cette année-là à 110 voix près 

  4. 233000 adhérents en 2008, pour 44 millions d’électeurs. 

  5. Une conjoncture fluide, pour reprendre les mots de Michel Dobry : Sociologie des crises politiquesUn aperçu de cette littérature que j’admets être aride. 

De quoi ?

Le Jardin de la Reine, ou la braderie du patrimoine

C’est une histoire d’une banalité crasse. L’État a besoin d’argent. L’État vend. Et surtout en région. Vous vous en souvenez ? Le slogan des années 2000, c’était : « l’État en région, une autre dimension ». Aujourd’hui, après les rounds de décentralisation et la RGPP, c’est plutôt « L’État en région, cinq directions croupions ». Alors l’Etat vend. Beaucoup. Il suffit d’aller sur le site de la « politique immobilière » de l’État pour le comprendre. (ici les ventes dans l’Hérault). Des bureaux, des propriétés, des terrains.

Parmi tous ces biens, l’État vend quelques bijoux. De famille.

Ou en tout cas, l’État essaye.

Il en est un qu’il va avoir du mal à vendre. C’est le Jardin de la Reine, et l’Intendance du Jardin des Plantes, à Montpellier. Il y a deux siècles, le Rectorat de Montpellier, profitant du chaos des 100 jours napoléoniens, s’est abusivement approprié ces parties historiques du Jardin des Plantes, pour y loger ses services, puis y loger le Recteur, et les cadres du Rectorat. Et le Jardin de la Reine ? C’était, dans l’idée de départ du concepteur du Jardin botanique, une extension, dont il ferait un potager, mais aussi un jardin de découverte pour le public. Las, l’accès en a été fermé aux scientifiques du Jardin des Plantes. Et le rectorat s’en est fait un Jardin d’agrément au seul bénéfice du recteur. L’affaire court depuis deux siècles.

Il y a quelques années, le rectorat avait envisagé de transformer une partie du Jardin en parking. Alertés par le bruit de la tronçonneuse, des riverains s’étaient mobilisés, et avaient averti commune et Drac. Deux protections s’étaient alors mises en œuvre. Un classement du Jardin en Espace Boisé Classé, ce qui empêche la construction sur la parcelle, et impose une autorisation communale pour tout abattage. Et ensuite, l’inscription du Jardin et Bâtiment de l’Intendance au titre des monuments historiques. Premier degré d’une conservation patrimoniale. Suffisante pour dire l’intérêt patrimonial, insuffisante pour empêcher la vente, et s’opposer à la transformation des biens.

Donc l’État vend. On aurait pu imaginer que, n’ayant plus l’utilité des lieux, le ministère de l’Éducation aurait rendu à l’Université le bien qu’elle avait usurpé deux siècles avant. Mais non. On vend. Mise à prix estimative, 2 Millions d’euros. Et ça intéresse des acheteurs, bien entendu. Un joli truc comme ça. Y’a du boulot pour le remettre en état, c’est sûr. Mais 1 200 m2 habitables, donnant sur le Jardin des Plantes, avec une passerelle de l’autre côté pour accéder à 4 500 m2 de jardin historique, ça peut faire un joli hôtel de charme en plein cœur de ville. Ou autre chose.

Monsieur le Recteur, Monsieur le Ministre de l’Education, Monsieur le Ministre des Finances, je préfère vous le dire tout de suite : cette vente ne se fera pas. Ne perdez pas votre temps. Une bande d’irréductibles, comme dit la presse, a décidé que ce jardin ne sortirait pas du domaine public, qu’au contraire, il redeviendrait un véritable bien public, ouvert, partagé, accueillant. Et la bande d’irréductibles grossit chaque jour. Non seulement nous nous battrons pour que le Jardin de la Reine soit un jardin des montpelliérains, mais nous nous battrons aussi pour que le bâtiment de l’Intendance, bâtiment historique du Jardin des Plantes, le plus ancien jardin botanique de France, reste dans le giron public, et que le périmètre historique du Jardin des Plantes soit conservé.

Une association s’est créée pour lutter contre cette dilapidation des richesses historiques et écologiques. La presse s’en fait largement l’écho. Un blog raconte l’histoire et racontera la mobilisation au fur et à mesure. Une pétition rassemble déjà des centaines de signatures en quelques jours. Signez-la ! Ce n’est pas seulement une question de principe, c’est une question de vivre ensemble.

Mise à Jour Janvier 2014 : Sous la pression de l’association et de l’opinion, la ville de Montpelier a racheté au Rectorat le jardin de la Reine. Et confiée la gestion dudit jardin à l’association créée pour sa sauvegarde.

De quoi ?, Du son

Nîmes Is Not A Love Song, mais peut-être que si, finalement

This Is Not A Love Song. Forcément, c’est un truc de vieux. Le tube planétaire de Public Image Limited, en 1983. Celui-là même qui signe la fin du punk originel. Et les débuts de ce qu’on va appeler l’indé, né du Do It Yourself incarné par le punk.
This Is Not A Love Song, donc. Sous-titre : Indé Music Festival. Lieu : Nîmes. Ah non, erreur. Impossible. Nîmes n’existe plus sur la scène indé depuis des lustres. Nîmes, ce sont les arènes chéries par la municipalité, et les grosses machines de la scène mondiale qui viennent y jouer l’été, profitant le plus souvent du cadre unique et bimillénaire pour y tourner le DVD de leur tournée.
Et pourtant, Nîmes ressuscite. En tout cas sa scène musicale. La faute à la Paloma, sa neuve et rutilante SMAC, posée aux confins de la ville, dans un no man’s land à la frontière des zones commerciales et des vignes. La Paloma, on ne sait pas trop ce que ça veut dire. Le bâtiment n’est pas un bateau échoué sur un terre-plein. Il n’y a donc pas à craindre que l’on fasse référence au yacht de Bolloré sur lequel notre précédent et agité Président prit ses vacances sitôt élu. On s’accordera donc sur la référence latina aux multiples reprises. Ce qui tombe bien, la reprise, c’est l’école du rock, comme dit Rodolphe Burger, et la Paloma n’est pas seulement une salle de concerts, mais une Smac, un lieu de ressources et de formation, de répétition et d’enregistrement. Paloma, chanson d’amour, accueille donc This Is Not A Love Song, le festival.

This is not a love song / Happy to have / not to have not / Big Business is very wise

Est-ce que c’est un festival, ou juste quatre soirées bien programmées ? La question est accessoire. Car sur le strict plan de la richesse et de la qualité de la programmation, la 1ère édition de This Is Not A Love Song force le respect. Soyons lucides, c’est le résultat d’une double position privilégiée. D’abord, la Paloma est à Nîmes. Et c’est une habile tactique des plus malins des programmateurs du Languedoc-Roussillon de prendre des artistes du Primavera Sound Festival en stop, sur le chemin de l’aller ou du retour du gigantesque festival catalan. Le Rockstore montpelliérain en a fait sa spécialité, cueillant les indés avant et après la semaine catalane. La Paloma et Come On People, le collectif nîmois co-organisateur du festival, reprennent largement l’idée à leur compte. Animal Collective, Dinosaur Jr, les Breeders en retour, mais aussi Death Grips, Savages, Peace, Merchandise, Nick Waterhouse, King Tuff, Guards, Melody’s Echo Chamber, Mac Demarco, Daniel Johnston… Tous sont sur le chemin de Barcelone. Car pour systématiser cette économie d’échelle jusqu’à en faire le pivot d’un festival, il fallait une autre opportunité. Elle a pour nom Christian Allex, co-programmateur des Eurockéennes de Belfort depuis douze ans, et co-directeur artistique de la Paloma, connaisseur réputé du big business des tournées et des festivals.

I’m adaptable / And I like my role / I’m getting better and better / And I have a new goal

Forte de ses deux atouts, la toute jeune Paloma, sortie de terre il y a moins d’un an, s’invente donc organisatrice de festival. Pas un festival all-day long. Mais quatre soirées denses, soniques, éclectiques, dans cet écrin de béton et de bois entouré de vent.
Mercredi, nouvelle génération rock et vieux loups des scènes nîmoises et montpelliéraines sont au rendez-vous. Venus, pour beaucoup, assister au show d’Animal Collective, tête d’affiche de cette première soirée. Ces derniers jouent le lendemain à Barcelone, et ils ont visiblement pris du plaisir à répéter dans le beau studio blanc de la Paloma. Sous un décor gonflable serpentesque, les new yorkais développent un set plutôt franc, loin de leurs habitudes déconstructivistes. Quasiment pop dans l’exécution, complètement onirique dans l’architecture, Animal Collective est en grande forme, pour la plus grande joie des happy few qui ont bravé cette soirée de milieu de semaine sous le signe du mistral.
Il faut avouer que chacun en a eu pour son argent. Le néo-hippie néo-zélandais Connan Mockassin avait ouvert le bal psyché, avec des morceaux longs et juteux, tranches d’univers généreusement offertes à une grande salle conquise. Avant eux, les kids mancuniens d’Egyptian Hip Hop avaient peiné à entraîner la foule. À force de ne pas vouloir être là où ils pensent être attendus, personne, pas même eux, visiblement, ne sait où ils sont, et la grande salle se vide doucement, tandis que le patio se remplit. Et les fans de hip-hop sauvagement burné prennent eux Death Grip en pleine face, dans une version minimaliste largement due à l’absence inexpliquée de Zach Hill, batteur et âme du groupe.


C’est pourtant ailleurs, dans le Club, que se joue le vrai fracas de cette première soirée. Les quatre londoniennes deSavages brûlent les planches, et le Club se remplit. Trois femmes en noir, une en blanc, derrière des toms de batterie qu’elle martyrise avec joie. Juchée sur des talons rouges, Jehnny Beth incarne un charisme post-punk comme on en a pas vu depuis longtemps. Elle le sait, et tente de le cacher derrière une gestuelle empruntée, travaillée à la Ian Curtis. Ça ne trompe personne. La beauté implacable de leur son noir découpe la salle et chavire un public qui n’attendait que ça. Le son est pur, l’exécution musicale parfaitement maîtrisée, jusqu’à cette touche de krautrock qui lie les influences d’une Siouxie et d’un Black Sabbath en un maelström à la saveur so british. Le buzz qui les entoure n’a rien d’usurpé.
Jeudi, le mistral est toujours de la fête, et le public happy few. Le plateau, lui, est encore sous influence psychédélique, avec la française Melody’s Echo Chamber, et les californiens de Guards. Mais c’est côté garage blues que la soirée s’illumine, avec les italo-girondins de JC Satan, à suivre absolument, et l’incroyable assurance de Nick Waterhouse. Son blues est aussi joyeux que sa tenue vestimentaire est stricte, sa soul aussi profonde que ses basses. Ce type-là le dit lui-même : « he can only give you everything ».
Vendredi, le mistral s’est calmé. Ça tombe bien, c’est le jour où les skateurs débarquent pour jouer sur une rampe si neuve qu’elle a l’air de ne pas être terminée. Qu’à cela ne tienne, ils y frotteront leurs roulettes toute la première partie de soirée. Ils attendent pour rentrer que ce soit le tour de leur icône Dinosaur Jr.

Celles et ceux que la planche à roulettes indiffère se pressent à l’intérieur, et la foule est bien plus nombreuse que les deux premiers soirs. Dans la grande salle, Bass drums Of Death sonnent comment des apprentis BRMC, dont ils ne finissent pas d’égrener les références. Jusqu’à l’ennui. Pendant ce temps, Jesse Boykins III chauffe un club avec un groove de bonne facture. « He’s got things to share ». Il aime la scène, et la salle aime son groove et sa grosse présence scénique. Dans le patio, l’air est bien plus estival que les soirs précédents, et les festivaliers n’en apprécient que mieux le bar.
Les skateurs envahissent le bar, c’est donc l’heure attendue, celle du plus vieux groupe grunge en activité, Dinosaur Jr, crée en 1985. Vingt-huit ans plus tard, Jay Mascis et Lou Barlow sont de nouveau aux commandes. Égaux à eux-mêmes, un mur de retours derrière chaque oreille, et la même présence nonchalante de Mascis, la même exigence sonique de Barlow, les mêmes accords des guitares martyrisées. Le même mur de son. Les bouchons d’oreille partent comme des petits pains auprès d’un public mélangé, moitié vieux loups du rock, moitié jeunes, plus jeunes que le groupe, skateurs et fans. Les précurseurs du grunge sont toujours là. Peut-être parce qu’ils n’ont jamais pris ça au sérieux. Comme pour mieux nous donner raison, les trois gars du Massachussets terminent par une reprise énervée et méconnaissable des Cure, en 1’35 chrono.

Ça tombe bien, c’est l’heure de retrouver les danois de Veto dans le studio. Et il y a eu de la new-wave dans le biberon de ces cinq-là. C’est très bien fait. Mais au final, on ne sait pas où ils sont, ni qui ils sont vraiment. Ça laisse le temps de commander un panini. On n’a pas le choix, c’est la seule nourriture du lieu. Modèle So British, bacon-cheddar, parfait pour attendre le dandy Miles Kane.
Trop dandy, d’ailleurs. Lui, costume blanc tout droit sorti de la pochette de Sgt Peppers. Ses musiciens, coiffés et costarisés de même. Là encore, c’est bien fait, propre. Trop. En tout cas, trop pour nous, à peine remis de la déferlante Dinosaur Jr. On les laisse aux nombreux fans, et on s’éclipse vers le Club, rejoindre la tribu électroclash venue assister au live de Black Strobe, mené par un Arnaud Rebotini plus moustache-gomina que jamais. Le Club danse, ce Black Strobe là est joyeux, on ne boude pas.
Dans la grande salle, les derniers amateurs de gros sons se rassasient avec la déferlante sonore de TNGHT. Beats accélérés, stroboscopes, fréquences poussées aux limites. Le live est incendiaire, comme promis. Et assourdissant.

Le samedi, c’est Daniel Johnston et sa belle pop bricolée, et Busy P. qui attireront l’oreille, mais la foule se presse cette fois en masse pour voir les breeders reformées. Dans le club, bien plus intime, Fauve, La Femme et Hanni El Khatib tiendront leur rang.

You take the first train / Into the big world / Are you ready to grab the candle / Not television /This is not a love song

Le public est en masse au rendez-vous. Ça coince même dans la petite salle. Mais c’est la rançon du succès. This Is Not A Love Song, TINALS pour les intimes, a pris le premier wagon pour la cour des grands, et le rendez-vous printanier devrait s’imposer rapidement dans les années à venir. C’est une bonne nouvelle pour les amateurs d’indé du sud de la France.

Cet article, l’une de mes rares incursions dans la critique musicale, a été publié en juin 2013 par soundofviolence. Les illustrations sont de celles qui illustrent le papier sur le blog en question, respectivement créditées Un disque un jour pour les deux premières, et Stéphane Rip pour la dernière.
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Je l’aimais beaucoup, Pierre Mauroy

J’aimais beaucoup Pierre Mauroy. C’est un homme sincère. Il était de la vieille gauche, mais il avait de vraies valeurs. Et il pissait droit.
Mon meilleur souvenir de Gros Quinquin, c’est ce jour où l’on s’est retrouvé côte à côte devant une rangée d’urinoirs publics, pour satisfaire à un besoin identique de soulagement de la vessie. Je pissais à côté d’un ex-premier ministre. Il me connaissait de vue, on a échangé trois phrases sur mon employeur de l’époque, et sur le petit monde solférinesque.
Et au bout de ces quelques instants à dire du mal de nos contemporains, il m’a raconté la blague du vieux médecin juif et du jeune qui urinent de concert dans les toilettes de la salle à Bar Mytzvah.
On a beaucoup ri, sans jamais pisser à coté.

Tous mes respects, Pierre Mauroy. J’aimais ta proximité. Et la force de ta volonté.

Recyclage

Ligne 5 du tramway : à quoi joue l’agglo ?

L’enquête publique sur la ligne 5 du tramway vient de se terminer. Des centaines d’habitants de l’agglomération ont déposé des remarques et des contributions. La plupart du temps sérieuses et très informées, aux dires des commissaires-enquêteurs. C’est un véritable changement qui s’empare des politiques publiques, même dans leur version la plus technicienne. Les citoyens disposent aujourd’hui d’une expertise forte. Les puissances publiques doivent les entendre bien au-delà des procédures de consultations formelles.

J’ai déposé une série de trois contributions auprès des commissaires-enquêteurs, téléchargeable ici.

Deux d’entre elles concernent un financement en doublon. Autrement dit, l’agglomération envisage de financer, par les travaux du tramway, des infrastructures qui doivent soient être financées par d’autres autorités publiques, parce qu’elles ne concernent pas le transport en site propre, soit qui font l’objet d’une programmation d’ensemble par plusieurs collectivités et l’État.

En termes techniques, il s’agit d’une « insuffisante prise en compte des effets cumulés du projet avec d’autres projets connus ». Il ne s’agit pas d’une méconnaissance, la Communauté d’Agglomération est parfaitement au fait de ces autres projets. Il s’agit d’une carence de gouvernance, de l’anticipation d’une incapacité à gouverner ensemble, à mettre en commun les énergies. Et cela porte sur 50 millions d’€ !

Deux tronçons sont concernés, le viaduc Maurice Genevaux, sous lequel devrait passer la ligne 5, vers la cuisine centrale, et la Route de Mende. Le futur viaduc Maurice Genevaux servira à faire passer le Contournement Ouest de Montpellier, un projet qui doit être financé par l’État et Vinci Autoroutes dans le cadre du raccordement des autoroutes A75 et A9. Ce n’est pas une infrastructure de transport public. Ce n’est pas à l’agglomération de payer ! L’économie réalisable ici est au bas mot de 40 millions d’euros !

Le second tronçon concerné est celui du secteur Campus. Le tramway doit passer Route de Mende, entre les deux universités Montpellier 2 et Montpellier 3. La requalification de cet espace est inscrite au Contrat de Plan Etat-Région dans le cadre du financement accordé au Pôle Régional d’Enseignement Supérieur. Par ailleurs, la ville de Montpelier s’est engagée également à un financement de l’opération à hauteur de 50M€, pour aplanir l’espace et construire une continuité entre les deux universités. Un concours international d’architecture a désigné en 2010 plusieurs équipes d’architectes pour travailler sur le projet. Ces équipes ont produit des esquisses et des programmations, qui incluent toutes le tramway. Et l’agglomération ferait seule dans son coin une requalification au rabais, parce qu’il est trop difficile de s’inscrire dans cette programmation collective ? Le tracé doit s’insérer dans ce plan d’ensemble, il ne doit pas l’ignorer. S’insérer dans cette dynamique collective de projet, c’est économiser une partie des fonds nécessaires à l’implantation du tramway tout en permettant une réalisation globale plus performante. C’est ça, la bonne gestion des deniers publics. Tout le contraire de la gestion chacun dans son coin.

Le redéploiement de ces 50M€ sur le reste du tracé sera indispensable pour en améliorer les perspectives. Cette économie essentielle permettra d’envisager ce qui devient une urgence absolue : desservir les communes de l’agglomération par des tram-express là où les anciennes voies ferrées le permettent encore, des bus à haut niveau de service ailleurs, boucler le schéma de transport public montpelliérain par la mise en place d’un bus à haut niveau de service, au rythme de passage régulier, sur les boulevards intérieurs et les boulevards extérieurs.

Ils sont essentiels ! 50 M€, c’est ce que rapporte l’augmentation de la taxe d’habitation, décidée fin 2011, en pleine période de crise. Et c’est à ça qu’ils serviraient ? À financer des infrastructures qui sont déjà prévues au budget d’autres opérations ? C’est hors de question. Il est grand temps que nos collectivités locales se rendent compte que l’intérêt général commande qu’elles sachent collaborer entre elles. Les batailles d’égo nous ont fait perdre trop de temps et trop d’argent, et notre territoire ne peut pas le supporter plus longtemps.

50 millions

(à suivre)

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Soutenez le refuge

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J’ai connu de nombreux refuges. Certains étaient froids, rudes, dépouillés. Mais ils étaient ce qu’ils étaient. Des refuges. Des abris.

Je me souviens du premier, le refuge de l’Oule, dans le massif de Belledonne, sur le glacier du Gleyzin. Le glacier n’est plus, ou quasiment plus. Il subsiste, ça et là, langues de blanc au creux des thalwegs, couches de glace grises sous des amas de gneiss, rendant dangereuse la marche sur ces schistes glacés.

Le glacier disparaît, mais le refuge de l’Oule est toujours là. Il est même gardé l’été.

Enfant, il m’apparaissait comme un oasis d’humanité au cœur de l’étendue millénaire. Un havre pour affronter séracs, crevasses, combes avalancheuses, toute cette panoplie de pièges et de chausses-trappes que la haute-montagne confectionne pour ramener l’homme à la modestie de sa condition.

Plus tard, j’ai connu d’autres refuges. Des grands, confortables, parfois trop. Des chaleureux, joyeux. Et des grottes, froides et noires, au creux de parois alpines peu hospitalières. Des abris chargés d’histoire, et hors du temps. Ouverts aux aventuriers.

J’ai connu d’autres refuges, différents. Clos par besoin. Lieux de sûreté pour camés repentis, asiles de charité pour malades ou déshérités, planches de salut pour pestiférés.

Et des maisons-refuge, ouvertes aux amis, aux apatrides et exilés de passage.

Je connais un refuge. Un recours chaleureux, gai, rempli d’une force et d’une humanité.C’est un jeune refuge. Il n’a que dix ans. Mais il lutte contre l’ignorance et la bêtise, contre la haine et la peur. Il est, en lui-même, une aventure. Une belle aventure.

Soutenez-le. Soutenez-les.

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